Sueurs froides

1958

Voir : les photogrammes, thème musical , jeu des paires
Thème :tableau

(Vertigo). D'après D'entre les morts de Pierre Boileau et Thomas Narcejac. Avec : James Stewart (John 'Scottie' Ferguson), Kim Novak (Madeleine Elster / Judy Barton), Barbara Bel Geddes (Midge Wood), Tom Helmore (Gavin Elster). 2h06.

San Francisco. Sujet au vertige, John "Scottie" Ferguson a été limogé de son poste d'inspecteur de police à la suite d'une faute professionnelle grave : lors d'une poursuite sur les toits, il a été pris de vertige et un policier est mort en essayant de l'aider.

Un ancien ami de lycée, Gavin Elster, directeur d'une entreprise de construction navale appartenant à sa femme Madeleine, lui propose alors une mission délicate : suivre Madeleine, qui est hantée, possédée par une mystérieuse créature et se livre à de longues virées sur lesquelles Elster voudrait être mieux informé avant de la confier à des médecins. D'abord réticent, Ferguson accepte. La beauté de la malade, qu'Elster lui a fait entrevoir au restaurant Ernie's, a achevé de le convaincre.

Ferguson se met donc à suivre Madeleine en voiture au sortir de chez elle. Elle achète des fleurs, se rend dans un petit cimetière sur la tombe d'une certaine Carlotta Valdes dont elle va ensuite contempler longuement le portrait dans un musée. Elle a d'ailleurs le même chignon en vrille que la Carlotta du tableau. Elle se rend ensuite dans un vieil hôtel où elle a loué une chambre sous le nom de Carlotta Valdes.

Ayant demandé à Midge, son ancienne fiancée qui l'aime toujours, de lui faire connaître un spécialiste de la petite histoire de la ville à la fin du siècle dernier, Ferguson la suit chez un vieux libraire qui lui raconte la triste et célèbre histoire de Carlotta Valdes. Protégée par un richissime habitant de la ville qui avait construit pour elle la demeure où va parfois se réfugier Madeleine, Carlotta lui avait donné un enfant. Son protecteur l'avait ensuite abandonnée. Devenue folle, elle réclamait partout son enfant et se suicida à 26 ans (l'âge de Madeleine). Ferguson fait son rapport à Elster qui lui apprend que Carlotta Valdes était l'arrière-grand-mère de sa femme, ce que celle-ci ignore.

Ferguson suit de nouveau Madeleine qui va se jeter dans la baie de San Francisco sous le Golden Gate Bridge. Ferguson la sauve et la ramène chez lui. Avant de reprendre connaissance, elle murmure : " où est mon enfant ? ". Une fois revenue à elle, elle semble avoir tout oublié de sa noyade.

Ferguson la suit une troisième fois mais ne peut l'empêcher de se jeter du haut du clocher d'une église.

Son amie Midge lui permet de surmonter un fort sentiment de culpabilité et une violente dépression née des tragiques événements qui causèrent la mort de cette femme dont il était tombé amoureux.

A sa sortie de clinique, il se rend au restaurant Ernie's, au musée et croit voir partout Madeleine. Dans la rue, il aperçoit un jour une jeune femme qui, quoique brune, lui paraît le sosie parfait de Madeleine. Il la suit jusque dans la chambre d'hôtel où elle habite et l'interroge. Elle s'appelle Judy. Elle est vendeuse. Ferguson lui arrache un rendez-vous à dîner. Il reviendra la chercher dans une demi-heure. Après son départ, Judy, qui n'est autre que Madeleine, songe au piège tendu à Ferguson. Quand elle était montée au sommet de la tour, Gavin Elster, son complice et son amant, avait poussé dans le vide sa femme légitime et Ferguson avait cru voir tomber Madeleine. Ayant pour témoin de la mort de sa femme un ancien policier, Elster pouvait croire avoir accompli le crime parfait. Judy s'apprête à faire sa valise et à laisser un mot à Ferguson. Mais son amour pour lui est le plus fort et elle préfère l'attendre.

