Les oiseaux

1963

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(The Birds). Avec : Tippi Hedren (Melanie Daniels), Rod Taylor (Mitch Brenner), Jessica Tandy (Lydia Brenner), Veronica Cartwright (Cathy Brenner), Suzanne Pleshette (Annie Hayworth). 2h00.

Melanie Daniels, dont le père possède un journal, rencontre dans une oisellerie l'avocat Mitch Brenner. Elle décide de le revoir trouvant comme prétexte de lui apporter le couple d'oiseaux, des "Inséparables" qu'il souhaite offrir à sa jeune sœur, Cathy. Découvrant que Mitch a quitté San Francisco pour Bogeda Bay, où Cathy et leur mère, Lydia, résident, Melanie s'y rend.

Elle fait connaissance de l'institutrice Annie Hayworth qui aime elle aussi Mitch. Mais des évènements étranges se produisent. Une mouette attaque Mélanie. Un oiseau s'écrase contre la porte d'Annie. Un groupe d'oiseaux attaquent des enfants qui participent à un goûter. Un homme est tué par des oiseaux alors même que Mitch, sa mère Lydia, Cathy et Melanie doivent faire face à une véritable invasion. A la sortie de l'école, les enfants sont poursuivis et attaqués par des corbeaux déchaînés. Annie trouvera la mort par la suite, en sauvant Cathy.

La population de Bogeda Bay est désormais confrontée à un véritable fléau.

Lydia Brenner est rassurée par Melanie pour qui elle n'avait manifesté au début que de la froideur. Melanie est attaquée avec sauvagerie par des oiseaux. Mitch réussit à l'arracher aux volatiles mais la jeune femme, dont Mitch s'est épris a été blessée. Il est indispensable de la faire soigner à l'hôpital. Mitch, Melanie, Cathy et Lydia partent alors en voiture, abandonnant leur maison alors que les oiseaux semblent avoir pris possession du paysage.

Tout autant qu'au genre fantastique, le film peut être considéré comme un précurseur des films catastrophes tels que Les dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) ne serait ce que par l'utilisation de vingt-huit milles oiseaux, certains dressés, d'autres mécaniques, reliés par des fils aux vêtements de Tippi Hedren et manipulés par une armée de spécialistes. Comme tout film catastrophe, il travaille les peurs ancestrales ou technologiques auxquelles l'humanité est confrontée.

Hitchcock en Dieu vengeur...

En 1979, Raymond Bellour conclut sa célèbre analyse de la séquence de la barque en résumant ainsi le sujet du film : "L'offre des oiseaux d'amour à un homme déchaîne sur Bodega bay la colère irraisonnée des forces primitives"(1).

En 2000, Alain Bergala(2) voyait dans le film l'une des meilleures preuves qu'Alfred Hitchcock, travaillé par la question de la création, du mal et de la culpabilité, était hanté la Genèse, à la fois comme texte (thème) et comme "imagerie" (motif). Thématiquement, la Genèse peut en effet s'analyser comme une succession de fautes et de situations misérables qui s 'en suivent : Adam et Eve désobéissent et sont chassés du jardin d'Eden. Caïn assassine Abel. L'humanité se pervertit en entraîne le déluge. Les hommes orgueilleux construisent la tour de Babel et Dieu brouille leur langage.

Dans Les oiseaux, Bergala voit notamment dans l'image récurrente du couple sur la butte, un motif déjà présent dans Soupçons et Les enchaînés, évoquant la scène d'Adam et Eve au jardin d'Eden.

Alain Bergala est particulièrement sensible au plan qui isole de son contexte spatio-temporel (la garden party pour fêter l'anniversaire de Cathy) le couple sur la butte.

renversement de l'axe à 180° pour basculer dans le jardin d'Eden (voir : la butte)

La butte entourée d'eau pouvant figurer comme une image du paradis terrestre (celui des, Très riches heures des Frères Limbourg notamment) où vont se réconcilier Mitch-Adam et Mélanie-Eve.

le jardin d'Eden (voir : la butte)

Dans un montage en champ contrechamp extrêmement rapide, trois fois la nuque et chignon de Mélanie vont troubler Mitch tout autant que les paroles cruciales que celle-ci évoque pour sa défense : si elle s'est baignée nue, elle en a maintenant honte et a réagit après une période où elle était perturbée. Cette perturbation provient de l'abandon de sa mère, à l'âge de onze ans, la laissant seule avec son père. Désormais fragile, elle a besoin d'un amour solide.

le summum de l'érotisme hitchcockien: défaire le chignon du mystère (voir : nuque 1 , 2 et 3)

La scène sur la butte prend place au moment particulièrement crucial qui précède la première attaque massive des oiseaux dont les victimes vont être les enfants, réunis dans la garden party. Après cette scène du couple qui s'affronte et semble se réconcilier, le mal va immédiatement frapper la population des innocents. C'est au moment précis où ils redescendent parmi les hommes, surveillés d'en bas par les deux femmes jalouses qui aiment Mitch depuis longtemps (Annie et sa mère) que les oiseaux lancent leur première offensive collective et organisée.

