Psychose

1960

Voir : Photogrammes, scène de la douche, scène de l'escalier
Genre : Film noir

(Psycho). Avec : Anthony Perkins (Norman Bates), Janet Leigh (Marion Crane), Vera Miles (Lila Crane), John Gavin (Sam Loomis), Martin Balsam (Milton Arbogast). 1h49.

Phoenix (Arizona). Marion Crane et Sam Loomis sont amants mais le manque d'argent compromet pour l'instant leur mariage. Chargée de déposer à la banque les 40 000 dollars que Tom Cassidy vient de donner à son patron George Lowery, Marion voit là l'occasion d'avoir l'argent dont elle a tant besoin. Elle quitte alors Phœnix en voiture et après avoir passé la nuit dans son véhicule et avoir été réveillé par la police, elle change de voiture et est contrainte de s'arrêter sous la pluie dans un motel, le Bates Motel. Ce dernier est tenu par Norman Bates et sa mère. Marion est l'unique cliente.

Marion bavarde avec Norman qui vit manifestement dans l'ombre de sa mère. Epiée par Norman, Marion se déshabille et va prendre sa douche. Survient alors brutalement une forme menaçante - la mère de Norman- qui frappe Marion à coups de couteau. Norman découvre le meurtre commis par sa mère. Il nettoie les traces du crime et immerge dans un marais voisin la voiture et le corps de Marion.

Sam Loomis reçoit la visite de Lila, la sœur de Marion, inquiète de ne pas avoir de nouvelles de sa sœur. Arrive alors Milton Arbogast qui est détective privé. Lui aussi recherche Marion car il est engagé pour retrouver les 40 000 dollars disparus. Arbogast poursuit son enquête et celle-ci le conduit jusqu'au Bates Motel. Il interroge Norman puis décide de parler à la mère de ce dernier. Il pénètre dans la maison et monte l'escalier mais la mère de Norman apparaît brusquement et le poignarde à mort.

Lila et Sam se rendent à leur tour au Bates Motel après avoir entendu du shérif Chambers que la mère de Norman est morte depuis dix ans… Norman assomme Sam alors que Lila pénètre dans la maison et finit par découvrir dans la cave le corps desséché de madame Bates. Norman habillé en femme, apparat soudain, prêt à poignarder Lila. Sam intervient in extremis et le neutralise. Le docteur Richman explique à Sam et Lila le cas psychique de Norman Bates qui est désormais possédé par la personnalité de sa mère.

La mort aux trousses est l'apothéose de la période classique d'Hitchcock. Psychose, son 51e film, inaugure sa cinquième et ultime période, celle baroque où les forces criminelles désertent le champ de la conscience pour relever de la psychose ou, comme dans Les oiseaux, son film suivant, de forces non humaines.

Œuvre majeure du cinéma, Psychose, petite production dont les risques financiers sont assumés seulement par Hitchcock, réactualise tous ses thèmes : mère abusive, double maléfique et faux-coupable. Mais, plus important sans doute, Psychose fait entrer de plein pied le cinéma dans la violence incontrôlée des années 60-70. Avec la scène de la douche, Hitchcock saisit son spectateur qu'il laisse sans réaction dans la succession des 53 plans, soit 52 coupes, où le couteau en lacérant Marion semble aussi lacérer l'écran et ainsi atteindre le spectateur. Il ne pourra plus entrer dans une salle de bain sans craindre un possible déchainement du mal.

La tentation baroque

Au moment où il termine La mort aux trousses, Hitchcock est interpelé par une critique parue dans le New York Times sur le dernier roman de Robert Bloch, Psycho. Le cinéaste ne tarde pas à le lire et à en acheter les droits pour une modique somme, 9500 dollars, se gardant bien de révéler son identité. Le personnage principal du livre, Norman Bates, est inspiré du tueur en série Ed Gein, un fermier du Wisconsin qui marqua profondément les esprits en 1957 en raison de l'horreur de ses crimes (cannibalisme, violation de sépultures, dépeçage).