Dans les jours qui suivent, ils se revoient souvent. Fasciné par elle comme il l'était par Madeleine, Ferguson lui achète des vêtements, un tailleur semblable à celui que portait Madeleine. Il l'oblige à changer de coiffure pour ressembler à la morte. Elle ne peut s'empêcher de le laisser la transformer en Madeleine, quitte pour cela à risquer d'être découverte.

Un soir, alors qu'elle est redevenue physiquement identique à Madeleine, Ferguson voit à son cou un bijou semblable à celui que portait la Carlotta du tableau. Soudain, il comprend tout : la fausse noyade, le meurtre de la femme de Gavin Elster, l'utilisation que l'on a faite de son acrophobie.

Il oblige Madeleine-Judy à monter au sommet de la tour. Il découvre là-haut que son acrophobie a disparu. Une sœur de la mission apparaît près de Judy... que cette vision nocturne et quasi fantomatique impressionne ; elle recule et tombe dans le vide.

Histoire d'amour défiant le temps, la morale et la vraisemblance, Vertigo offre l'un des plus grands vertiges émotionnels du cinéma. La figure de la spirale, l'utilisation magistrale des trois couleurs primaires-lumière, le fondu enchainé et le travelling circulaire, emportés par la musique de Bernard Herrmann, entrainent le spectateur dans une histoire d'amour tragique aussi sensuelle que cérébrale.

L'amour, comme une chute du haut du paradis

Un cache-cache tragique unit l'extrême sensualité et proximité physique des personnages (l'interprétation de Kim Novak a été reconnue comme l'une des plus animales de tout le cinéma américain) à une non moins extrême cérébralité, puisque tout le film est aussi le récit des gesticulations mentales de Ferguson pour appréhender l'être de Madeleine-Judy qui lui échappera dans la mort au moment où il croira l'avoir trouvé.

La tragédie des deux héros de Vertigo tient en ceci que, même dans l'amour, ils ne se rencontreront pas. Quand il est enfin sorti du piège des illusions qu'il se faisait sur elle, Ferguson tue celle qu'il aime (c'est à peu près le sens de la scène finale). Quand elle a à peu près tout fait ce qui était en son pouvoir pour rejoindre Ferguson, Madeleine-Judy le perd. L'un et l'autre se perdent avant de se trouver. Le crime auquel a participé Judy reste éternellement entre eux comme un obstacle insurmontable.

Le sentiment amoureux est ressenti dans ses différentes composantes à un moment ou à un autre de l'intrigue comme un sentiment d'infériorité (Judy), d'indignité (Scottie) ou désesperé (le personnage limite caricatural de Midge). Il s'agit d'une vision tragique où la chute (ici, celle de la femme dans le crime) et le vertige (ici, le désir maniaque de l'homme de connaître la vérité à tout prix) sont plus forts que l'amour. Comme un antidote à Vertigo, Hitchcock tournera l'année suivante La mort aux trousses son film le plus allègre et le plus tonique.

Mais ne plus souffrir du vertige c'est être mort, ou du moins ne plus aimer. Fasciné par le passé que porte Madeleine, Scottie n'approche pas de la vérité mais se prend d'un amour véritable et puissant pour la jeune femme. Le vertige qu'il ressent pour Madeleine est aussi physique : il en tombe amoureux au premier regard et il l'a vu nue en lui retirant ses vêtements mouillés. Cette dimension mythique de l'amour est accrue par l'utilisation de filtres de brouillard. Ces filtres sont certes justifiés par la dimension fantastique de Madeleine aux prises avec les forces d'une morte. Mais plus simplement, ils isolent les amants au sein d'un monde hors du réel. A contrario, les discussions avec son amie Midge, la caricature de celle-ci en Carlotta Valdes, apparaissent totalement dénués de romanesque.