Quitter l'Eden pour un retour vers les forces primitives (voir : la butte)

Pour Alain Bergala : "La reddition de Mitch, rééditant celle d'Adam devant Eve est immédiatement sanctionnée par un dieu injuste et jaloux qui punit les enfants en envoyant ses oiseaux missiles les attaquer pour un crime originel qu'ils n'ont pas commis. Ambiguïté typiquement hitchcockienne : au moment même où il permet à Mélanie de se justifier longuement, voire de se disculper et de nous convaincre, il nous confirme sa culpabilité ontologique (elle est riche, futile et elle veut séduire un homme simple) en choisissant précisément ce moment là pour lancer dans son scénario la première grande attaque punitive des oiseaux. "

…Terrorise, tue et viole

C'est ainsi probablement Hitchcock seul qui manipule la terreur en direction de ses personnages sans qu'aucun d'eux n'en soit responsable. Les oiseaux ne sont le symbole de rien mais les outils qui rendent visible le déchaînement de violence qu'Hitchcock déploie contre Mélanie et, de façon plus moderne et plus psychotique encore, contre Tippie Hedren.

Patrick Brion(3) note que les allusions sexuelles et freudiennes du film sont multiples. Dès la première scène de rencontre entre Mictch et Mélanie, le premier parle de saison des amours et souhaite que les inséparables ne soient pas trop démonstratifs. Tout semble opposer Mitch, l'avocat qui vit dans l'ombre d'une mère possessive (comme dans Les enchaînes, La mort aux trousses et Psychose) à Mélanie, fille d'un patron de presse, désœuvrée qui se serait baignée nue dans une fontaine romaine peu de temps auparavant, n'hésitant pas à faire une centaine de kilomètres pour aller de San Francisco à Bodega bay.

Celle qui déclenche la catastrophe sur Bodega bay est ainsi sans conteste Mélanie, femme à la réputation riche et frivole, venue d'ailleurs. Elle s'oppose à ce village que son isolement provincial a protégé jusque-là des mœurs pernicieuses des grandes villes corrompues.

Le plan de regard échangé entre Annie et la mère de Mitch avant l'attaque sur la garden party pourrait évoquer un déchaînement concerté de la violence primitive sur les enfants et Mélanie. Le deuxième incident, la mouette venant s'écraser sur la porte d'Annie alors qu'elle discute avec Mélanie pourrait également évoquer la violence du désir sexuel frustré. Annie voyant immédiatement en Mélanie la rivale qui lui enlèvera définitivement tout espoir de conquérir Mitch. Enfin les attaques répétées des oiseaux dans la maison familiale pourraient évoquer la terreur de la mère de Mitch de voir partir son enfant, jusqu'alors jalousement gardé. Son désir pourrait être de voir détruire les deux inséparables qui semblent appeler l'attaque des oiseaux.

Ces explications psychologiques sont toutefois, si ce n'est contredites du moins dépassées par la violence propre au metteur en scène. Si Annie et la mère manipulent les oiseaux, alors comment expliquer qu'elles en soient les premières victimes ? L'une va mourir et l'autre devra accepter d'être celle qui faiblit, soutenue par Mélanie qui emmène Mitch avec elle.

C'est bien plutôt Hitchcock lui-même qui menace Mélanie depuis la première vision que celle-ci a des oiseaux à San Francisco juste après le sifflet d'un jeune admirateur en passant par la tache rouge qui marque son gant après avoir marqué son front dans la scène de la barque jusqu'à son apparence, défaite et ensanglantée, après l'attaque dans la maison.

Dieu vengeur et frustré (lire les différents comptes-rendus de tournage), Hitchcock se livre ici à une attaque en règle de l'apparente virginité de son actrice principale qu'il n'aura de cesse de soumettre à sa toute puissance de metteur en scène.

Jean-Luc Lacuve, le 4 janvier 2009.

Sources :

  1. Raymond Bellour, système d'un fragment P.81 à P.122, dans L'analyse du film, éditions Albatros, Paris 1979.
  2. Alain Bergala, Alfred, Adam et Eve dans Hitchcock et l'art P.111 à 125, Milan, 2000.
  3. Patrick Brion, Hitchcock, P.530 à 534, éditions de La Martinière, 2000