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1- Jean-Luc Godard au Ciné-club, et toute une semaine au Café des Images

2 - Retour sur Les petites marguerites, début de notre 15e saison du Ciné-club

3 - Les films en salle

4 - A la télévision cette semaine

5 - Retour sur le festival du cinéma américain de Deauville

 

1 - Ciné-club, le jeudi 6 octobre

Jeudi 6 octobre à 20h30, salle coupole du Café des images :

Soigne ta droite de Jean-Luc Godard (1987, 1h21)

La troisième période de Jean-Luc Godard, après celles moderne (1955-1967) puis militante (1968-1978), est celle du post-modernisme (1979-1990). Son apport principal est alors d'abandonner le discours intérieur comme guide de la mise en scène. Godard fait progressivement et systématiquement éclater le discours unicentré pour soumettre la narration au discours indirect libre et lui donner, souvent, une dimension cosmique. Il est autant qu'un réalisateur, un détective, un scientifique de l'image. Son rêve serait peut-être, comme il l'énonce dans la Lettre à Freddy Buache (1982), d'être une sorte de sonde intersidérale comme Voyageur dont deux photos de Saturne ont donné quatre ans de travail aux scientifiques. Lorsqu'un carton de Vent d'Est (1970) affirme "Ce n'est pas une image juste, c'est juste une image", ce n'est pas seulement pour dire qu'il n'existe pas en soi d'image juste mais pas davantage pour dire que l'on doit se contenter de juste une image. Le but du film est d'interroger cette image, de la faire travailler, correspondre, voir avec d'autres pour produire de l'émotion.

Chaque film de Godard est donc l'occasion de se poser de nouveaux problèmes. Ce qui ne varie pas, c'est de les traiter en créant et distinguant des catégories. Ces juxtapositions de catégories génèrent des séries d'images pour provoquer de la réflexion à partir des différences au sein de ces catégories et entre catégories. Elles ne doivent pas dériver les unes des autres, si bien que leur relation est du type "ET", mais ce "ET" doit accéder à la nécessité. Il arrive souvent que le mot écrit indique la catégorie, tandis que les images visuelles constituent les séries : d'où le primat très spécial du mot sur l'image, et la présentation de l'écran comme tableau noir.

Les catégories prolifèrent : l'amour, le rouge, le romanesque, la shoah, le conflit israélo palestinien, l'épopée, le théâtre, le roman, la danse, le cinéma lui-même, catégories psychiques (l'imagination, la mémoire, l'oubli…) et Godard aime à y revenir de films en films, les réorganisant pour mieux les faire jouer entre elle et interroger le monde. Le problème du rapport entre images n'est plus de savoir si "ça va" ou si "ça ne va pas", mais de savoir "comment ça va".

Le collage correspond parfaitement à cette pratique du ET. Un film se construit par l'opération du montage qui consiste à coller un plan et un autre plan, à coller une phrase (bande son) sur le visage de celui qui la prononce (bande image). Chez le cinéaste, la collure, souvent volontairement visible, est soit du domaine du visuel, soulignée par le faux-raccord, soit du domaine de l’auditif par la répétition d’une phrase, par l’irruption d’une musique ou sa brusque interruption. L’interruption est souvent signalée, soulignée par un espace vide : un bref écran noir, par exemple. L'image noire devient alors une image en soi mettant en valeur le plan qui précède et celui-ci qui suit. Par ailleurs, plusieurs films de Godard "collent" deux histoires ensemble. One + One (1968) fait alterner les répétitions en studio d’une chanson, Sympathy for the Devil, des Rollings Stones et des scènes de militantisme politique dans un cimetière de voitures londonien. Dans Passion (1982), l’histoire de la jeune employée licenciée de son usine croise celle du metteur en scène polonais, en échec dans sa tentative de retrouver la lumière des tableaux de maîtres. Avec Nouvelle Vague (1990), nous assistons à la répétition en symétrie de la même histoire.

Mais c'est Soigne ta droite (1987) où se collent et s'entrechoquent le plus d'histoires, comme autant de manières d'être au monde. En avril 1983, Godard assiste au one man show de Jacques Villeret auquel il donne un petit rôle dans Prénom Carmen. Les deux hommes se trouvent des références communes à Beckett et Tati. Godard veut jouer lui-même dans un duo comique grinçant entre un gendarme de gauche joué par Villeret et un gendarme de droite joué par lui commentant les affaires du temps. Le film prenant du temps à se faire, il évolue d'une simple référence à Tati (le court métrage Soigne ton gauche) à une tentative de réflexion politique sur le socialisme à la française avec l'alternance, Fabius laissant sa place au gouvernement à Balladur (Soigne ta droite). Parallèlement, le film s'ouvre aussi aux Rita Mitsouko dont Godard a apprécié l'invention visuelle du clip Marcia Baïla. Il filme la préparation de leur prochain disque dans leur studio en 1985 pendant un mois avec Caroline Champetier, comme un work in progress qui rappelle One+One.

