Soupçons

1941

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Genre : Film noir

(Suspicion). D'après Before the Fact de Francis Iles. Avec : Joan Fontaine (Lina McLaidlaw), Cary Grant (Johnnie Aysgarth), Sir Cedric Hardwicke (Le général McLaidlaw), Nigel Bruce (Beaky), May Whitty (Mrs. McLaidlaw), Isabel Jeans (Mrs. Newsham), Heather Angel (Ethel), Leo G. Carroll (George Melbec), Auriol Lee (Isobel Sedbusk). 1h39.

En 1938 en Angleterre, l'inconsistant playboy Johnnie Aysgarth rencontre la douce, riche, très sage mais naïve Lina McLaidlaw dans un train, alors qu'il essaie de voyager en première classe avec un billet de troisième. Séducteur comme à son habitude, il lui fait autoritairement la cour. Profitant de la faiblesse amoureuse qu'elle éprouve pour lui, il n'hésite pas à l'infantiliser en la surnommant sans cesse "Monkey face » (« ouistiti » dans la version française). Il la persuade plus tard de se promener avec lui. Elle est sur la défensive . Mais plus tard, à une fenêtre, elle surprend ses parents qui parlent d'elle. Ils supposent qu'elle ne se mariera jamais. Blessée, elle embrasse Johnnie.

Elle espère avoir de ses nouvelles mais Johnnie annule leur rendez-vous de l'après-midi puis disparaît. Cependant, il revient pour une partie de chasse une semaine plus tard et la charme pour finalement s'enfuir malgré la forte désapprobation de son riche père, le général McLaidlaw.

Après une somptueuse lune de miel et un retour dans une superbe maison, Lina découvre que Johnnie n'a ni travail ni revenu, vit habituellement de l'argent emprunté et avait l'intention de demander un prêt à son père. Elle le convainc de trouver un emploi et de travailler pour son cousin, le capitaine George Melbeck, agent immobilier.

Peu après, Lina apprend que Johnnie a continué à jouer malgré sa promesse d'arrêter. Pour payer une dette de jeu, il a vendu deux chaises anciennes, objets de famille, que son père lui avait offerts en cadeau de mariage. Beaky, l'ami sincère mais naïf de Johnnie, essaie de rassurer Lina en lui affirmant que son mari est très amusant et un menteur très divertissant. Elle surprend toutefois à plusieurs reprises Johnnie dans des mensonges de plus en plus importants. Il a ainsi été licencié des semaines auparavant pour détournement de fonds par Melbeck qui ne le poursuivra pas si l'argent est remboursé.

Lina écrit une lettre de rupture à Johnnie mais la déchire ensuite. Johnnie entre alors dans la pièce et lui montre un télégramme annonçant la mort de son père. Johnnie est très déçu de découvrir que Lina n'a hérité d'aucun argent, seulement du portrait de son père. Il convainc Beaky de financer un programme d'aménagement foncier extrêmement spéculatif. Lina a peur que ce soit une escroquerie et tente en vain d'en dissuader Beaky. Johnnie la surprend et l'avertit avec colère de rester en dehors de ses affaires. Plus tard, il annule le tout.

Lorsque Beaky part pour Paris, Johnnie l'accompagne à mi-route. Plus tard, la nouvelle parvient à Lina que Beaky est mort à Paris. Johnnie lui ment, ainsi qu'à un inspecteur de police en disant qu'il est parti directement. Ceci et d'autres détails encore amènent Lina à soupçonner qu'il est responsable de la mort de Beaky.

Lina commence alors à craindre que son mari complote pour la tuer pour son assurance-vie. Il a interrogé son amie Isobel Sedbusk, écrivaine de romans policiers, à propos de poisons indétectables. Johnnie apporte un verre de lait à Lina avant de se coucher, mais elle a trop peur de le boire. Ayant alors un besoin vital de s'éloigner, elle prépare sa valise pour aller quelques jours avec sa mère. Johnnie insiste pour l'y conduire en voiture. Il accélère imprudemment dans sa puissante décapotable sur une route dangereuse à côté d'une falaise. La porte de Lina s'ouvre de manière inattendue. Johnnie tend la main et son intention parait peu claire pour Lina, terrifiée. Quand il s'arrête, elle quitte la voiture et s'enfuit.

Johnnie la rattrappe et affirme qu'il avait en fait l'intention de se suicider après l'avoir emmené chez sa mère. Le suicide est la sortie du lâche, et il est résolu à faire face à ses responsabilités, au point même d'aller en prison pour détournement de fonds. Il révèle être à Liverpool au moment de la mort de Beaky, essayant d'emprunter sur la police d'assurance-vie de Lina pour rembourser Melbeck. Ses soupçons apaisés, Lina lui demande de rentrer chez eux et de se parler enfin. Johnnie refuse d'abord mais, finalement, fait demi-tour et ils repartent ensemble.