Bloch atténue énormément la violence de ses actes. Censure oblige, Hitchcock reste fidèle à son approche et propose même une version du meurtre de la douche moins choquante que dans le roman où Marion est décapitée avec un hachoir. D'autres légères (mais pertinentes et efficaces) modifications sont apportées par Joseph Stefano, scénariste débutant qu'Hitchcock choisit après avoir évincé James P. Cavanagh, auteur d'une première version que le cinéaste juge insatisfaisante. Stefano donne plus de finesse, de suspense et de matière psychanalytique à l'intrigue. Il rajeunit Bates qui n'a plus rien du vieux garçon chauve, alcoolique et repoussant du roman. Le tueur prend les traits séduisants d'Anthony Perkins. Stefano développe le personnage de Marion en ajoutant la scène d'ouverture avec son amant. Présenter cette voleuse comme l'héroïne du film permet de préparer un premier choc, celui de son élimination. Celle-ci est d'autant plus marquante que la victime est interprétée par une star, Janet Leigh, dont le choix par Hitchcock n'est pas seulement stratégique mais aussi très probablement influencé par son rôle dans La soif du mal d'Orson Welles (1958), où elle est agressée dans un motel sous l'éclairage oscillant d'une ampoule.

Se donner les moyens de la création

Craignant la censure, la Paramount prend ses distances avec le projet. Producteur du film, Hitchcock calque la fabrication de Psychose sur le modèle télévisuel qu'il expérimente depuis quelques années avec la série Alfred Hitchcock présente. Il s'entoure d'une équipe qui vient du petit écran. D'où le budget réduit, le noir et blanc et le temps de tournage exceptionnellement court du film, soit 30 jours dont 7 consacrés à la scène de la douche.

Alfred Hitchcock savait que ses films seraient beaucoup diffusés à la télévision et tenait compte, dans le viseur de sa caméra, du format d'image final. La pellicule est impressionnée sur toute la hauteur du standard Vistavision (contrairement à la méthode européenne) et l'opérateur disposait de marques dans le viseur indiquant les limites de l'image cinéma finale.

Lors de projection en salle, le projecteur est équipé avec un cache masquant les parties excédentaires. L'image est présentée au format 1.85. En revanche lors de diffusions TV, les parties, haute et basse, sont conservées à des fins de remplissage de l'image 4/3. On n'ampute plus l'image "cinéma" mais le cadrage est substantiellement modifié.

format 1.37 pour la télévision et format 1.85 pour le cinéma (voir : 1 et 2 ) et les formats d'image

Psychose, un condensé des thèmes hitchcockcien

Psychose est un concentré de toutes les obsessions de l'auteur : alliance de désir et de culpabilité, voyeurisme, double maléfique, persécution d'un personnage féminin, mère castratrice et faux coupable.

Norman est condamné à la solitude et la frustration. La maison sur la colline qu'Hitchcock a fait construire en studio ressemble à La maison près de la voie ferrée (1925) maison abandonnée par le progrès et la modernité comme le motel est maintenant à l'écart du nouveau grand axe routier. Norman abandonné à cette solitude est aussi abandonné à ses démons intérieurs.

La maison de Psychose construite en studio

Norman est victime deux des grandes hantises hitchcockiennes, celle du double menaçant (L'ombre d'un doute, Vertigo) et celle de la mère toute-puissante et castratrice, maléfique (Les enchaînés, La mort aux trousses)..

Loin de sa mère, Norman peut se livrer au voyeurisme, péché véniel. Norman soulève ainsi un un tableau représentant Suzanne et les vieillards (Willem van Meiris, 1731), archétype du motif du voyeurisme et de la frustration sexuelle, pour observer Marion se déshabillant avant d'aller prendre sa douche.

Le tableau qui masque le trou dans le mur
Suzanne et les vieillards (Willem van Mieris, 1731)

Dans Psycho, Gus van Sant remplacera ce tableau de Willem van Mieris, volé à Perpignan en 1972 (par un fan d'Hitchcock ?), par Le verrou de Fragonard qui engage aux mêmes pulsions sexuelles.

Le tableau qui masque le trou dans le mur
Le verrou, Fragonard

Plus traditionnellement érotique se trouve, sur le même mur que le Van Mieris, La Vénus au miroir du Titien (1555).

Le 2e tableau accroché au mur
Venus au miroir, Titien, 1555

Le double, la mère castratrice, de Norman s'incarne d'abord dans la voix hors champ que Marion entend dans la maison sur la colline ou, au mieux, croit voir émise par une ombre à la fenêtre. Lorsque la mère parle ensuite au travers des lèvres de Norman, celui-ci semble encore être en mesure de contrôler un peu la situation et donne l'impression au spectateur qu'il pourra peut-être s'en libérer. Cette division entre la voix et le corps laisse une possible liberté.

