(1928 -1999)
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histoire du cinéma : Cinéma mental
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Juif du Bronx, issu d'une famille originaire d'Europe centrale, Kubrick apparaît d'abord comme un héritier du film noir, dans la lignée de Lang, Siodmak ou Fuller avec des scripts serrés, une lumière presque expressionniste, et une violence baroque exacerbant la théâtralité de la mort. Docteur Folamour (1963) marque une rupture vis à vis de ce courant classique. Dorénavant Kubrick n'aura plus qu'un grand sujet et va déployer tous les moyens du cinéma pour sidérer, alerter son spectateur face à la folie du cerveau humain.

1- La folie destructrice du cerveau humain

"Bien qu'un certain degré d'hypocrisie existe à ce propos, chacun est fasciné par la violence. Après tout l'homme est le tueur le plus dénué de remord qui ait parcouru la terre. L'attrait que la violence exerce sur nous révèle, en partie, qu'en notre subconscient, nous sommes très peu différents de nos primitifs ancêtres (Newsweek, 1972)"

Cette citation illustre le sujet principal du cinéma de Kubrick : l'exploration du conflit qui oppose l'intelligence à ce qu'elle produit. Entre l'idée et l'outil, le concept et l'utilisation, aucune harmonie possible. Le cerveau et son ouvrage ne se manifestent que par la guerre permanente qu'ils se livrent.

Le plan des gangsters de L'ultime Razzia, la libido purement mentale de Humbert Humbert dans Lolita ou celle dégénérative de Bill Harford dans Eyes wide shut, la bombe atomique de Dr Folamour, l'ordinateur HAL de 2001, le traitement Ludovico d'Orange Mécanique, la stratégie carriériste de Barry Lyndon, la paranoïa de Jack Torrance (Jack Nicholson dans Shining) ou la mise en condition des soldats de Full metal jacket ; tout ce que l'esprit charrie et les organisations qu'il conçoit, qu'elles soient psychiques, sociales, politiques, religieuses ou machinales se retournent contre lui et deviennent fatalement son ennemi. Ce duel sera au cœur du récit qui, la plupart du temps, se scindent eux-mêmes en deux mouvements opposés, multiplient les rivalités, les dialectiques - bloc contre bloc, ascension et chute, bêtise contre intelligence, lenteur contre rapidité, arrêt contre mouvement, obscurité contre lumière, et provoquent toutes sortes de folies paranoïaques sans issue.

Car ces affrontements font remonter à la surface toutes sortes d'angoisses et leurs résonances psychiques, sexuelles, racistes. Effrayé par un conflit systématique dont il est le cœur, le personnage trouve alors son refuge dans une mégalomanie et une haine de l'autre sans limite. La déraison colonise son cerveau et s'exprime par un abandon total à l'ivresse dionysiaque du néant et du chaos. Comme les soldats qui repartent au combat en chantant une chanson de Mickey Mouse dans le dernier plan de Full metal jacket, les héros kubrickiens renoncent à leurs tiraillements intérieurs en s'oubliant eux-mêmes jusqu'à la perdition et en célébrant la destruction de l'univers.

Incapable d'assumer ce qu'elle produit, prisonnière de son angoisse, l'intelligence enclenche le mécanisme de l'instinct d'agressivité et se fait une représentation faussée, forcée du monde qui pousse le mental hors du réel. La peur brouille la perception des choses et finit par se construire un univers délirant. Un rideau expressionniste hante l'œil du personnage, comme Jack et le petit Dany de Shining qui meublent le vide de l'hôtel Overlook en projetant dans les espaces nus des visions dictées par leur cerveau. Devenu totalement mental, l'espace ne se nourrit plus que de l'angoisse de l'individu, et interdit tout retour à l'équilibre et à la stabilité.

2 - De l'expressionnsime à la construction baroque, mentale et épique

A la mise en scène de Kubrick de figurer alors les espaces perçus par ces yeux contaminés par la peur. Depuis Fear and desire (1953), elle ne sera travaillée que sur les modes expressionnistes de la claustrophobie, de l'agoraphobie, du déséquilibre, de l'hystérie spatiale sonore, des masques effrayants et outranciers figés sur les visages des acteurs, d'une lumière qui découpe les décors et représente la reconstruction mentale des lieux. Et, les notions de bien et de mal se confondant dans un même élan destructeur, le noir et le blanc seront à leur tour deux couleurs moins ennemies que complémentaires.

