Petite fille

2020

Genre : Documentaire

Avec : Sasha; Karine, sa mère; son père, sa soeur et ses deux frères ; le médecin de famille ; la pédopsychiatre, Anne Bargiacchi. 1h30.

Les enfants et les parents jouent aux boules de neige, ce jour d'hiver.

Avec le médecin de famille, Karine, la mère exprime la détestation de Sasha d’être un garçon. Elle le ressentit dès ses quatre ans : Sasha se désolait de ne pouvoir porter un enfant dans son ventre, et elle détestait son zizi. Certes enceinte, Karine espérait une fille et fut très déçue d’avoir un garçon. Aujourd'hui elle est la seule à avoir parfois ainsi des remords ; est-ce de sa faute ? A l’école, on la pousse ainsi à croire que c’est elle qui est responsable de la volonté de Sasha de se sentir une fille prisonnière d'un corps de garçon. Le médecin lui conseille de consulter un spécialiste dans une grande agglomération, à Paris même sûrement, pour l’aider.

Face caméra, Karine revient sur les quatre ans de Sasha quand elle la vit pleurer de douleur quand elle lui avait déclaré que plus grande, elle ne pourrait  pas être une fille, « je lui ai brisé tous ses rêves ... c’est plus profond que d'être juste comme maman". Elle avait vu le regard paniqué de Sasha de ne pouvoir être une fille. Depuis, elle la console en lui affirmant qu'elle une fille.

Dans le cours de danse, Sasha fragile et maladroite tente d'imiter les autres filles tant elle a peur de mal faire.

De nouveau Karine s’exprime face caméra. Au début, elle avait honte de lui acheter une robe mais elle était tellement contente de la voir se regarder dans le miroir, Sasha est le seul prénom mixte de la famille comme si c’était écrit que ce devait être une fille, surtout après plusieurs fausses couches de petites filles. Vidéos de Sasha bébé, enfant, semblant dédaigner une voiture en peluche. Le papa dit avoir un peu honte de ne pas s'en être rendu compte très tôt que Sasha voulait être une fille. Il ne cherche que son bien.

Sasha joue à Un, deux, trois, soleil.

Karine se plaint qu'à l’école on empêche Sasha de vivre. L’attitude des grands rejaillit sur les enfants et elle est rejetée par garçons comme par les filles. Elle n'a pas la vie qu'elle mérite, on lui vole son enfance. L’école n'accepte pas Sasha telle qu'elle est au nom de la dictature du genre

Au mois de mai, c'est le départ en train pour Paris. A l’hôpital Robert-Debré, Karine pose les questions à sa fille devant Anne Bargiacchi. En CE1, Sasha n’aime pas sa maîtresse parce que celle-ci n’aime pas sa maman. On veut que celle-ci la fasse "entrer dans le droit chemin"; la psychologue a menacé de faire un signalement. Anne Bargiacchi rassure la maman sur la dysphorie de genre de sa fille. Elle a étudié de nombreuses personnes et en a tiré la conclusion que ce n’est pas un souhait des parents, que ce n'est pas non plus quelque chose qu'elle a mal fait. On peut se sentir fille, s'habiller en fille et puis on verra après déclare Anne Bargiacchi tout en notant que les réponses de Sasha ont surtout pour but de réconforter sa mère. La pédopsychiatre répond positivement à Karine de lui faire un certificat de dysphorie de genre, preuve médicale qui lui servira à discuter avec le directeur de l'école. Sasha pleure en pensant à ce qu'elle subit à l’école. Elle aimerait que ses copines disent elle en parlant d’elle.

De retour chez eux, les parents discutent d’un prochain rendez-vous avec une  endocrinologue pour bloquer les hormones de croissance afin d’éviter les effets indésirables de la puberté sans que rien ne soit d’irréversible. Lola va venir à la maison pour jouer avec Sasha. "Je vais faire tout ce que je peux pour que tu restes ici en CE2" déclare Karine. Elle essaie vainement d’appeler le directeur.

Dans le cours de danse, Sasha souffre d'être la seule avec un costume rouge parmi toutes les petites filles en bleu. Elle est gênée par ses longs cheveux, non tenus par un élastique.

