Un Américain à Paris

1951

voir : photogrammes des neuf numéros dansés, tableaux du ballet final

(An American in Paris). Avec : Gene Kelly (Jerry Mulligan), Leslie Caron (Lise Bouvier), Oscar Levant (Adam Cook), Georges Guétary (Henri Baurel). 1h53.

JJerry Mulligan est un peintre américain sans-le-sou qui s'est installé à Paris à la fin de la guerre et vit sous les toits dans un immeuble de la rive gauche. Il a pour ami Adam Cook, pianiste qui survit grâce à des bourses, la huitième, et son travail pour son ami, Henri Baurel, vedette de music-hall. Henri sait qu'il n'est plus un jeune homme mais veut profiter de la vie.

Henri retrouve Adam chez George, un café parisien en bas de chez lui, et lui montre la photo de Lise qu'il vient de rencontrer. Elle est vendeuse dans la parfumerie Nicole à côté et possède beaucoup de qualités comme le montre Embraceable You (1930) dansé par Leslie Caron.

Jerry vient les retrouver et l'amitié passe immédiatement entre eux. Les trois amis improvisent un ballet burlesque (By Strauss, 1936) à la stupéfaction amusée des passants. À quelque temps de là, Jerry, qui expose ses toiles sur le trottoir, rudoie une étudiante en art qui ne ferait que répéter ce qu'on lui a appris. Il réussit à vendre deux tableaux pour 15 000 francs chacun, soit 100 dollars, à une riche cliente de passage, Milo Roberts.

Sa joie éclate devant le petit peuple du quartier (I Got Rhythm, 1930). Puis, dans un club de jazz de Montparnasse, ses regards sont attirés par Lise, fiancée de son ami Baurel. Ce qui suscite la jalousie de sa protectrice. Celle-ci, dans l'espoir de s'assurer l'exclusivité de ses faveurs, décide d'organiser une grande exposition de ses œuvres et de le présenter auprès des critiques et des marchands.

Mais Jerry ne pense qu'à Lise. Il obtient un rendez-vous et, en attendant, c'est le cœur en joie qu'il retrouve Adam. Il danse sur le piano pendant que son ami joue Tra-la-la ou This Time It's Really Love (1922) sur cet instrument.

Sur les quais de la Seine où Jerry et Lise se sont retrouvés, il lui déclare sa flamme en chantant et en dansant Our Love Is Here to Stay (1937). La mort dans l'âme, car elle l'aime aussi, Lise s'enfuit pour aller retrouver son fiancé qui chante dans son spectacle I'll Build a Stairway to Paradise (1922). Arrivée à la fin du spectacle, Lise se voit demander en mariage. Il aura lieu sur le prochain bateau qui va les conduire du Havre en Amérique où Henri vient de décrocher un contrat.

Jerry retrouve Adam qui s'imagine diriger et jouer tous les rôles dans Le 3e mouvement du Concerto en fa majeur pour piano et orchestre (1925). Jerry, se voit offrir un studio flambant neuf par Milo. Mais il se morfond et peint le portrait de Lise qu'il cache à Milo.

Jerry s'inquiète de voir Lise se dérober toujours et s'enfuir lorsqu'elle constate que Jerry a rendez-vous avec Adam dans le café où Henri lui a dit se rendre. Quand Jerry avoue à Adam être tombé amoureux de Lise, celui-ci comprend qu'il s'agit de la fiancée d'Henri. Adam se désole de voir ses amis dans cette situation inextricable, même s'ils chantent ('S Wonderful, 1927).

Jerry, plein d'espoirs, déclare son amour à Lise. Elle le repousse, lui annonçant son mariage imminent avec Henri, l'homme qui l'a protégé enfant lorsque ses parents, résistants, furent arrêtés et qui est ensuite tombé amoureux d'elle.

Jerry, la mort dans l'âme, rend visite à Milo, se montre tendre avec elle et l'invite au bal des Quat'zarts au Moulin de la Galette. Là ils retrouvent Adam et Henri et Lise qui annoncent leur mariage pour le lendemain. Jerry n'a plus le cœur à la fête et monte sur la terrasse du Moulin de la Galette qui domine Paris. Lise l'y rejoint. Ils s'avouent leur amour rendu impossible par la fidélité qu'ils doivent chacun à Henri. Celui-ci, appuyé derrière un pilier, a tout entendu de leur conversation amoureuse. Jerry les voit descendre l'escalier du Moulin et s'engouffrer dans la voiture qui les conduit en Amérique. Il regarde tristement son dessin qu'il a déchiré par terre et que le vent recolle. Il rêve alors être dans Paris à la recherche de Lise (An American in Paris Ballet, 1936). Le rêve prend fin sur la rose qui symbolisait Lise. Mais qu'elle n'est pas la joie de Jerry quand il voit la voiture revenir. Henri a tout compris et laisse généreusement les amoureux s'aimer. Ce qu'ils font en se précipitant l'un vers l'autre pour s'embrasser sur l'escalier du Moulin de la galette.

Au travers d'un magnifique hommage à George Gershwin et à la peinture, Vincente Minnelli raconte une simple et fragile histoire d'amour. Il équilibre ainsi le dynamisme virevoltant de Gene Kelly avec la grâce de Leslie Caron dont c'est le premier film.

