3 aventures de Brooke

2018

(Xingxi-desan-ciqiyu). Avec : Xu Fangyi (Brooke / Xingxi), Pascal Greggory (Pierre), Ribbon Ribbon (Ailing), Kam Kia Kee (Fong), Allan Toh Wei Lun (Chi Tong), Lim Yi Xin (Le capitaine), Zhan Zizhen (Zhen), Andrew Lok (Oncle Land). 1h40.

I-30 juin. Xingxi, une jeune Chinoise, se promène en vélo au bord d'une rivière au nord de la Malaisie par une chaude matinée d'été. Elle est victime d'une crevaison. Heureusement surgit Ailing, une jeune malaisienne de son âge qui lui propose d'emmener son vélo chez elle afin de le réparer. Ailing répare efficacement la chambre à air et les deux amies promettent de se retrouver le lendemain.

1er juillet. Xingxi et Ailing longent la rizière et vont manger une glace près des babouins qui s'ébattent en liberté, ce qui effraie un peu la jeune chinoise. Pendant que Ailing va chercher un anti-moustiques, Xingxi flâne dans l'échoppe d'un marchand de cristaux. Celui-ci lui montre un cristal rare qui enferme une goutte de pluie mais déclare qu'il n'est pas à vendre. Avant de visiter le Kedah Paddy Museum, Xingxi explique toutefois à Ailing qu'elle a acheté le cristal pour 15 000 yuans... ce qui semble déplaire à Ailing. Durant la visite du Kedah Paddy Museum. Xingxi indisposée par l'air conditionné, s'évanouit. Quand elle se réveille, c'est l'heure de la fermeture du musée. Elle constate que le cristal a disparu de son sac. En rentrant chez elle, Xingxi regarde un feuilleton télévisé qui lui fait penser qu'Ailing lui a volé son cristal.

2 juillet. Xingxi se promène en ville, triste d'avoir perdu une amie. Elle se fait tirer les cartes par une cartomancienne qui l'incite à plus de confiance envers celle qu'elle accuse sans preuve de vol. Xingxi la croise par hasard et la suit dans un temple. Ailing la surprend et lui propose une balade sur la plage. Là, Ailing lui apprend que, la veille, elle est allée récupérer son argent dans la boutique du marchand de cristaux qui l'a arnaqué en lui vendant très cher un cristal sans valeur. Xingxi lui fait part de ses soupçons et Ailing en est blessée avant de lui dire de davantage s'ouvrir aux autres afin d'être elle-même. Xingxi voudrait retourner chercher le cristal. Ailing promet de l'accompagner et d'obtenir le cristal pour un moindre prix.

3 juillet : c'est la femme du marchand qui les reçoit. Ne sachant pas le prix, elle leur propose 800 yuans donc vingt fois moins cher.  Xingxi a des remords et ne trouve pas le cristal aussi beau. Mais elle se désole encore bien davantage que le cristal lui est volé par un babouin du parc.

 

II. 30 juin. Xingxi, une jeune Chinoise, se promène en vélo au bord d'une rivière au nord de la Malaisie par une chaude matinée d'été. Elle est victime d'une crevaison. Heureusement, trois jeunes hommes au bord du chemin proposent de la conduire en ville chez un réparateur. Xingxi hésite puis en confiance par la bonhomie des trois hommes monte dans la voiture ; ce sont trois fonctionnaires de la ville chargés de l'urbanisme. Quand ils apprennent que Xingxi est anthropologue, ils l'invitent à manger une glace. C'est en fait au repas autour duquel les trois hommes s'expliquent : ils sont chargés d'un plan d'urbanisme pour rénover l'artère principale de la ville, la vieille rue, pour attirer jeunes et touristes.
L'après-midi ils visitent ainsi la boutique d'une coiffeuse amie qui refuse pourtant obstinément le changement. Xingxi la soutient trouvant très beaux les portraits des hommes politiques locaux qui venaient autrefois se faire couper les cheveux. Le soir, elle voudrait se faire tirer les cartes mais l'échoppe est fermée. Lorsque les hommes jouent au billard, Xingxi rentre chez elle.

1er juillet. Au restaurant, Xingxi est émue d'avoir vu une plaque qui explique le nom de sa ville qui est aussi le sien. Elle ne voudrait pas qu'Alor Star se transforme comme Beijing en ville pour touristes mais reconnaît ne rien comprendre au développement de la ville Malaisienne.


