Rosmary's baby

1968

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Genre : Fantastique

D'après le roman d'Ira Levin. Avec : Mia Farrow (Rosemary Woodhouse), John Cassavetes (Guy Woodhouse), Ruth Gordon (Minnie Castevet), Sidney Blackmer (Roman Castevet), Maurice Evans (Hutch Hutchins), Ralph Bellamy (Abraham Sapirstein), Victoria Vetri (Terry Gionoffrio), Patsy Kelly (Laura-Louise), Elisha Cook Jr. (M. Nicklas), Emmaline Henry (Elise Dunstan). 2h15.

Un couple de jeunes mariés, Rosemary et Guy Woodhouse, un comédien, s'installe dans un vieil immeuble de New-York. Leur ami, Hutch, les a prévenus que cette maison a la réputation d'être maléfique. Les voisins du couple sont Roman et Minnie Castevet, gens d'un certain âge, extrêmement serviables, mais qui provoquent cependant en Rosemary un certain malaise, tandis que Guy est subjugué. Terry, une jeune fille que Rosemary a prise en affection, se suicide en se jetant par une fenêtre. Après un cauchemar étrange au cours duquel il lui semble être possédée par le démon, Rosemary s'aperçoit qu'elle est enceinte.

Sur les conseils de Minnie, elle consulte le docteur Sapirstein qui lui ordonne un médicament qui déclenche chez elle de terribles douleurs. Rosemary se dispute avec son mari, elle maigrit et son inquiétude devient de l'angoisse. Hutch, qui a dû être transporté d'urgence à l'hôpital, est mort en lui laissant un livre "Ils sont tous Sorciers" et un message : "Le nom est un anagramme". Rosemary tient la preuve qu'elle est le jouet de sorciers car, en feuilletant l'ouvrage, elle est tombée sur une photographie avec cette légende : "Paris 1889 - Adrian Marcato et son fils Steven Marcato" : Roman Castevet, c'est l'anagramme de Steven Marcato dont le père a été condamné à mort pour exercice de magie noire !... Elle va se réfugier dans la clinique du docteur Hill. Mais Guy et le docteur Sapirstein l'obligent à revenir à la maison. Elle accouche mais on lui annonce que son enfant est mort.

La nuit, Rosemary croit entendre les cris d'un nouveau-né provenant de l'appartement des Castevet. Elle y pénètre, armée d'un couteau, et découvre Roman, Minnie et Guy devant un berceau tendu de noir, surmonté d'un crucifix à l'envers. Regardant à l'intérieur, elle hurle de terreur à la vue du bébé qui s'y trouve. Puis, après avoir longuement contemplé l'assemblée, Rosemary s'approche à nouveau du berceau pour chanter doucement une berceuse...

Sans jamais insister sur un plan ou sur un évènement de l'histoire, Polanski réussit l'exploit de nous faire croire à l'incroyable. Guy a bien vendu le corps de sa femme à Satan pour obtenir les rôles dont il avait besoin, Rosemary a bien été violée par le diable. Apres avoir connu de façon démultipliée les angoisses de la maternité, elle donne naissance à l'enfant de Satan qu'elle finit par accepter. Ainsi tout en jouant pleinement la carte du fantastique, Polanski dresse un terrible portrait de la société américaine de la fin des années 60, prête à vendre ses rêves de bonheur simple contre une gloire démoniaque.

La belle et la bête

L'héroïne du Film, celle dont le nom s'inscrit avant le titre du film lors du générique c'est Mia Farrow. L'écriture rose cursive de ce générique renvoie à ses rêves de bonheur simple; sa robe blanche, sa volonté d'éclairer les pièces sombres de leur appartement du Bromford (en réalité le Dakota building de Central Park) disent la pureté de ses rêves, son innocence et sa candeur.

En face d'elle, Guy incarne un mari d'autant plus démoniaque que sa duplicité est longtemps gardée hors champ. C'est probablement le second soir qu'il passe un pacte avec ses voisins qui lui promettent d'envouter le comédien qui a obtenu le rôle qu'il convoitait s'il parvient à obtenir un de ses effets personnels (sa cravate) tout comme il éloignera Hutch en leur donnant l'un de ses gants. C'est ce que comprendra Rosemary en téléphonant au comédien devenu aveugle. Il est toujours possible de croire Guy et le docteur Sapirstein innocents. Mais alors, pourquoi déclarent-ils à Rosemary qu'elle a perdu son enfant ? Il faudrait alors considérer toute la fin, depuis les cris d'enfant entendus chez les Castevet comme un fantasme, ce que rien ne vient signifier.

