Après avoir croupi pendant quinze ans dans une prison australienne, Benjamin Barker s'évade et regagne Londres avec une seule idée en tête : se venger de l'infâme Juge Turpin qui le condamna pour lui ravir sa femme, lucy, et son bébé, Johanna. Adoptant le nom de Sweeney Todd, il reprend possession de son échoppe de barbier, située au-dessus de la boulangerie de Mme Nellie lovett. Celle-ci l'informe que Lucy se donna la mort après avoir été violée par Turpin.
Lorsque son famboyant rival Pirelli menace de le démasquer, Sweeney est contraint de l'égorger. L'astucieuse Mme Lovett vole à son secours : pour le débarrasser de l'encombrant cadavre, elle lui propose d'en faire de la chair à pâté, ce qui relancera du même coup ses propres affaires.
Sweeney découvre que Turpin a maintenant des visées sur Johanna, qu'il séquestre avec la complicité de son âme damnée, le Bailli Bamford. L'adolescente a attiré les regards d'un jeune marin, Anthony, celui-là même qui avait sauvé Sweeney lors de son évasion. Amoureux fou de la jeune innocente, Anthony se promet de l'épouser après l'avoir arrachée à Turpin.
Pendant ce temps, le quartier de Fleet Street s'est entiché des "tartes" très spéciales de Mme Lovett, et celle-ci se prend à rêver d'une nouvelle vie, respectable et bourgeoise, avec Sweeney pour époux et Toby, l'ancien assistant de Pirelli, comme fils adoptif. Mais Sweeney est bien décidé à mener à terme sa vengeance, quel qu'en soit le coût...
Des quatorze films de Tim Burton, celui-ci est certainement le plus noir, une inflexible tragédie musicale où le héros n'a aucune chance d'échapper à un avenir gothique régressif qui l'éloigne du monde.
Un univers gothique
Le sentiment gothique tel qu'il transparaît dans les romans anglais puis français au début du XVIIème présente la plus grande méfiance envers les machines et l'avenir heureux et efficace que lui promet l'industrie. Les engrenages du début semblent avoir besoin du sang humain pour faire fonctionner leurs rouages.
Les rouages sont ceux de la seule machine que Swenney construira, ce fauteuil de barbier dont il provoque la bascule vers le sous-sol d'une simple pression du pied sur une pédale. Cette machine infernale rappelle la chaîne de montage dans Edward, ou la chaîne industrielle dans Charlie alors que le four rappelle le supplice de la vierge de fer dans Sleepy Hollow. C'est la marche vers la mort de la société industrielle promise à tous tel le sang déversé à flot dans les égouts puis la Tamise qui envahira bientôt toute la société contemporaine
L'attaque sociale est ici particulièrement vive. L'attaque classique que l'on retrouve chez lui contre les notables bourgeois (le juge Turpin), l'autorité, le père, la justice bourgeoise et l'église est étendue ici à toute la société londonienne (bourgeois, prêtre, avocats, militaires, vicaires, jolis coeurs poètes). Ce ne sont pas des figures repoussantes que Sweeney exécute sur le fauteuil mais des personnages plutôt nobles et dignes. Leur seul tord : occuper la place centrale de la ville.
Sweeney a bien garde ne pas occuper le niveau médian de la ville, dévolu au commerce. Il n'existe qu'au grenier ou dans les égouts à la recherche de Toby. Le film se déroule aussi dans deux autres lieux marginaux : l'asile où est enfermée Johana et la scène de théatre ou Pirelli fait son numéro.
Le kitsch impuissant
Antony et Johanna seront finalement épargnés dans ce drame sanglant mais il n'est pas bien sur que cette dernière échappe aux cauchemars qui la hante. Contrairement à Big fish ou Sleepy Hollow toute transmission est interdite. Toby devient assassin et ne possède plus de protecteur. Dans Sleepy Hollow, certes très noir, la neige finale venait bénir la famille d'adoption lors du retour à Londres d'Edward et de Katerina. Tout recours au conte comme élément salvateur est refusé ici. Sur la scène de théâtre c'est un Pirelli inquiétant et maltraitant Toby qui apparaît : il était pourtant l'ancien apprenti d'Edward et aurait pu être un fils adoptif.
Le gothique kitsch omniprésent chez Burton et qui d'habitude ressource le personnage dans la régression (la maison de Pee-wee, la ville sous la neige de L'étrange Noël) figure ici sous forme d'une séquence de rêve avec le maillot de bain démodé à rayures, et la petite citée balnéaire.
De Sweeny ne restait non contaminée qu'une blanche mèche de cheveux blanc. C'était bien insuffisant face aux redoutables reflets d'argent de ses rasoirs de barbier. Le gentil Edward a vu ses doigts ciseaux remplacés par des rasoirs et s'est transformé en un sinistre et amoral barbier assassin. Le suicide final n'est pas sans rappeler un autre film où l'on se tranchait déjà la gorge en chantant : une chambre en ville de Jacques Demy.