III- 30 juin. Xingxi, une jeune Chinoise, se promène en vélo au bord d'une rivière au nord de la Malaisie par une chaude matinée d'été. Elle est victime d'une crevaison. Malheureusement, personne n'étant là pour l'aider, elle parcourt 3 kilomètres à pied. Le réparateur est déjà occupé avec le scooter d'un touriste français et il leur propose d'aller prendre un verre le temps qu'il répare. Pierre est un écrivain français en panne d'inspiration; qui se prend d'amitié pour elle.


1er juillet. Ils font une balade en bateau sur la rivière. Ils rencontrent un guitariste dieu qui leur dit où se trouve le ruisseau étoilé.

2 juillet. Le ruisseau étoilé se révèle être un mince cours d'eau pollué. Du coup. Pierre propose à Xingxi de l'accompagner dans sa propre quête : celle des larmes bleues.

Du 4 au 7 juillet, ils parcourent la campagne. Elle lui révèle qu'elle est venue voir ce que son mari lui a décrit avant de mourir. Il avait menti pour ne pas lui faire de peine.

8 juillet. Pierre lui raconte qu'il dit toujours gentiment au revoir. Elle pleure car elle s'en veut de n'avoir pas dit un mot au départ, qu'elle ne savait pas définitif, de son mari qui allait mourir en plongée. Ils partent pour une île. Le soir, elle s'endort. Lorsqu'elle se réveille, elle rejoint pierre qui voit les larmes bleues, ces poissons qui font d'ultimes sauts hors de l'eau avant de mourir.

Le film raconte trois aventures possibles d'une jeune femme chinoise qui passe quelques jours de vacances à Alor Setar, au nord de la Malaisie. Xingxi, dite "Brooke" vit trois aventures distinctes, et comme parallèles car se déroulant sur la même période de temps, dont le point de départ est identique : par une journée de grande chaleur, perdue au bord d’un sentier bucolique, elle est victime d’une crevaison de vélo… Tel dans un conte en trois parties, Brooke rencontre trois groupes de personnes (une jeune fille de son âge, un dynamique trio de conseillers municipaux et un vieil homme élégant). Mais au lieu d'être le point de départ de trois destins différents, chacun des récits permet d'approfondir sa personnalité pour aboutir à une délivrance, en forme de grâce, offerte par la nature.


Un même postulat de départ : une crevaison

Le récit se décline en trois histoires qui partent toutes du même postulat : alors que l’héroïne se promène à vélo sur un sentier bucolique, une crevaison entraîne à chaque fois une rencontre différente. D’abord celle d’Ailing, une fille de son âge avec laquelle elle se lie d’amitié. Puis celle de trois urbanistes municipaux déterminés à rénover le quartier historique de la ville. Enfin, celle d’un écrivain français en panne d’inspiration.

Les deux premiers épisodes ont un début heureux mais une fin décevante (vol du cristal par un singe, renoncement à imposer son opinion) alors que le troisième commence par un long effort à pied mais se termine par une fin heureuse : les larmes bleues comme une réponse à la goutte de pluie, la larme dans le cristal du premier épisode.

La virtualité des trois aventures est aussi contrebalancée par une forme de continuité psychologique. Son héroïne, qui semble d’abord futile, choisit d'abord de se présenter comme sotte et d’avoir mauvaise mémoire ce qui l'aide à oublier les mauvais souvenirs. Il sera nécessaire pour Brooke de s'ouvrir aux autres pour se délivrer de sentiments cadenassés qui provoquent souffrance et insatisfaction. Car au creux de Xingxi se cache la douleur de ne pas avoir dit adieu à l'être aimé et de s'être barricadée émotionnellement.

Répétitions et différences : Le ruisseau étoilé, la cartomancienne et le temple

Dans la première aventure Xingxi se présente comme une étudiante en vacances venue rendre visite à son père, chercheur qui ne s'occupe pas d'elle. Curieuse, elle demande vainement à Ailing si le nom Alor Setar à une signification.  Dans le second volet une plaque communale explicative révèle la signification et elle découvre que le nom résonne avec le sien (ils signifient tous deux « ruisseau étoilé »). Dans la troisième aventure, elle affirme que le nom est  à l'origine de son voyage : elle ment le premier jour en affirmant que c'est un pari entre trois copines avant de révéler que c'est son mari défunt qui était venue là lui rendre hommage sans révéler qu'il n'avait trouvé qu'un mince ruisseau pollué.