L'expressionnisme n'est donc pas au cœur de la réalité mais dans la vision que l'homme angoissé se fait d'elle. Dominé par la peur du monde, l'esprit humain ne voit plus que dans l'agressivité, l'ultime moyen de dominer à son tour. Il n'a de cesse de conquérir de posséder faire la guerre au monde entier. En cédant à ses pulsions de mort, le corps tente d'échapper à la peur dictée par l'intelligence, au contrôle obsessionnel de l'esprit qui l'aliène. Il n'est plus animé que par une volonté de puissance frénétique, sans but et mortelle, qui fuit inexorablement le dressage mental de la civilisation.

Cette déformation initiale vécue par les personnages, qui s'effraient eux-mêmes du monde qu'ils ont créé, et que leur peur diabolise est renforcée par le cinéaste.

Kubrick n'est jamais meilleur que lorsque les personnages se taisent, et qu'il utilise les moyens du cinéma au maximum, lumière et musique mêlées, comme lors de la scène de la partie de cartes et de la cour sur le perron de Barry Lyndon. Dès ses premiers films, la caméra de Kubrick mène la danse et, comme chez Ophuls qu'il admirait, oppose aux mouvements des personnages ses propres mouvements indépendants et complexes. Elle ne sert ni l'action ni les personnages mais les emporte de force dans ses déplacements. Du travelling d'ouverture Des sentiers de la gloire à l'emploi systématique de la steadycam de Shining, la caméra fait des prouesses et brave la volonté paranoïaque et mégalomaniaque des personnages et nie leur propre mise en scène. Elle reste le seul maître des espaces qu'elle pénètre.

L'hypnose est le premier dessin de Kubrick. Il ne s'agit pas pour lui d'étourdir le public par un brio sans retenue, mais de retrouver le pouvoir magique de fascination du cinéma muet. L'orchestration des plans (Eisenstein), la perfection de la composition plastique (Murnau), la pause rythmique des cartons (Dreyer), la juxtaposition des séquences (Griffith); toutes les recherches du cinéma muet ne visaient pas seulement l'expression des choses par les seuls moyens de l'espace, mais l'hypnose du spectateur. La stupéfaction. Les films se devaient de sidérer, d'être regardés bouche ouverte et les yeux grands ouverts. Tout film de Kubrick tente de retrouver l'impact visuel, le pouvoir hallucinatoire du premier âge du cinéma et de redonner à la caméra toute sa force expressive. L'hystérie outrancière des plans et des acteurs ou leurs poses hiératiques et l'utilisation de la musique participent à cette recherche de stupéfaction permanente.

3 - Une réception toujours problématique

Le cinéma de Kubrick n'attend pas du monde une musique que la caméra révèlerait peu à peu. Il transfigure le réel, l'hystérise et le malmène pour mieux placer devant lui son verre déformant. Le cinéaste en passant ainsi d'un expressionnisme encore attaché à une réalité documentaire à un baroque épique qui combine l'héritage de Max Ophuls à celui de Griffith, prend le risque de créer de beaux objets fermés sur eux-mêmes.

Après les déboires de Spartacus -Kirk Douglas fit refaire le montage dans son dos- et son exil en grande Bretagne, Kubrick met en place un système d'indépendance idéale que seul l'insuccès pouvait éroder.

Le goût des grands sujets, des effets de style, l'apparence de l'esbroufe, le cérémonial perpétuel qui accompagne la sortie de ses films "évènements", font rapidement de Kubrick un cinéaste star comme Fellini ou Kurosawa qui n'ont jamais eu besoin de la critique pour être reconnus comme des génies écrasants à l'opposé des auteurs populaires mais méprisés (Hawks, Hitchcock) ou des démiurges matés par le système qui les ont fait naître (Stroheim, Welles).

Ici ou là, on lui reproche, en vrac, le recours à une œuvre littéraire (Lolita de Nabokov, L'Odyssée de l'espace d'Arthur C. Clark, Orange Mécanique de Burgess ; Barry Lyndon de Thackeray), un goût pour le film de genre, et la création d'un systéme autarcique fermé sur le monde.

C'est bien ce dernier reproche qui empêche le cinéma de Kubrick d'être pleinement populaire comme peuvent l'être ceux de Steven Spielberg ou James Cameron. Alors que ceux-ci jouent la carte de l'identification au personnage, le regard intellectuel et distancié de Kubrick, même s'il est plein de compassion pour ses personnages, n'en demeure pas moins celui d'un pessimsite profond sur la nature humaine.... pas très populaire décidemment.