En juin, Karine organise une réunion avec Anne Bargiacchi pour parler de la dysphorie de genre à ceux qui côtoient Sasha. Elle se désole qu'une telle réunion n'ait pu se tenir à l'école et qu'aucune personne de l'école ne soit venue, ni même se soit excusée. Elle espère néanmoins faire évoluer les mentalités. Plus tard, Karine téléphone à Anne Bargiacchi pour lui faire part d'une nouvelle déception : l’école ne lui a donné un rendez-vous que le 13 septembre, dix jours après la rentrée, pour accepter ou non Sasha comme une fille.

La grande sœur de Sasha veut l’aider à s'affirmer comme une fille, alors qu'elle ne le peut ni à la piscine ni dans les magasins. Karine aide Sasha dans l'éviction des vêtements masculins de sa garde-robe. Sasha danse avec un parapluie rouge; s'amuse au trampoline avec Lola, et ses  frères.

C'est l'été. La famille est en visite à Paris. Avec son père et sa mère, Sasha consulte une nouvelle fois Anne Bargiacchi qui parle un peu cette fois des décisions à prendre pour bloquer la puberté sans empêcher à terme la création de spermatozoïdes actifs; il faudra ou faire mâturer les testicules in vitro, ou débloquer un temps la puberté.

Ce sont les grandes vacances à la plage en famille avec un joli maillot de bain féminin pour Sasha.

Au retour, l'inquiétude de la rentrée est palpable, il pleut. C'est le jour du rendez-vous avec le directeur. Après cet entretien, dans un restaurant, les parents de Sasha lui annoncent qu’elle pourra désormais s'habiller comme une petite fille et que l'on accepte qu'elle soit une fille à l'école.

Heureuse, gracieuse, sans le stress que lui imposaient les cours de danse, Sasha danse en habit de papillon.

L’auteur d’Adolescentes, sorti en salles en septembre dernier, avait déjà traité en 2013 de transidentité à travers un portrait de Bambi, l’une des premières transsexuelles françaises, née garçon dans les années 1930. "Elle m’a confié avoir ressenti dès l’âge de 3, 4 ans qu’elle était une fille, explique Sébastien Lifshitz. Je me suis dit que ce serait intéressant de filmer un enfant d’aujourd’hui vivant ce qu’elle-même avait connu." C’est en cherchant sur un forum de discussion des informations relatives à la dysphorie de genre que Karine, la mère de Sasha, est tombée sur l’appel à témoins lancé par le cinéaste. Prudente, elle prend le temps de se renseigner sur la nature du projet et visionne certains films de Sébastien Lifshitz, avant d’accepter de le rencontrer en janvier 2018. Durant un an, le cinéaste se rend régulièrement dans les Hauts-de-France pour filmer Sasha, mais la retrouve également à Paris, à l’hôpital Robert-Debré où un service de pédopsychiatrie accueille des enfants en dysphorie de genre.

Un documentaire qui magnifie

Sébastien Lifshitz trouve une famille extrêmement unie autour de la mère, Karine, et de la fille, Sasha. Il s'attache à rendre la grâce de celle-ci: cheveux sur le visage éclairés de soleil, danse autour d'un parapluie rouge, pique-nique au coucher du soleil, bataille de boules de neige, jeu de Un, deux, trois, soleil, musique souvent très lyrique.

Scène très émouvante de Sasha en pleurs lorsque derrière la façade d'un courage prêt à tout affronter, elle se souvient presque malgré elle des brimades subies à l'école. Cruels encore les cours de danse, notamment celui où elle est la seule à porter un vêtement rouge. Elle ne se plaint pas, ne pleure pas. Elle accepte cette situation injuste et cruelle avec vaillance.

Un documentaire qui ne juge pas

L'école est totalement fermée à la volonté de Karine et Sasha : pas un membre du personnel ne vient assister à la réunion organisée avec la pédopsychiatre et aucun entretien ne pourra être filmé : les parents grimpent vers l’école puis s'en vont par le petit chemin descendant, filmés de dos.

A l'inverse, personne ne mesure  l'engagement de Sasha dans sa volonté d'être  une petite fille. La propension de Sasha à ne jamais se livrer sans sa mère pose aussi problème. Les affirmations de Karine semblent excessives (A quatre ans : Sasha se désolait de ne pouvoir porter un enfant dans son ventre, et elle détestait son zizi). Sasha aime beaucoup sa maman et se noue entre elles un lien d’autant plus fort qu’il les fait faire bloc contre leur entourage hors famille proche dans une bulle de bonheur, de détermination mais qui ouvre sur une vie difficile.

Jean-Luc Lacuve, le 3 décembre 2020