De la surprise au Suspens et du classique au baroque

Le film comporte deux parties. La première partie se termine après la mort de Madeleine, sa chute simulée depuis le haut du clocher et la longue dépression de Scottie. La seconde commence lorsque Scottie croit voir Madeleine en chaque femme. Ce sera le cas pour Judy qu'il croise dans la rue et à laquelle il demande un rendez-vous. Le flash-back qui révèle au spectateur l'identité de Judy marque la césure entre les deux parties. A la fin de celui-ci, le spectateur en sait plus que Scottie, le personnage principal. C'est la définition que donne Hitchcock au suspens qui se différentie ainsi de la surprise. Le spectateur ne se pose en effet alors plus qu'une question : Quand est-ce que Scottie va comprendre ce que lui sait déjà ? La révélation vendra avec le fameux bijou gardé par  Judy,malheureusement pour elle. Ce bijou devient l'une des quelques icones majeures du cinéma d'Hitchcock avec le verre de lait de Soupçons ou le briquet de L'inconnu du Nord express.

Ce découpage en deux parties est aussi caractéristique de la place qu'occupe le film dans la filmographie d'Hitchcock. A partir de 1948, Hitchcock passe à la couleur et surtout devient son propre producteur en collaboration avec les principaux studios hollywoodiens. Treize films marquent cette période classique de La corde à La mort aux trousses en 1959. Suivent ensuite, de 1960 à 1975, sept films baroques, de Psychose à Complot de famille. Hitchcock accentue la nature irrémédiablement mauvaise des méchants. Leurs actes criminels ne s'expliquent pas par des raisons psychologiques mais par des névroses plus profondément enfouies.

Vertigo, réalisé en 1958 appartient à la période classique par sa première partie et à la période baroque par sa seconde.  La première partie combine des ingrédients de films de genre : le film policier (filature), fantastique (l'appel d'une morte), d'amour (la constitution d'un couple). Dans la seconde Scottie s'abandonne alors à la nécrophilie. Il assume l'idée de faire l'amour avec une morte. Scottie essaie de faire de Judy l'image vivante de Madeleine qu'il a tant aimée. C'est la réincarnation de celle-ci qu'il souhaite avoir sous les yeux lorsqu'il persuade Judy de s'habiller et de se coiffer comme elle, afin de faire l'amour avec l'une en pensant à l'autre.

L'expressionnisme de la couleur, la figure de la spirale, le travelling compensé et la musique donnent néanmoins une grande unité formelle à l'ensemble.

Couleurs, mouvements et spirales en musique

Les trois couleurs primaires lumière : le rouge, le vert et le bleu sont utilisées de manière expressionniste et marquent le spectateur qui reste imprégné de cette expérience comme le sont les deux personnages principaux par leur histoire. Le bleu, couleur plus bénéfique du ciel et de l'eau, présente des occurrences moins nombreuses. Le filtre rouge est utilisé dès le générique, il réapparaît lors du cauchemar de la fin de la première partie, il est la couleur dominante du bar dans lequel Scottie rencontre Madeleine pour la première fois, c'est aussi la couleur du pont de San Francisco sous lequel tente de se noyer Madeleine c'est enfin la couleur du bijou fatal. Le vert est la couleur de la robe portée par Madeleine lors de la première rencontre, la couleur de sa voiture. C'est la couleur des morts, celle du gazon du cimetière et de celui de l'église espagnole où auront lieu les deux chutes. Elle sera utilisée comme telle dans la fameuse séquence de la seconde partie éclairées par l'enseigne au néon de l'Hôtel Empire. Judy, par ses habits et son maquillage devient tout à fait telle que le souhaite Scottie. Elle sort de la salle de bains, nimbée de l'étrange lueur verte diffusée par l'enseigne au néon. Cette couleur façonne d'elle une image transparente et spectrale semblable à celle offerte par Madeleine lorsque Scottie l'avait vu pour la dernière fois avant qu'elle ne grimpe au clocher de l'église. (1)

