The pleasure garden

1925

Voir : photogrammes
Genre : Mélodrame

(Irrgaten der leidenschaft). Avec : Virginia Valli (Patsy Brand), Carmelita Geragthy (Jill Cheyne), Miles Mander (Levett), John Stuart (Hugh Fielding). 1h30 en version restaurée.

Un soir, Patsy danseuse au Pleasure garden recueille chez elle Jill, une jeune provinciale qui vient de se faire voler son argent et une lettre de recommandation pour devenir danseuse. Grâce à Patsy, Jill est embauchée par le music hall et connaît rapidement le succès. Elle délaisse alors Patsy mais aussi son fiancé Hugh Fielding à qui elle avait promis fidélité alors qu'il s'appretait à partir pour les colonies. Quand à Patsy, elle épouse Levett rencontré par l’intermédiaire de Jill et Hugh. Ils passent leur lune de miel sur les bords du lac de Côme.

Levett part à son tour travailler dans une plantation dans une colonie en promettant à Patsy qu’elle le rejoindra une fois qu’il en aura les moyens financiers. Mais une fois sur place, Levett retrouve une ancienne maîtresse et ne se soucie plus de sa femme. Patsy, qui lui écrit régulièrement sans jamais obtenir de réponse, reçoit enfin une lettre, mensongère, de son mari expliquant son silence par la maladie. Patsy parvient difficilement à réunir l’argent pour le rejoindre et lui porter secours. Jill, riche depuis son mariage avec le prince Ivan, refuse de lui prêter la moindre somme et c'est finalement le couple de logeurs de Patsy qui lui permet de partir.

Sur place, Patsy surprend Levett dans les bras de sa maîtresse et retrouve Hugh, malade et bouleversé par la nouvelle du mariage de Jill son ex-fiancée. Fiévreux, il croit reconnaître Jill en Patsy qui est à son chevet et l’embrasse, sans que Patsy n’oppose la moindre résistance. Levett assiste à la scène. Patsy se résout à retourner s’occuper de lui. Devenu fou, il la poursuit avec un sabre pour la tuer. Il est arrêté in extremis dans son geste par un coup de revolver qui l’achève. Patsy et Hugh se retrouvent et rentrent chez eux où ils sont accueillis à bras ouverts par le couple de logeur et le chien de Patsy.

Après trois années de restauration par le British film institute (BFI), le festival Lumière a montré, en octobre 2012, une version complète du premier film d'Hitchcock, The pleasure garden sorti en Allemagne le 3 novembre 1925 et en Grande-Bretagne le 14 janvier 1927. Cette production Michael Balcon et Erich Pommer (Gainsborough, Emelka) a été tourné aux studios Emelka (Munich) et en extérieurs à Gênes sur le lac de Côme et à san Remo. Une remontée dans le temps qui offre le plaisir de retrouver, dès ce premier film, la trace des suivants.

The pleasure garden qui existait sous deux versions différentes a retrouvé une unité, sans que l'on puisse cependant affirmer que cette nouvelle version soit celle souhaitée par Hitchcock. Les nouveaux plans portent la durée du film de 1h15 à 1h30. Parmi les séquences reconsidérées, celle de la lune de Miel sur les bords du lac de Côme (c'est là que Hitchcock passera la sienne un an plus tard avec son assistante et monteuse Alma Reville devenue sa femme) gagne en longueur sans apporter de nouveaux éléments dramatiques. On notera tout de même le gros plan sur une pomme tout juste croquée en ouverture de la séquence du réveil de Patsy après sa nuit de noce. Cet éclairage symboliquement insistant fait aujourd'hui sourire, mais il pourrait en effet être l'un de ces condensateurs d'intrigue dont Hitchcock avait le génie. A ce titre, la composition du plan de présentation de Mr Hamilton est exemplaire : l'attitude décomplexée d'un homme en smoking et chapeau haut de forme fumant son cigare alors qu'un écriteau indique dans le cadre « smoking prohibited » le désigne tout de suite avec un humour typiquement hitchcockien comme le propriétaire du music hall.

Autre séquence développée, celle de Patsy en attente de nouvelles de son mari parti aux colonies, ainsi qu'un gag qui apporte un nouvel éclairage sur le personnage de Hugh. Dans la version courte en circulation, Hugh découvre directement le mariage de sa fiancée avec le prince Ivan dans le journal. Dans la version restaurée, Hugh est montré comme un amoureux un peu naïf : il brandit avec fierté un article consacré à la carrière artistique de sa fiancée dans le journal. Mais il ne l'a lu que que de façon partielle. C'est Levett qui dévoile, cynique, la partie manquante informant du mariage de Jill.

Enfin, plusieurs plans renforcent le rôle du couple de logeurs dans le film. Bienveillants pour Patsy (ils rappellent les personnages des parents de la jeune Daisy dans The lodger, réalisé un an plus tard), mais aussi rigolards et rustiques, ils sont au centre de quelques moments de drôlerie. Une séquence les montre singeant les manières de Jill, une autre, beau moment de burlesque, les montrent en équilibre sur un buffet tentant d'accéder à l'argent qu'ils prêteront à Patsy.

Mais le plaisir de retrouver dans ce premier film les traces des suivants est resté, lui, toujours intacte. Le regard coquin d'Hitchcock et son plaisir à diriger le spectateur est palpable dans la séquence de déshabillage des deux jeunes femmes (qui ne sont pas encore blondes dans ce film mais le deviendront à partir de The lodger). Le réalisateur exploite toute la puissance suggestive du hors champ en montrant les jeunes femmes ôter leurs vêtements en plan serré sur leur visage. Mais il renforce la présence de la nudité dans la scène en ajoutant un plan sur les robes qui tombent sur le sol. Truffaut remarqua à propos de cette séquence dans ses fameux entretiens que les personnages féminin étaient représentés à l'écran comme un couple : l'une porte une chemise de nuit, l'autre un pyjama. Et Hitchcock de raconter l'expérience érotique dont il avait été témoin peu de temps avant lors de son premier séjour à Berlin, se retrouvant invité par deux lesbiennes dans une chambre d'hôtel... Difficile de ne pas se souvenir non plus du rapport ambiguë entretenu par Mrs Danvers et son ancienne maitresse dans Rebecca, son premier film américain.

Le traitement des deux jeunes femmes annonce aussi la dualité Madeleine/Judy de Vertigo. En effet, la composition du plan de leur rencontre dans le hall du music hall nous les montrent très clairement comme le reflet l'une de l'autre. La verticalité de la porte joue le rôle de ligne de symétrie, accentuée par la frontalité du cadrage, par leur jeu et par leurs ressemblances physiques. Le montage parallèle de leur parcours respectif souligne le contraste absolu de leur caractère : l'une est honnête, douce et aimante. L'autre est vénale, calculatrice et intéressée. Comme si elles composaient à elles seules, les deux faces d'une même médaille. Trente cinq ans avant Psycho, Hitchcock travaillait déjà à l'écran la schizophrénie de Norman Bates.


Cécile Paturel le 22/10/2012.