Bibliographie indispensable :

Cédric Anger, Cahiers du Cinéma n°534, avril 1999
Stanley Kubrick, Michel Ciment, Calman Levy, 1980

Ressource internet :

Exposition virtuelle de la cinémathèque française en 2011.

FILMOGRAPHIE :

1953 Fear and desire
  Avec : Frank Silvera (Sgt. Mac), Kenneth Harp (Lt. Corby/Le générale ennemi), Paul Mazursky (Sidney). 1h08.

Une patrouille militaire de quatre hommes, le lieutenant Corby, le sergent Mac et deux soldats, Fletcher et Sidney, se retrouvent derrière les lignes ennemies après que leur avion s'est écrasé. Ils avancent dans la forêt, surprennent deux militaires ennemis en train de se restaurer et les massacrent. Puis ils rencontrent une jeune fille et, craignant qu'elle ne les dénonce, l'attachent à un arbre...

   
1955 Le baiser du tueur
Avec : Frank Silvera (Vincent Rapallo), Irene Kane (Gloria), Jamie Smith (Davy Gordon). 1h07.

Un boxeur vaincu offre sa protection à une jeune femme poursuivie par un gangster, qui tente de les compromettre dans une affaire criminelle.

   
1956 L'ultime razzia
(The killing). Avec : Sterling Hayden (Johny Clay), Coleen Gray (Fay), Jay C. Flippen (Marvin Unger). 1h23.

Après avoir purgé une peine de prison pour vol à main armée, Johnny Clay retrouve son amie Fay. Mais Johnny veut tenter un dernier coup "avant de se retirer des affaires" : dérober la recette du pari-mutuel au champ de courses....

   
1957 Les sentiers de la gloire
(Paths of glory). Avec : Kirk Douglas (Colonel Dax), Ralph Meeker (Phillip Paris), Adolphe Menjou (Général George Broulard). 1h28.

1916. La guerre entre la France et l'Allemagne fait rage. Ayant besoin d'une éclatante victoire pour consolider sa renommée personnelle, le général Broulard ordonne au général Mireau de prendre une position allemande surnommée "La fourmilière", réputée imprenable. Mireau donne l'ordre au colonel Dax de diriger l'attaque...

   
1960 Spartacus
Avec : Kirk Douglas (Spartacus), Laurence Olivier (Crassus), Jean Simmons (Varinia), Charles Laughton (Sempronius Gracchus). 3h18.

L'Empire Romain en 69 avant Jésus-Christ. Une révolte de gladiateurs a lieu dans l'école de Capoue dirigée par Batiatus. Un esclave de Thrace, Spartacus, en a pris la tête. Aimé par Varinia, entouré d'amis fidèles comme Antoninus, Spartacus et son armée se replient sur les flancs du Vésuve. Envoyée pour les attaquer, la garnison de Rome commandée par Glabrus, est décimée par l'armée des esclaves. A Rome, les événements inquiètent le Sénat. Des centaines d'esclaves s'enfuient chaque jour pour retrouver les insurgés. Un seul homme peut désormais prendre la direction d'une armée puissante pour les vaincre : Crassus. Mais il réclame le pouvoir absolu pour prix de ses services... Gracchus, le sénateur de la plèbe, dont les convictions sont démocratiques, est contraint de s'incliner. Cette fois Spartacus est vaincu et les esclaves survivants crucifiés le long de la voie Appienne. Puis Gracchus est destitué sur ordre de Crassus. Avant de se suicider, Gracchus affranchit Varinia et son enfant. Celle-ci s'enfuit avec l'aide de Batiatus. Spartacus meurt sur la croix, mais son fils sera un homme libre.

   
1962 Lolita
Avec : James Mason (Humbert Humbert), Shelley Winters (Charlotte Haze), Sue Lyon (Dolores 'Lolita' Haze). 2h32.

Humbert Humbert, lecteur en littérature française, loue une chambre dans la maison de Charlotte Haze, matrone éprise de culture. C'est l'été dans la petite ville de Ramslade. Charlotte, veuve depuis sept ans, est tout de suite très attirée par Humbert, divorcé et homme séduisant. Elle lui fait une cour très pressante tandis que Humbert se montre beaucoup plus attiré par les charmes encore très juvéniles de sa fille, Lolita...

   
1964 Docteur Folamour
(Dr. Strangelove or : how I learned to stop worrying and love the bomb). Avec : Peter Sellers, George C. Scott, Sterling Hayden. 1h33.