Pour cette scène où la caméra semble opérer son travelling circulaire de 360° autour des amants, Hitchcock a construit spécialement un décor qui permet de voir ce que Scottie imagine à ce moment, à savoir l'intérieur de la mission avant la chute de Madeleine. Le décor est filmé préalablement dans un panoramique à 360° qui combine images des murs de la chambre, un fond noir qui se transforme en la grange de la mission, fond noir, retour aux murs de la chambre, décor stylisé de la fenêtre pour terminer le plan et les 360° sur un fond vert uni. Le tournage de la scène proprement dite se fait donc avec les deux acteurs placés sur un plateau qui tourne dans le sens des aiguilles d'une montre. Ils sont devant la transparence où défile le décor, tournant lui-même à 360° dans le sens des aiguilles d'une montre. Scottie, voit enfin Judy transformée en Madeleine. Le plan commence lorsqu'il l'étreint et l'embrasse alors avec ferveur, libérant ses souvenirs. Les deux visages sont en gros plan jusqu'à ce que passe dans le viseur de la caméra la place dédiée à la salle de bain. Alors, avant que n'apparaisse ce qui devrait être la porte, la caméra recule et saisit derrière le couple un fond noir qui se transforme en la grange de la mission où Scottie avait embrassé Madeleine avant qu'elle ne s'échappe et (apparemment) saute du haut du clocher. Scottie assume alors de faire l'amour à une morte et après, une transition au noir, la caméra se rapproche à nouveau du couple, les saisit en gros plan avec, pour fond, le décor stylisé de la fenêtre pour terminer le plan et les 360° (du décor) sur un fond vert uni où les deux corps s'embrassent et se penche dans un crescendo de musique lyrique. Un long fondu au noir puis Scottie détendu dans son fauteuil discutant avec Judy dans la salle de bain avec, posé sur le lit, un dessous féminin noir, ne laissent aucun doute sur ce qui s'est passé après que les deux corps se soient penchés... précisément là où se trouve le lit. On sait d'ailleurs (2 et 3) que le mouvement oblique que devaient observer les deux acteurs sur le plateau tournant était délicat et a entrainé la chute de James Stewart lors de la première prise. On a dû fait appel à un médecin pour une blessure légère, mais James Stewart a refait la prise qui reste comme l'une des plus grandes réussites d'Hitchcock.

La figure de la spirale, utilisée comme telle dans le générique, revient comme un leitmotiv. C'est le chignon de Carlotta Valdes et de Madeleine. C'est le parcours de la voiture de Madeleine se rendant chez Scottie en preant comme repère la Coit Tower sur Telegraph Hill. C'est le tronc du séquoia du Big Basin State Park où Madeleine pointe sa propre mort avec un gant noir. L'escalier en colimaçon qui grimpe en haut du clocher de la Mission San Juan Bautista est une autre figure de la spirale. Et ce d'autant plus qu'Hitchcock combine travelling-arrière et zoom-avant sur son décor (le clocher de la mission, beaucoup moins haut, est reconstruit et filmé en studio) pour produire l'effet de vertige. La spirale évoque le cheminement de la vie. Elle tourne autour de la vérité, du centre, s'en approche, puis s'en éloigne, selon le sens dans lequel elle se déroule. Elle provoque le vertige.

Même effet de vertige avec le travelling compensé (ou contrarié) inventé pour la première fois au cinéma par Hitchcock pour ce film. Il combine les effets simultanés d'un zoom avant et d'un travelling arrière, de telle sorte que le cadre reste le même, tandis que l'arrière-plan subit des déformations de perspective entre allongement et tassement. Cet effet traduit le vertige de Scottie accroché à la gouttière d'un toit, regardant la rue puis les deux fois où il regarde le bas de l'escalier grimpant au sommet de la tour de la mission.



La musique de Bernard Herrmann contribue fortement à créer ce sentiment d'amour impossible. Soulignant le romanesque de certaines scènes, elle se fait dissonante quand Scottie prend conscience qu'il aime une morte.