Soigne ta droite se présente comme un montage parallèle entre quatre séries filmiques : les aventures de l'idiot (Jean-Luc Godard) prenant l'avion, les déambulations de l'individu (Jacques Villeret), les questions philosophiques de L'Homme (François Perrier) et, surtout, le travail des Rita Mitsouko.

"L'homme" commente le sens du film : "La mort est un chemin vers la lumière. Ce qui va surgir, vient des temps anciens". "Les occidentaux croient qu'il existe deux chambres : la vie et l'au-delà. Et la mort est la porte qui permet de passer de l'une dans l'autre. Mais pourquoi dramatisent-ils la porte ? L'homme est né pour la mort. Il est né pour la donner s'il le décide. Mais dans aucune civilisation les hommes n'ont décidé de choisir leur mort." La mort comme chemin vers la lumière, la mort que le cinéaste accepte de se donner, c'est le prix à payer pour que la lumière vienne frapper la nuit dans le dos, que le film se fasse et soit montré. Et alors le chuchotement ancestral, celui de l'humanité, recommence à bruisser.

Au plaisir de vous retrouver ce Jeudi 6 octobre

Moment convivial autour d’un verre offert après la rencontre.

Du 4 au 11 octobre, le Café des images rend hommage à Jean-Luc Godard :

 

2 - Retour sur Les petites marguerites, début de notre 15e saison du Ciné-club

Avec la séance du jeudi 8 septembre, nous entamions la 15e saison du Ciné-club. Cela valait bien quelques photos :

 
Présentation du film dans la filmographie de Véra Chytilova puis, une fois le débat amorcé, déroulé du diaporama
 
Fin du débat en salle et discussions au bar du ciné autour d'un pot offert par le Café des Images :

C'est Geneviève Troussier qui lança la formule du ciné-club en septembre 2007 : présentation courte, projection, débat et pot offert par le Café des Images. Yannick Reix, à partir de 2014, et Elise Mignot, depuis le printemps 2019, qui ont pris le relais à la tête du Café des Images, ont gardé cette formule telle quelle; mes remerciements vont donc vers eux et toute l'équipe qui se mobilise pour ces séances : choix et réservation du film, accueil des spectateurs, connectique en salle, projection et préparation du pot. Merci à Brigitte, Johanna, Hélène, Elodie, Cloé, Maryline, Florent, Hervé, Pierre, Charles, Olivier et aux bénévoles qui nous accompagnent sur ces soirées.

Merci bien sûr aux fidèles, là depuis quinze ans, à ceux que l'on à plaisir à revoir pour une séance de temps en temps et à tous ceux qui viennent, ne serait-ce qu'une fois, pour ces séances ouvertes à tous. La formule du débat s'est assouplie en quinze ans; scène clé et message essentiel étaient au programme de la première séance; extraits de films et diaporama ont ensuite pris le relais jusqu'à ces Petites marguerites du 8 septembre 2022.

 

3 - Les films en salle

Par ordre de préférence des films vus en salles depuis le 1er septembre:

Rifkin's festival
Apollo 10 et demi, les fusées de mon enfance
Tempura
Les Cinq Diables
Everything everywhere all at once
Bullet train

Nope de Jordan Peele. . L'irrespect de la nature sauvage des animaux, le long anonymat des noirs dans le cinéma et la société du spectacle sont les thèmes majeurs de ce film. Ils n'empiètent jamais sur le plaisir d'un cinéma de genre mi-fantastique mi-western qui prend le temps de décrire des personnages tout en distillant quelques grandes scènes d'action.

Chronique d'une liaison passagère d'Emmanuel Mouret . . Le spectateur comprend assez vite que Chronique d’une liaison passagère est un titre cruel tant grandit la complicité qui unit Simon et Charlotte. Ces moments heureux donnés aux personnages sont-ils donc promis à une fin annoncée ? Simon et Charlotte, mais Louise aussi, aiment autant parler que faire l’amour. Ils aiment se raconter, se dévoiler et se découvrir mais butent contre la possibilité de se réinventer; d’enrayer le processus de la jouissance du pur présent pour tenter de le prolonger en quelque chose de plus durable. Reste la douce mélancolie de ce qui aurait pu être.