Hitchcock raconte que le problème qu'il avait eu avec Ivor Novello pour The Lodger se posait à nouveau : on ne pouvait faire d'une grande vedette un criminel. Mais si Johnnie avait bien été un meurtrier -ce qu'il est dans le livre de Francis Iles !- le film n'aurait été que l'histoire d'un séduisant criminel dont la femme découvre peu à peu - et dès lors sans ambiguïté - le comportement criminel. Le personnage principal du film aurait été l'homme et certainement pas celui de la frêle Lina. Hitchcock retrouve en effet Joan Fontaine, qu'il dirigea quelques mois seulement avant dans Rebecca, et c'est elle l'héroïne du film et non pas Cary Grant, que Hitchcock dirige ici pour la première fois avant Les Enchaînés, La main au collet et La mort aux trousses.

Lina fait de son mari un des nombreux faux coupables hitchcockiens. L'histoire est constamment observée de son point de vue et le spectateur est perpétuellement conduit par elle sur de fausses pistes. Lina imagine et visualise même (quelques années avant Le Grand Alibi, Hitchcock n'hésite d'ailleurs pas à montrer -brièvement- au spectateur une scène qui n'a jamais existé autrement que dans l'esprit malade de son héroïne) la mort de Beaky alors que ce dernier est toujours vivant et tout lui est bon pour soupçonner ce mari qu'elle croit capable de tuer. S'il lui apporte un verre de lait, c'est pour l'empoisonner, s'il l'emmène en voiture, c'est pour le précipiter dans le vide et si le malheureux Beaky est mort ce ne peut-être que de la main de Johnnie.

La première leçon du film est que Lina, au début, n'aimait sans doute pas assez son mari pour ne pas douter de lui. Comme si son mariage n'avait été dans un premier temps que le moyen d'échapper à sa famille et notamment à l'autorité trop envahissante de son père. Elle apparait comme une femme sexuellement frustrée. Sa manière de coiffer ses cheveux et ses lunettes sont les attributs évidents de la jeune femme célibataire, incapable de se marier. Ce n'est pas une coïncidence si l'une des scènes montre Lina entendant ses parents déplorer cette situation ! Comme plus tard Marnie, elle préfère la compagnie des chevaux à celle des hommes et croit qu'il suffit de leur passer un mors au dent pour les dresser.

Ce ne sera qu'à la fin que Lina, débarrassée de ses doutes, pourra pleinement aimer son mari, consciente des heures et des jours gâchés par la faute de ses soupçons insensés. L'habileté avec laquelle Hitchcock passe de la comédie romanesque au drame criminel n'est pas pure virtuosité mais pourrait nous signifier qu'il n'est pas d'amour possible sans épreuve. Pour l'avoir sous-estimée, Lina aura dû aller au fond de son angoisse avant que la dernière scène du film - la conversation de Lina et de Johnnie après la séquence dramatique de la voiture- n'agisse comme une catharsis, la libérant de ses soupçons.

Dans Le cinéma selon Hitchcock (cinéma2000/Seghers, p.162-163) :

F.T. : A part ça, êtes vous content de Soupçons ?
A.H. : Seulement dans une certaine mesure. Les éléments qui constituent un film de ce genre ne m’ont pas plu. Les salons élégants, les escaliers somptueux, les chambres à coucher de luxe, etc. C’était le même problème qu’avec Rebecca, un paysage anglais reconstitué en Amérique. Pour cette histoire, j’aurais aimé disposer d’un cadre authentique. Un autre désavantage était la photographie trop brillante. Mais avez-vous aimé la scène du verre de lait ?
F.T. : Lorsque Cary Grant monte l'escalier, c'est très bien.
A.H.: J'avais fait mettre une lumière dans le verre de lait.
F.T : Un projecteur dirigé vers le lait ?
A.H. Non, dans le verre. Parce qu'il fallait que ce fût extrêmement lumineux. Cary Grant monte l'escalier et il fallait que l'on ne regardât que ce verre.
F.T. : C'était très bien, vraiment...

Jean-Luc Lacuve, le 10 novembre 2007.

Test du DVD

Editeur : Montparnasse. Octobre 2007. Format: 1.37.

Coffret Cary Grant

L’impossible Monsieur Bébé (Howard Hawks, 1938) Mon épouse favorite (Garson Kanin, 1941) Soupçons (Alfred Hitchcock, 1941), Lune de miel mouvementée (Leo McCarey, 1942), Un Million clés en main (H.C. Potter, 1948).