La musique que l'on entend dans le film d'Hitchcock n'est pas dirigée par Herrmann, mais par un musicien anglais, Muir Mathieson. Herrmann se faisait pourtant un point d'honneur à diriger les partitions qu'il écrivait pour le cinéma. Mais, en cette année 1958, une grève des musiciens obligea la Paramount à faire enregistrer la partition à Londres, puis à Vienne. Pendant longtemps la vraie musique de Vertigo n'était disponible que chez Mercury et comportait sept morceaux dirigés par Mathieson tirés de la musique du film. A l'occasion de la sortie de Vertigo en copie restaurée, Varèse Sarabande a édité une version plus longue à partir des masters stéréo et mono qui comporte désormais 16 morceaux. Sont particulièrement notables outre le Thème du générique, celui de la toute première séquence de filature qui conduit Scottie depuis le centre de San Francisco jusqu'au cimetière. Herrmann a composé une ritournelle obsédante qui commence comme une musique de quatuor, pour finalement laisser progressivement place à l'ensemble de l'orchestre. Le thème très doux qui ouvre la séquence où Madeleine se jette dans la baie sert de rappel aux deux précédentes scènes de filature. Il est soudainement interrompu par un fracas de cuivres et de cordes qui marque le début d'un contact physique entre Scottie et Madeleine. Les cordes prennent le relais dans une envolée fulgurante qui porte la signature de son auteur. By the fireside, the forest, the beach, the dream marquent la progression du désir entre Scottie et Madeleine. Du Thème du cauchemar, on note le son des castagnettes de Carlotta Valdes dans sa première partie et la chute de Scottie dans la tombe pour la seconde. Le Thème d'amour est inspiré par Tristan et Isolde de Wagner avec les deux accords de harpes comme climax qui seront ensuite répétés plus doucement sur le baiser final sur fond vert. The Letter accompagne le moment où Judy décide d'écrire à Scottie une lettre lui révélant qu'elle est Madeleine. Mais Judy a accepté de revoir Scottie, sans finalement le mettre au courant de son imposture. Ils se promènent dans un parc, entourés de passants, sous un soleil radieux. Herrmann choisit pour Goodnigt and the park une courte monté des cordes, d'une tristesse infinie qui reflète autant le désarroi de Judy, obligée de mentir à Scottie, que celui de Scottie lui-même qui retrouve chez la jeune femme les traits de la regrettée Madeleine.

Une oeuvre qui irrigue le cinéma mondial

La réception du film aux USA fut d'abord mitigée. Son résultat au box-office fut une grande déception pour un film mettant en scène deux grandes stars sous la direction d'Alfred Hitchcock. Lors de sa première diffusion télévisée, le film obtint néanmoins un taux d'audience aussi inattendu que spectaculaire. Lors de sa reprise dans les salles américaines en 1984, le film était enfin considéré par tous comme l'une des plus grandes réussites d'Hitchcock. Dès 1982, il avait intégré le Top 10 du palmarès Sight and Sound pour venir, en 2002, contester la suprématie de Citizen Kane comme le plus grand film de l'histoire du cinéma et, finalement lui ravir cette place en 2012.

En mars 1959, Eric Rohmer affirmait dans les Cahiers du Cinéma : Tout comme Fenêtre sur cour et L'homme qui en savait trop, Vertigo est une sorte de parabole de la connaissance. Le détective, fasciné dès le début par le passé (figuré par le portrait de Carlotta Valdès à laquelle la fausse Madeleine prétend s'identifier), sera continuellement renvoyé d'une apparence à une autre apparence : amoureux non d'une femme, mais de l'idée d'une femme (...) Et c'est parce que la forme est pure, belle, rigoureuse et étonnamment riche et libre, qu'on peut dire que les films d'Hitchcock, et Vertigo au premier chef, ont pour objet (...) les Idées, au sens, noble, platonicien du terme.

Pour Jacques Lourcelles : "Vertigo contient, à l'état de condensé poétique, psychanalytique et métaphysique, tout ce que le cinéma peut offrir : une histoire d'amour, un récit d'aventures, un voyage que les personnages entreprennent au fond d'eux-mêmes, une énigme policière dont l'auteur se plaît à révéler la solution trente minutes avant la fin. Comme à son habitude, Hitchcock enserre le spectateur dans l'intrigue au point qu'elle devient aussi énigmatique que la réalité elle-même".

Le plus grand hommage rendu au film, sera le Obsession (1976) de Brian de Palma, qui tentera de dépasser le thème de la nécrophilie par celui de l'inceste et transformera le travelling à 360° par un plan final de cinq tours autour des personnages. Le tout emporté par une réflexion sur l'art, le double et la vérité. De Palma reviendra une dernière fois sur Vertigo dans Body double (1986), son dernier film hitchcockien.

