Beetlejuice

1988

Voir : Photogrammes : L'aspect gothique du film

Avec : Alec Baldwin (Adam Maitland), Geena Davis (Barbara Maitland), Michael Keaton (Betelgeuse), Winona Ryder (Lydia Deetz), Catherine O'Hara (Delia Deetz), Gleen Shadix (Otho), Sylvia Sidney (Junon). 1h32.

Adam et Barbara Maitland, mariés et heureux, périssent noyés dans un accident d'automobile. Ils sont condamné à hanter durant 125 ans leur maison où s'installent bientôt les Deetz. Le père, Charles est venu chercher le calme, alors que Delia, sa nouvelle épouse branchée et prétentieuse, regrette New York où elle tentait vainement d'imposer ses sculptures ridicules. Lydia, la fille de Charles, est une néo-punk gothique qui ne s'intéresse qu'à la photographie. La famille Deetz est accompagné de Otho, le décorateur névrosé de Delia, qui se pique de spiritisme.

Le couple de fantômes désire ardemment chasser ces nouveaux arrivants qui, mise à part la jeune fille, ne partagent ni leurs goûts ni leurs culture mais échouent à plusieurs reprises usant de trucs éculés et de ruses grossières.

Les Maitland se tournent alors vers un "bio-exorciste", Betelgeuse afin de chasser les occupants. Celui-ci, chassé de l'enfer par sa déesse Junon, a une conception aussi grotesque qu'obscène de la mort. Il est renvoyé par Barbara. Betelgeuse jette néanmoins un sort sur les Deetz le soir où ils reçoivent un couple branché de New-York convié par Delia.Tous sont pris de convulsions et condamnés à danser.

Au desespoir des Maitland, les Deetz sont enchantés de ce tour et songent à faire de leur manoir un centre de para-psychologie qui attirera le tout New York. Lydia, qui leur a révélé qu'elle connaissait les fantomes est chargée de négocier avec eux.

Les Maitland sont retournés en enfer chercher de l'aide et Lydia est bien prêt de faire sortir Betelgeuse de sa cachette. Il lui suffit de prononcer trois fois son nom même approché phonétiquement en Beetle juice (Jus de cafard) selon la mauvaise charade proposée par Betelgeuse. Elle en est empêché de justesse par Barbara.

Otho ayant volé le livre des morts, il organise une séance de spiritisme pour forcer les Maitland à devenir l'attraction du centre mondial de parapsychologie projeté. La séance tourne au drame, Barbara puis Adam menacent de redevenir poussière. Lydia se résoud à faire revenir Betelgeuse. Pour rompre sa dépendance vis à vis de Junon, celui-ci oblige la jeune fille à l'épouser. Mais, avant que la maire venu des morts ne les marie, Barbara, montée sur un vers des sables venu de Saturne le précipite sous terre.

Cette épreuve a rapproché les Deetz des Maitland et les premiers laissent aux seconds l'éducation de leur fille. Lydia pourra ainsi développer ses dons de spirite et danser avec les fantômes de l'équipe de base-ball.

C'est par dérision envers ceux qui entre le XII et le XV essayèrent d'imposer une architecture flamboyante qui osait s'opposer au style roman qu'apparut le terme gothique. Celui-ci fut repris pour désigner le gothique littéraire, celui initié par Le château d'Otrante d'Horace Walpole. Il servi aussi, affublé du préfixe néo, à désigner le gothique architectural de Christopher Wren et la littérature anglaise fantastique de la fin du XIX. Enfin, il désigna le style neo-punk des années 1980.

Beetlejuice ou l'affirmation d'un univers gothique.

Le gothique s'inscrit ainsi dans le grand mouvement de balancier qui fait alterner, selon les époques, le goût classique et le goût baroque. Il donne une existence aux puissances du mal, au macabre, à la terreur d'un monde infernal après la mort. Il met l'accent sur les sombres périphéries qui entourent un centre menacé de toutes parts. C'est un monde archaïque et presque réactionnaire que rénovera l'expressionnisme au début du vingtième siècle en faisant s'opposer, cette fois-ci au cœur de l'individu, le bien et le mal, l'ombre et la lumière, la terreur et la félicité.

L'univers de Tim Burton relève davantage du gothique littéraire et architectural du XVIII que de l'expressionnisme du XXeme. Il trouve son premier accomplissement visuel dans Beetlejuice. Pee Wee, même s'il s'agissait d'une sorte de développement de son court-métrage Frankenweenie, est un sujet imposé à Burton par la Warner Bros pour réaliser son premier long-métrage. Le scénario de Michael McDowell dont l'intrigue le fait rire sur le thème de la mort est en revanche un choix très personnel dans lequel Burton se lance avant même que le script ne soit terminé

Les gothiques vivent à l'écart du monde

Le générique durant lequel on survole une forêt pour atteindre un petit village à l'écart du monde relève de ce goût pour l'éloignement caractéristique du gothique. La forêt sera toujours pour Burton un passage vers l'autre monde. Batman vivra reclus au-delà d'une forêt inquiétante. Dans La planète des singes, Leo, accompagné de quelques humains s'échappera de la ville simiesque par la dense forêt qui l'entoure. Dans Big fish, une forêt maléfique entoure la ville. La forêt marque ici l'éloignement par rapport au centre de New York duquel Charles Deetz veut fuir après sa dépression nerveuse.