La dérive des continents (au sud). . Ce ton à la fois sentimental, satirique et symbolique est constamment tenu dans le film. En témoigne les séquences symboliques du tour en car de la ville de Catane, l'allusion à Betelgeuse, la météorite tombée du ciel, la réconciliation sur le sarcophage de Gibellina, et le village, tout près au bord de la mer, (géographiquement inexact donc) où les habitants viennent mettre une gerbe de fleurs à la mer, témoignage ému d’un naufrage inacceptable. La satire est parfaite avec le personnage de l'imbuvable Charles-Antoine Dubat, représentant le PLR (Président de La République). La portée politique assume d'être modeste et dérisoire mais, au moins est-elle hélas assez juste. A la dérive des continents répond, de façon plus souriante, l'ancrage des sentiments.

Les Cinq Diables . Remarquable utilisation du décor avec les montagnes de l'Isère qui entourent ce petit village confiné dans ses habitudes et son traumatisme passé que vient réveiller le retour de Julia, venue chercher Joanne. Le lac que Joanne s'impose de traverser en plein hiver au risque d'y perdre la vie marque sa souffrance ; la protection de son enfant, qui en chronomètre la durée, la raison de sa survie.

Everything everywhere all at once . C'est l'humour qui semble d'abord pouvoir sauver le film. Les sauts d'univers qui permettent de passer d'un monde à l'autre sont amorcés par des conditions loufoques. On comprend hélas assez vite que pour sauver le monde, il faudra qu'Evelyn aime son mari et surtout sa fille qu'elle a étouffée sans accepter ensuite son homosexualité. Ce parcours trop prévisible rend sans enjeu la dernière heure du film qui s'éternise avec l'univers où "la pierre Evelyn" poursuit" la pierre Joy". La multiplication des univers, souvent réduits, chacun, à une unique idée, ne rend pas plus complexe les personnages : accumuler n'est pas approfondir. Dommage.

Bullet train. . Il s'agit de l'adaptation du roman Maria Beetle (Bullet train, en 2010 aux Presses de la Cité) de la romancière Kōtarō Isaka, très populaire au Japon. Les surnoms des tueurs, leur goût pour parler (Le petit train de Thomas), le kitsch de la voiture aux couleurs de Momomon (mascotte d’un autre dessin animé fictif adoré des enfants) ainsi que les scènes d'actions violentes peuvent faire penser à Tarantino, à Reservoir dogs en particulier. Mais le film ne se départit jamais d'un second degré qui empêche de croire à l'action.

 

3 - A la télévision cette semaine :

de Henri-Georges Clouzot, dimanche 25 septembre, 21h10, C8
de Blake Edwards, lundi 26 septembre, 20h50, Arte
de Catherine Corsini, lundi 26 septembre, 21h00, F3
de Claire Denis, lundi 26 septembre, 22h45 Arte
de Sergio Sollima, mardi 27 septembre, 21h15, C8
de Henry Hathaway, mardi 27 septembre, 23h05, C8
de Sébastien Lifshitz, mercredi 28 septembre, 20h55, Arte
de Sébastien Lifshitz, mercredi 28 septembre, 23h05, Arte
de Andrew Niccol, jeudi 29 septembre, 21h05, TFX
de Jack Arnold, vendredi 30 septembre, 13h35, Arte
de Ang Lee, vendredi 30 septembre, 21h00, F5
de Christian Petzold, vendredi 30 septembre, 22h25, Arte

 

4 - Retour sur le festival du cinéma américain de Deauville, du 2 au 11 septembre

Pour la première année, plein accord avec le palmarès; j'aime croire que c'est parce que Arnaud Desplechin était président du jury :

Grand Prix : Aftersun de Charlotte Wells.
Prix du Jury ex-æquo : War Pony de Riley Keough & Gina Gammell et Palm Trees and Power Lines de Jamie Dack.
Prix de la critique : Aftersun de Charlotte Wells.
Prix du public : Emily the Criminal de John Patton Ford.
Prix Fondation Louis Roederer de la révélation : War Pony de Riley Keough & Gina Gammell

La sélection, composée de treize films dont huit premiers films, se partageait entre films qui tentent avec plus (Dual, Emily the Criminal) ou moins (Watcher, Scrap) de succès de revivifier les films de genre et ceux ayant une solide base documentaire pour offrir par le cinéma une vision de l’Amérique contemporaine. Ma préférence est allé à quatre films remarquables sur l'adolescence comme passage à l’âge adulte dans des contextes très différents : 1-800-HOT-NITE (À Los Angeles, la nuit), Palm Trees and Power Lines (A Los Angeles, le jour) War Pony (dans la réserve amérindienne de Pine Ridge) par ailleurs Caméra d'or à Cannes cette année, et Aftersun (dans un hôtel de la côte turque), présenté aussi à Cannes.

Bon automne à chacune, chacun

Jean-Luc Lacuve, le 25 septembre 2022

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