La jetée (Chris Marker, 1963), L'armée des douze singes (Terry Gilliam, 1995), Suzhou river (Lou Ye, 2000) s'inspirent aussi des motifs formels de Vertigo en rapport avec la dramaturgie qui leur est propre. Plus secrets et discrets sont les emprunts à Vertigo dans Blue Velvet (David Lynch,) Un conte de Noël (Arnaud Desplechin, 2008), Espions (Nicolas Saada, 2009) ou Les herbes folles (Alain Resnais, 2009)

Jean-Luc Lacuve le 05/07/2012

 

Bibliographie :

1 - François Truffaut, Truffaut-Hitchcok, 1966

"Et la scène que je ressentais le plus, c'est lorsque la fille est revenue après s'être fait teindre en blond. James Stewart n'est pas complètement satisfait parce qu'elle n'a pas relevé ses cheveux en chignon. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'elle est presque nue devant lui mais se refuse encore à enlever sa petite culotte. Alors James Stewart se montre suppliant et elle dit : " d'accord, ça va", et elle retourne dans la salle de bains. James Stewart attend. Il attend qu'elle revienne nue cette fois, prête à l'amour…

… Lorsque James Stewart suivait Madeleine dans le cimetière, les plans sur elle la rendaient assez mystérieuse car nous les filmions à travers des filtres de brouillard ; nous obtenions ainsi un effet coloré vert par dessus la brillance du soleil. Plus tard, lorsque Stewart rencontre Judy, j'ai choisi de la faire habiter l'Empire Hotel à Post Street parce qu'il ya sur la façade de cet hôtel une enseigne au néon vert qui clignote constamment. Cela m'a permis de créer sans artifice le même effet de mystère sur la fille lorsqu'elle sort de la salle de bain ; elle est éclairée par le néon vert, elle revient vraiment d'entre les morts"

 

2 -Bill Khron : Hitchcock au travail

"Hitchcock achète les droits du roman en 1955 et demande à Maxelle Anderson une première adaptation en parallèle avec Angus McPhail. Pui il travaille avec Alec Coppel. C'est ensuite Samuel Taylor qui rejoint l'équipe de réalisation. Samuel Taylor a insufflé la vie dans les personnages dès sa première version. Il élimina le petit ami de Judy (issu du roman) et attribua à Scottie une fiancée attentionnée (Midge). Dans ses versions de Sueurs froides, le changement discuté (dont Hitchcock et lui revendiquent tous deux la paternité) est d'ordre structurel : le flashback de Judy sur le meurtre dans le clocher. Le flashback révèle que Judy est Madeleine dès que Scottie la rencontre. Voulant garder une surprise en réserve, Hitchcock et Taylor avaient d'abord prévu de ne révéler qu'à la fin que Scottie a reconnu le collier que porte Judy : mais un peu plus tard, ils optèrent là aussi pour le suspens plutôt que pour la surprise.

L'invention par Taylor de Carlotta Valdez, l'ancêtre de Madeleine, a été moins appréciée. Elle allait pourtant affecter la totalité du film, de son style visuel à la musique incomparable de Bernard Hermann. Taylor créa aussi le personnage de papa Leibel, le libraire à l'accent allemand inspiré d'un personnage réel de San Francisco qui raconte l'histoire de Carlotta."

 

3- Patrick McGilligan : Alfred Hitchcock : une vie d’ombres et de lumière

"La célèbre scène du baiser circulaire n'était pas au programme avant le 16 décembre….La scène était difficile à tourner, car les acteurs devaient s'embrasser sous un certain angle tandis que la caméra circulait très près d'eux ; ils devaient s'incliner ensemble de façon à pouvoir finalement sortir du champ. A la seconde prise, Stewart glissa et tomba. Le tournage fut interrompu pendant une heure pour lui permettre de consulter le médecin du studio. Quand il revint, ce plan déchirant, d'une grande beauté romantique, l'un des plus beaux de toute l'œuvre d'Hitchcock, fut finalement terminé en fin de journée."