Lorsque Norman surgit dans la cave pour poignarder Lila, la situation devient plus mystérieuse et problématique. Le tueur porte alors une perruque de femme et les vêtements de sa mère, mais lorsqu'il est stoppé dans son élan par Sam, sa perruque tombe et sa robe s'ouvre, laissant apparaître sa chemise. Il affirme alors "Je suis Norman Bates". Mais, on ne voit pas les lèvres de Norman articuler son propre nom, comme si sa voix provenait déjà de ce siège invisible où trône l'esprit de la mère. C'est l'acte de mort du garçon par la mère qui est en lui : en effet, ce qu'il affirme aussi à travers les mots qu'il prononce, pris en flagrant délit, c'est l'innocence de sa mère. En la disculpant ainsi, il annonce déjà le règne définitif de la figure maternelle sur sa personne.

A la fin du film en effet, La voix off de la mère ne sort pareillement pas de la bouche du malade marquant son emprise définitive. La voix off de la mère marque sa toute puissance : la voix sans corps n'a pas de limite. Elle a pris le dessus dans l'esprit de Norman comme la surimpression du visage momifié de Mrs Bates sur le visage de Norman le confirme.

La névrose de la frustration est partout. Le surgissement de l'incontrôlé nait dans des lieux vides de tout romanesque où la solitude domine. Marion rêve d'une autre vie avec Sam puis doit faire face au regard libidineux du riche client de son bureau. Du coup sans réfléchir elle vole. C'est le premier comportement pulsionnelle et donc surprenant du film qu'Hitchcock met là sobrement en scène avec l'agent déposé sur le lit. Marion n'a commis le vol que sous le coup d'une impulsion. Apres avoir discuté avec Norman, elle fait ses comptes et s'aperçoit qu'elle peut rendre de qui manque de l'argent volé, essentiellement l'achat de la voiture, avec ses économies. C'est donc en faux coupable qu'elle s'en va prendre sa douche qui semble alors la purifier du mal. C'est oublier l'identification d'Hitchcock au Dieu vengeur de l'ancien testament qui va déchainer les forces du mal sur celle qui se croit innocente.

La séquence de la douche

Cette séquence sidèrante où, Hitchcock tue sa star, Janet Leigh, au premier tiers du film est composée de 53 plans, séparés par 52 coupes selon notre découpage (corroboré par l'INA et le documentaire d'Alexandre Philippe).

Scène emblématique du film, le mérite de la séquence de la douche a été revendiqué par Saul Bass dans un magazine des années 70. Auteur d'un story-board sur les indications d'Hitchcock, Saul Bass déclara avoir dirigé la réalisation de la séquence de la douche, déclenchant des réactions indignés des collaborateurs d'Hitchcock qui déclarèrent que Saul Bass n'avait jamais été présent sur le plateau : le mythe des story-boards menaçait de priver Hitchcock du mérite de l'une de ses plus impressionnantes réussites. Les réfutations prirent la forme de descriptions détaillés de la réalisation de la scène qui étaient à la fois hyperboliques (78 plans de coupe et 7 jours de tournage) et vagues (donnant l'impression qu'Hitchcock avait travaillé sa relâche pendant sept jours de rang pour transposer sur la pellicule une vision préexistante. la réalité est à la fois plus laborieuse et magnifique ainsi que la documente Bill Krohn dans son Hitchcock au travail. Le réalisateur lui consacra sept jours de tournage. Les 10, 17, 28, 29 et 30 décembre, le tournage avec deux puis trois caméras et en présence de Janet Leigh et de sa doublure, Marli Renfro, ainsi qu'avec Anne Dore, la doublure d'Anthony Perkins (qui ne participa jamais au tournage de la scène), permirent un premier montage. Puis des plans furent rajoutés par les tournages des 11 et 12 janvier. Des prises supplémentaires des cris furent même effectuées en mars avec Janet Leigh.

En dépit de la complexité du tournage et des importantes contributions de Stefano, Bass et Tomasini et du chef opérateur John Russel, une unité d'intention se dégage du premier scénario de Stefano à la séquence finie. Comme l'a écrit Stefano, le passage à un "style montage" déchire le film et nous prive de la maitrise que nous exercions sur les événements du film par l'intermédiaire de la caméra : nous sommes soudain bombardés d'impressions trop fragmentaires et trop rapides pour être déchiffrées : nous ne percevons que des images fugaces de la lutte où les deux personnages dans le champ sont flous et déformés par la prise de vue en plongée tandis qu'entre eux, la tringle de rideau traversant l'écran en diagonale barre symboliquement la vue de l'événement.