La cartomancienne intervient dans les trois épisodes. Elle redonne confiance en son amie, le reflet de sa personnalité ; ferme dans le second, muet dans le troisième.Trois visites au temple au-dessus d'une échoppe commerçante aussi : Ailing y prie ; Xingxi la voit en sortir dans le second : dans le troisième, le dieu lui-même intervient ; c'est certes en apparence le  chanteur-guitariste des rues déjà croisé mais sa ressemblance frappante avec le dieu derrière lui et le fait qu'il révèle le lieu où se trouve le ruisseau.

Répétition du même, de manière plus anecdotique, avec la rizière, la maison au bord de la rivière, les carreaux ou le marchand de cristaux

Les trois contes pour une même histoire


Le film pourrait se réduire à une fine analyse psychologique, une initiation adolescente dans des lieux bucoliques et sereinement enchanteurs.  On pourrait aussi y voir un jeu un peu trop sophistiqué, un conte à la Rohmer. On pourrait aussi y voir un film à la Hong Sang-soo avec un film répétant la même histoire avec des variations différentes dans deux ou trois parties.

On ne manquera pas de noter une affinité certaine entre cette écriture dépouillée, ciselée mais ouverte au hasard, et l’œuvre d'Éric Rohmer. La crevaison des trois épisodes suivie dans le premier d'une réparation de la chambre à air dans une bassine rouge évoquent Les quatre aventures de Reinette et Mirabelle. Pour Xingxi, Yuan Qing s’inspire certainement du Rayon vert (1986) et du désespoir de Delphine (Marie Rivière). L'une sera finalement récompensée par la grâce des larmes bleues comme autrefois Delphine par le rayon vert. Brooke sur la plage évoque Daphné de La collectionneuse (1967). Pascal Greggory, son acteur fétiche y reprend le prénom de Pierre, l'amoureux triste de Pauline à la plage (1983) dont il porte à la fin la même marinière. Cette fois tout se terminera bien. Le travail d'urbanisme du trio de fonctionnaires évoque L'arbre, le maire et la médiathèque (1993).

Une inspiration rohmerienne
 
Le rayon vert, les larmes bleues avant le rayon vert
 
 
Pauline à la plage : Pascal Greggory y portait la même marinière. Il a trouvé dans la troisième aventure, la sérénité qui lui manquait autrefois
 
L'arbre le maire et la médiathèque : l'arbre sous lequel on se parle

Yuan Qing reprend aussi le personnage de la cartomancienne de Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda.

La cartomancienne venue de Cléo de 5 à 7

La référence la plus adéquate est cependant celle à Hong Sang-soo, épigone génial d'Eric Rohmer avec ses films répétant la même histoire avec des variations différentes dans deux ou trois parties. C'est notamment le cas dans In another country (2012) où une autre star française, Isabelle Huppert, y rencontrait un bel asiatique maître-nageur.

In another country (2012) Isabelle Huppert, y rencontrait un bel asiatique maitre-nageur.

Car c'est bien les différentes façons d'être soi-même, mieux que la vie obligatoirement unique qui nous est donnée à vivre, qu'explore le cinéma de Yuan Qing. Si dans Le hasard (Kieslowski, 1986) ou Smoking no smoking (1993), une suite de décisions aboutissait à des destins différents, c'est ici le romanesque qui approfondit à chaque fois davantage, dans chacune des histoires, la personnalité de Xingxi. Contrairement au cinéaste coréen qui met en scène des personnages volontiers triviaux et alcooliques, Yuan Qing ne se départit jamais d'une légèreté qui fait sans cesse resplendir les lieux et les couleurs pour une fine étude de caractère toujours plus bouleversante.

Jean-Luc Lacuve, le 9 février 2020

Alor Seta,r au nord de la Malaisie

A Alor Setar, tout comme à Singapour, vit une importante communauté chinoise. On y parle mandarin, on y apprend le mandarin à l’école, les panneaux dans la rue sont en mandarin. Alor setar se trouve dans l’État musulman le plus conservateur de la Malaisie : le Kedah mais a su conserver son authenticité.