Persuadé que les communistes ont décidé d'empoisonner l'eau potable des États-Unis, le général Jack Ripper, qui commande la base aérienne de Burpelson, lance une attaque de B-52 vers la Russie...

   
1968 2001 l'Odyssée de l'espace
(2001: A Space Odyssey). Avec : Keir Dullea (David Bowman), Gary Lockwood (Frank Poole), William Sylvester (Floyd). 2h20.

L'aube de l'humanité- Un groupe de singes végétariens, menacés par des voisins carnivores et luttant pour la possession d'un point d'eau, découvre en se réveillant un monolithe noir mystérieux. L'un d'eux apprend alors à se servir d'un os comme arme et tue pour se procurer de la viande.

   
1971 Orange Mécanique
(A Clockwork orange). Avec : Malcolm McDowell (Alex DeLarge), Patrick Magee (Frank Alexander), Michael Bates (Barnes). 2h17.

Dans un futur assez proche, Alex, jeune chef d'une bande de voyous, sème violence et terreur au hasard des virées des "droogs" : un clochard ivrogne, un couple dans sa maison isolée en font, entre autres, les frais, avec une brutalité exceptionnelle. Mais Alex est arrêté...

   
1975 Barry Lyndon
Avec : Ryan O'Neal (Redmond Barry), Marisa Berenson (Lady Lyndon), Patrick Magee (Le Chevalier de Balibari). 3h04.

L'Irlande au XVIIIe siècle. Ambitieux, mais naïf, le jeune Barry est bien décidé à s'élever dans l'échelle sociale. Il se voit contraint de fuir la justice de son pays après s'être battu en duel. Il s'enrôle alors dans l'armée britannique mais déserte à la première bataille. Les Prussiens le font prisonnier...

   
1980 Shining
(The Shining). Avec : Jack Nicholson (Jack Torrance), Shelley Duvall (Wendy Torrance), Danny Lloyd (Danny Torrance). 2h26.

Un hôtel isolé dans les Montagnes Rocheuses. L'hiver approche et les routes vont devenir impraticables pour cinq mois. Tout le personnel va déserter l'hôtel sauf le gardien, Jack Torrance, un homme instable. Cette solitude lui semble propice pour commencer un nouveau livre. Il s'installe avec sa femme Wendy et son fils Danny.Le gérant de l'hôtel les met en garde car, quelques années auparavant, le gardien, devenu subitement fou, massacra sa femme et ses deux filles à coups de hache. Danny possède un don de médium et pressent un danger à habiter cette bâtisse. Avant son départ, Hallorann, le vieux chef-cuisinier noir, lui aussi médium, a deviné le don que le petit garçon possède, un don appelé le "Shining". Un mois passe, durant lequel Jack Torrance écrit son roman. Peu à peu, des visions et des hallucinations hantent l'écrivain. Au cours de ses crises, il rencontre Grady, le gardien assassin, et se laisse convaincre de punir sa famille. Wendy découvre le manuscrit de son mari composé d'une phrase incohérente répétée des centaines de fois. Elle prend peur et essaie de s'enfuir, mais la chenillette ayant été sabotée, la fuite est impossible. Prise de panique, elle s'enferme avec son fils dans leur appartement. Hache à la main, Jack défonce la porte, tandis qu'Hallorann ayant pressenti le danger, arrive sur les lieux. Il se fait tuer par Jack, qui peu après poursuit son fils dans un labyrinthe de haies enneigées. Danny arrive à s'enfuir avec sa mère grâce au véhicule de Hallorann, tandis que Jack mourra gelé dans le labyrinthe.

   
1987 Full metal jacket
Avec : Matthew Modine (Guignol), Adam Baldwin (Grosse baleine), Vincent D'Onofrio (Pyle), Lee Ermey (Sgt. Hartman). 1h58.

Entraînement à Parris Island. Un sergent dresse un groupe de volontaires pour huit semaines dont Guignol, Blanche-neige, Cow-boy et Grosse baleine. Le sport et le maniement du fusil sont le quotidien des futurs Marines. Baleine, sans cesse humilié par le sergent, sombre dans la folie et abat le sergent...

   
1999 Eyes wide shut
Avec : Tom Cruise (Dr. Bill Harford ), Nicole Kidman (Alice Harford), Sydney Pollack (Victor Ziegler). 2h39

Le couple sans histoire formé par Alice et Bill Harford quitte l'appartement familial pour se rendre à une réception donnée par un de leurs meilleurs amis, Victor Ziegler. Une fois rentrés chez eux, Alice évoque ses fantasmes lors d'un voyage à Cap Cod...