Le romantisme évacué
Il restait encore un fond de romantisme dans le thème classique de la vengeance. Dans le western (de L'homme de la plaine à Et pour quelques dollars de plus) ou dans le film d'horreur, où il est prétexte à déchaînement d'hémoglobine et ballet de carotides tranchées, le personange peut sortir libéré de la violence. Burton l'avait traité en ce sens dans Batman où celui-ci vengeait ses parents assassinés puis dans Batman, le retour avec le pingouin qui cherche à se venger des parents qui l'ont abandonné et d'une ville qui ne l'aime pas et l'a condamné aux égouts.
Ici on peut noter une proximité thématique avec la vengeance
du Comte
de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas : condamné à tort et spolié
de sa vie, le héros revient se venger sans dévoiler son identité.
Les points communs sont nombreux : En (1815 / 1847), (Edmond Dantès / Benjamin Barker) condamné
à tort par un homme (Albert de Mortcerf / Turpin) qui convoite sa femme
(Mercede / Lucy) est envoyé au bagne pour 20 ans. Il s'évade
et revient sous un nom d'emprunt (Monte-christo / Sweeney Todd) se venger
avec le soutient d'une nouvelle compagne (Haydée / Ms Lovette).
Les différences sont néanmoins tout aussi nombreuses : on ne trouva pas trace ici du romantique abbé Faria et ses richesses. Edmond Dantes ne tue que ceux qui l'ont spolié de sa vie (Albert de Mortcerf, Le juge de Villefort, Caderousse) et non pas toute la ville. Edmond épargne le fils de Mercedes et d'Albert et s'en retourne, apaisée, avec Hydée. Ici il meurt après avoir tué Ms Lovette et Lucy. Johanna n'est pas très sur d'échapper à ses cauchemars.
Jean-Luc Lacuve, le 15/02/2008
La première apparition de Sweeney Todd date de 1846, dans une nouvelle de Thomas Peckett Prest intitulée The String of Pearls : A Romance et publiée à Londres par The People's Periodical. Le récit s'inspire de faits plus ou moins avérés. Un barbier londonien du XIXe siècle qui, par cruauté, folie et cupidité, tranche la gorge de ses clients et se débarrasse de leurs cadavres avec la complicité de sa maîtresse qui en farcit les friands à la viande qu'elle vend dans sa boutique. Les éléments de cette histoire, meurtre et cannibalisme, ont assuré son succès et sa pérennité.
L'histoire de Sweeney Todd a d'abord été adaptée au théâtre, à Londres, en 1847 sous le titre Sweeney Todd, the Demon Barber of Fleet Street. Après deux adaptations au cinéma en 1926 et 1928, un film a été réalisé en 1936 par George King sur le même scénario et avec le même titre que la pièce de théâtre. L'histoire a aussi donné lieu à des versions radiophoniques et à des téléfilms, notamment sur ITV, à la BBC et sur BSkyB (dont un téléfilm en 1998 avec Ben Kingsley dans le rôle titre).
En 1973, l'auteur britannique Christopher Bond écrit pour le théâtre une nouvelle adaptation intitulée Sweeney Todd. C'est cette version qui sera transposée sous forme de comédie musicale par Stephen Sondheim en 1979 et adaptée au cinéma par Tim Burton; Elle présente le personnage principal comme une victime de la société. Condamné à tort par un juge corrompu qui désire sa femme, le barbier Benjamin Barker est exilé en Australie. Il s'évade 15 ans plus tard et, sous le nom de Sweeney Todd, retourne à Londres, Fleet Street où il espère retrouver sa femme et sa fille et reprendre sa vie d'antan. Mrs Lovett, qui tient une boutique de meat pies (friands, ou tourtes à la viande) en dessous de son échoppe de barbier et qui a toujours été plus ou moins amoureuse de lui secrètement lui apprend que sa femme s'est empoisonnée et que le juge a adopté sa fille qu'il tient prisonnière. Le barbier décide de se venger et de tuer son bourreau et le complice de celui-ci, le bailli. Mais il laisse échapper le juge une première fois et se met à tuer ses clients, dont Mrs Lovett accommodera les cadavres en tourtes, très appréciées d'ailleurs de sa clientèle. Commence alors un carnage qui culmine par l'assassinat du juge, celui de sa femme devenue folle (qu'il tue avant de la reconnaître, il apprend ensuite de Mrs Lovett qu'elle s'était bien empoisonnée mais que sa tentative de suicide avait échoué), l'assassinat ensuite de Mrs Lovett, brulée vive par le barbier lorsqu'il apprend qu'elle lui avait caché que sa femme vivait encore, et la propre mort de Sweeney Todd, assassiné par le petit protégé de Mrs Lovett.