Est-il pour autant raisonnable de croire à la séquence du cauchemar durant laquelle Rosemary est violée ? Celle-ci a déjà été victime d'un premier cauchemar et celui-ci pourrait donc être le second. Peut-être Guy a-t-il simplement donné leur enfant à la secte en échange de son influence. Il est pourtant plus simple de croire en l'existence du diable, telle qu'elle est permise par le genre fantastique. Le premier plan du film, celui sur lequel se déroule le générique, invite à cette croyance dans une dimension orthogonale à celle de la raison. Le plan débute avec un panoramique droite gauche qui vient découvrir, sur fond de ciel bleu, au creux des immeubles moderne, le sombre Dakota building de Central Park. La camera panote alors verticalement pour en saisir l'entrée en une violente plongée verticale. La bête, le monstre archaïque, est tapi là.

Fantastiquement humain

Que Polanski joue pleinement la carte du fantastique n'empêche pas, bien au contraire, qu'il y introduise d'évidentes dimensions métaphoriques. Le prénom même de l'héroïne, un combiné des rêves rose bonbon de la maternité, et de la blancheur de la vierge Marie sont autant de prétextes à rendre malade jusqu'à l'écœurement cette héroïne si candide. Rosemary été élevée dans la tradition catholique et son premier cauchemar, suite à la mort de Terry, se situe probablement dans l'église catholique où elle a été éduquée. Elle semble ici prendre sur elle la responsabilité de la mort de Terry puisque la mystérieuse faute commise autrefois conduit à murer une fenêtre, qui renvoie sans doute à la défenestration de Terry. Dans le second cauchemar, Hutch est laissé à quai car il n'est pas catholique. Seuls les catholiques embarquent ainsi dans la dimension de l'imaginaire. Dans celle-ci Guy, qui a revendiqué son athéisme, peut bien se révéler le diable. C'est une image de Guy, presque métamorphosé par des plaies pestilentielles, qui précède le célèbre plan des yeux du diable. La coupe de cheveux que Mia Farrow s'impose au début de sa grossesse en fait une nouvelle Falconetti vivant à nouveau La passion de Jeanne d'arc de Dreyer.

Aux angoisses classiques de la maternité se superpose la peur de l'abandon par son mari en pleine ascension professionnelle. Le fameux cauchemar initié par le dessert de Minnie au cours duquel Rosemary est violée par le diable peut être décomposée en trois parties dont seule la fin est diabolique. Toute la première partie, la plus longue, explique le processus du voyage dans l'imaginaire. Rosemary se retrouve sur un curieux bateau où se trouvent quelques jeunes femmes sexy et un capitaine qui va refuser de prendre Hutch à bord car il n'est pas catholique. Ainsi, seuls ceux dont l'imaginaire catholique permet la croyance au diable peuvent s'embarquer. Dans un second temps, Rosemary se voit retiré son anneau de mariage de sa main ce qui évoque peut-être pour elle l'inverse du geste par lequel Dieu créa Adam puisqu'elle se retrouve instantanément transportée sous la voûte de la chapelle Sixtine devant trois fresques de Michel Ange.

Voir les trois parties du cauchemar : Malade, abandonnée, viol

Après la fresque de la création du soleil et de la lune qui précède celle de la création d'Adam vient puis après un renversement d'axe celle du voûtain où figure un mystérieux personnage prostré, effondré. En son centre un crâne de bélier préfigure l'épisode satanique. Avant cela Hutch tente un dernier rappel à l'odre dans un curieux habit de chasseur de papillon en plein désert et semble happé par une vague. C'est alors le retour au bateau mais, cette fois, Rosemary est nue et, lorsque elle descend dans la cale où la braise rougeoie, c'est pour être soumise au diable.

Rosemary, désespérément seule, sans parents, sans ami depuis la mort de Hutch, verse dans une paranoïa du complot et peut même imaginer un pacte faustien passé par son mari avec des puissances non catholiques pour accéder à la gloire.

Jean-Luc Lacuve le 26/04/2012

Bibliographie : Youri Deschamps, Elle et l'huis clos, Eclipses-revue de cinéma.