L'arbre est également un motif lié à la forêt dont on trouve ici une première mise en valeur. Vestige d'un passé inquiétant et mystérieux, c'est de lui dont surgira Le cavalier sans tête pour exécuter ses basses besognes. Et Jack Skellington sera transporté dans le monde merveilleux de Noël par une ouverture dans un arbre magique. Ici, vivant et incliné, il fait pendant à la maison alors que, mort dans le cimetière, il indique la présence de Betelgeuse.

Les portes vers l'autre monde sont ici un motif facilement repérable depuis la porte ouvrant sur Saturne jusqu'à celle qui fera apparaître le maire macabre pour la cérémonie du mariage entre Betelgeuse et Lydia en passant par celle que dessine Adam pour demander de l'aide aux autorités fantomatiques.

Cette obligation pour les Maitland de vivre à l'écart du monde réel, entourés de mondes périphériques menaçants ne fait que répondre à leur désir le plus cher. Non seulement ils ne rêvaient que de passer leur vacances chez eux sans chercher de destination exotique mais Adam s'était construit un monde à part au grenier, une maquette dont il chasse la vie (l'araignée du début) par la fenêtre.

La jeune Lydia Deetz, adolescente morbide avec ses habits noirs et son teint pâle, héroïne burtonienne par excellence, différente et innocente, qui a du mal à s'intégrer dans le monde formalisé des vivants, souhaite elle se bâtir une chambre noire à la cave pour développer les photos qu'elle ne cesse de prendre comme plus réelles que le monde réel.

Le gothique des églises et des cimetières

Les contre-plongées par lesquelles est filmée la maison des Maitland accentuent l'allongement des façades pour les faire ressembler aux flèches élancées de l'architecture gothiques. Burton en dessinera de semblables pour le Gotham de Batman ou pour La planète des singes.

En l'état, la maison possède un style gothique, surtout lorsqu'elle est noyée d'orange, qui fait penser au château de style médiéval sur la colline de Strawberry Hill que se fit construire Horace Walpole le père du genre littéraire gothique avec Le château d'Otrante (1764).

En contre-bas du manoir est le cimetière où vit Betelgeuse. C'est là qu'on le découvre lisant le journal des décès. C'est là, en creusant sous la maquette de carton, que le trouveront Adam et Barbara. Betelgeuse, diable chassé du paradis des enfer par Junon habite naturellement sous terre. Diable érotomane, il est une première incarnation du Joker de Batman. Sa proximité avec les gargouilles du cimetière lui sera aussi fatale que celle du Joker qui chutera du haut de la cathédrale.

Il faudra un saint Georges féminin, Barbara chevauchant le vers des sable venu du ciel de Saturne, pour le faire redescendre sous terre après qu'il eut vainement tenté de se marier avec Lydia.

Un happy-end de comédie

La ruse des têtes coupées pour chasser les Deetz était bien trop grossière et en rien effrayante comme le sera Le cavalier sans tête. Les Maitland, propres et lisses, sont bien trop charmants pour vivre avec les morts-vivants de la salle d'attente de l'enfer. Bricolés et désarticulés, ils préfigurent ceux que l'on retrouvera dans Les noces funèbres. Ils ne sont vraiment pas une compagnie pour Adam et Barbara qui ne fument même pas comme le malheureux cancereux noiratre.

Dans le sombre Sweeney Todd aucune grâce ne sera accordée à ceux, trop solides qui occupent le centre. Réfugié à la cave ou au grenier, Sweeney Todd tuera le tout-Londres affairé des rez-de chaussé, criminels, commerçants et poètes. Ici une sorte d'équilibre est trouvé entre morts et vivant avec le livre, sorti de nulle part, qui est dédié à ce sujet, avec le grenier qui permet aux morts de vivre au-dessus des vivants et Lydia qui sert d'intermédiaire. C'est pourquoi le film peut se terminer comme une comédie avec Lydia dansant avec les fantômes de l'équipe de base-ball.

Beetlejuice, malgré son thème, la mort, rencontre un important succès au box-office américain. Ce triomphe permet à Tim Burton de se voir offrir la possibilité de diriger une grosse machine : Batman.

Jean-Luc Lacuve le 27/08/2009