La métaphore visuelle la plus inspirée d'Hitchcock était destinée, comme l'indique le scénario, à faire des coups de couteau de l'ombre une attaque de l'écran lui même, représenté par le rideau tailladé puis par la surface blanche du ventre intact de Marion sous le couteau prêt à frapper le nombril. En dehors des significations sexuelles des coups de Norman portés au nombril et à cette cicatrice qui symbolise la séparation d'avec la mère, le nombril est aussi un œil. Très logiquement après l'attaque, la victime est représentée par son œil sans vie ; après quoi le pouvoir de la caméra se réaffirme dans le lent travelling émérite jusqu'au journal contenant l'argent et à la fenêtre, à travers laquelle nous voyons et entendons Norman qui réagit au crime de "Maman".

La violence de cette séquence est redoublée par la bande-son. La musique de Bernard Hermann contribue pour beaucoup à la sidération qu'elle produit alors que le couteau déchirant la chair, toujours hors champ si ce n'est le plan n°30, tourné à l'envers : le début du plan pointant avec une tache de sang sur le ventre de Marion. Performance sonore aussi que le son du couteau censé pénétrer la chair de Marion... en fait un mélange de sons fabriqués à partir d'un choix de melons et de faux-filet !

Cette séquence bouleverse ainsi tous les codes hollywoodien : mort prématurée de l'héroïne, montage extrêmement rapide, avec flou, jump cut et violence sonore. Et surtout pour une fois, il ne s'agit plus de suspens mais d'une terrible surprise. Surprise qu'Hitchcock renouvelle presque cette performance avec la mort du détective Arbogast filmée de façon tout aussi surprenante et choquante. Puis c'est Lila, la sœur de Marion, qui découvre la vérité de la double personnalité de Norman Bates sous la forme de la momie de la mère. Ainsi le film est-il construit sur ces trois moments de surprise entrecoupés de temps morts (la relation de Marion et Sam dans l'hôtel, la longue fuite vers la Californie).

L'héritage de Psychose

Si l'accueil critique est d'abord mauvais (avant révision totale de ce premier jugement), le succès public est quant à lui immédiat et spectaculaire. Le film générera deux suites (Psychose 2 et 3, également interprétés par Anthony Perkins) ainsi qu'une série intitulée Bates Motel, préquelle de l'enfance du tueur. z Dans son Psycho, Gus Van Sant lui rend un magnifique hommage.

La scène de la douche devient culte et est reprise sous forme d'hommage ou de parodie dans de nombreux films :

Six scènes de douche inspirées de Psychose
La douche parodique de Phantom of paradise (Brian de Palma, 1974)
(voir : douche)
 
La douche érotique de Pulsions (Brian de Palma, 1980)
 
La douche mise en sons de Blow out (Brian de Palma, 1980)
 
Douche mise en scène avec doublure dans Body double (Brian de Palma, 1984)
 
The big shave (Martin Scorsese, 1967)
 
Psycho (Gus van Sant, 1998)

En 1959, Hitchcock pressentait que la société américaine, le cinéma américain avaient changé. Henri-Georges Clouzot avec Les diaboliques (1955) avait été surnommé le Hitchcock français. En 1959, Certains l'aiment chaud (Billy Wilder), introduit la violence jusque dans la comédie et elle se répand, larvée, dans Soudain l'été dernier (Joseph Mankiewicz) ou Autopsie d'un meurtre (Otto Preminger). C'en est fini des années 50 et des "jolies babioles en technicolor". Jusque là, la peur provenait des dires abstraits de la science-fiction ou de la politique. Là, la peur peut arriver dans l'intimité. C'est une peur comparable à celle suscitée par L'entrée du train en gare de la Ciotat (Louis Lumière, 1895). C'est aussi une peur qui ouvre la voie aux slashers (sous-genre de film d'horreur, où un tueur psychopathe élimine un à un les personnages) et blockbusters violents des années 70-80 : Les dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) ou Halloween (John Carpenter, 1978).

Jean-Luc Lacuve, le 21 octobre 2018.

Sources :