Un hommage à George Gershwin

Le film est un hommage à George Gershwin. En 1950, le scénariste Alan Jay Lerner est engagé par le producteur Arthur Freed, à la MGM pour écrire un scénario à partir d'un catalogue de chansons composées par George Gershwin. L'idée d'une biographie se déroulant pendant les années 1920, à peu près à l'époque où Gershwin était allé à Paris pour étudier la peinture est vite abandonnée, car trop complexe à rendre dans une comédie musicale. Une trame utilisant Paris, un peintre américain (Gershwin souhaita d'abord être peintre) et la musique de Gershwin s'imposa.

Un Américain à Paris propose ainsi neuf numéros musicaux dansés sur des musiques de George Gershwin. Les deux plus fameux sont les morceaux concertants, presque aussi célèbres que son Rhapsody in blue (1924) qui lui apporta la gloire. Il y a ainsi Le 3e mouvement du Concerto en Fa pour piano et orchestre (1925) où Adam s'imagine pianiste, chef d'orchestre, jouant de tous les instruments et même spectateur applaudissant à tout rompre et, bien entendu, les dix-huit minutes de An American in Paris (1936).

Sur les sept chansons mises en danse, se détachent le Embraceable You (1930) où Henri évoque toutes les qualités de Lise et Tra-la-la ou This Time It's Really Love (1922) où Jerry fait des claquettes sur le piano pendant que son ami joue sur cet instrument. Woody Allen se souviendra du pas de deux sur les quais de la Seine du Our Love Is Here to Stay (1937) dans Tout le monde dit I love You. On peut aussi apprécier le dynamisme du By Strauss (1936) où les trois amis réunis pour la première fois improvisent un ballet burlesque à la stupéfaction amusée des passants, celui du I Got Rhythm (1930) où la joie de Jerry éclate devant les enfants du quartier et celui de 'S Wonderful (1927) quand Henri et Jerry ne se savent pas amoureux de la même femme. I'll Build a Stairway to Paradise (1922) qu'Henri chante dans son spectacle ets inspiré des show de Busby Berkeley et

Un hommage à la peinture française

La première idée de Minnelli et de Kelly, qui chorégraphie le film, est de tourner le grand ballet final en décors naturels à Paris, de même que Kelly et Donen avaient tourné les scènes d'Un jour à New York (1949) sur les lieux de l'action. Les coûts de production concernant les transports et la logistique d'un tournage à l'étranger mais aussi la difficulté pour Leslie Caron, dont c'est le premier film, de danser plus de deux ou trois heures par jours, font abandonner ce projet. Il est donc décidé que le ballet sera tourné sur les plateaux de la MGM. Vincente Minnelli, lui-même peintre décorateur de formation, a l'idée, puisque le protagoniste du film est un artiste, de styliser au maximum les décors, en s'inspirant des grands peintres du XIXe siècle.

Sur la terrasse du Moulin de la galette, Jerry déclare avoir pris pour modèle Utrillo, Toulouse-Lautrec et Rouault. Pourtant, si ballet final va s'inspirer des deux premiers, il ne sera pas fait cas de George Rouault. Ce sont deux autres peintres qui vont, en plus des deux premiers, inspirer le ballet : Jean Dufy, aux États-Unis alors aussi connu que son frère Raoul, et Henri Rousseau. Plus marginalement, apparaissent des soleils à la Van Gogh.

La première partie du ballet est conçue en bleu blanc rouge sur des décors stylisés à la manière de Jean Duffy. Avec les Champs-Élysées en arrière plan, Jerry trouve par terre la rose qui évoque le souvenir de Lise. Après avoir échappé à une cohorte de sirènes tentatrices en blanc et rouge, Jerry déboule sur la place de la Concorde où il fait face à un inquiétant bey.

Les champs Elysées (Jean Dufy, 1950)

Mais il aperçoit bientôt Lise dans la foule. Il la retrouve dans un marché aux fleurs inspiré d'Auguste Renoir, comme en témoigne la présence de jeunes filles en bleu portant des chapeaux à larges bords.

Jeune fille au chapeau (Pierre-Auguste Renoir, 1894)

Sur un bouquet de fleurs blanches, Jerry trouve de nouveau la rose rouge. Respirant son odeur, il voit Lise s'approcher de lui en dansant sur ses pointes. Dans les bras du héros, sa partenaire s'est hélas de nouveau transformée en bouquet de fleurs. Désespéré, il poursuit sa route dans le Montmartre inspiré d'Utrillo.

Rue Saint-Rustique, Montmartre (Maurice Utrillo, 1940).

Quatre militaires américains en permission viennent lui remonter le moral, allusion à sa situation de personnage resté à Paris après la guerre. Un passage chez un fripier, et les cinq individus, métamorphosés en parisiens à canotiers, quittent joyeusement le décor en quête de nouvelles aventures. La transition avec le décor suivant est assurée par quelques gardes républicains associés au thème de la Matchiche (danse d'origine afro-brésilienne qui fit fureur en Europe au tournant du siècle, autre élément exotique après le bey), lui-même incorporé au poème symphonique de Gershwin.

Dans le tableau suivant, un groupe de ballerines sur pointes menées par Lise danse en virevoltant. Puis arrivent Jerry et ses quatre compagnons, danseurs de claquettes. Le décor est inspiré du Douanier Rousseau avec un parc zoologique avec tigre, lion et girafe.

Le tigre de Surpris ! (1891), la végétation du combat du tigre et du buffle (1909) etle lion de La bohémiènne endormie (1897), trois tableaux d' Henri Rousseau pour cadre du ballet près du jardin zoologique
 

Jerry et Lise sont de nouveau place de la Concorde devant la fontaine crachant d'épais fumigènes de couleur jaune. Le duo amoureux danse autour des sculptures de l'immense fontaine dont les fumigènes deviennent bleus puis rouge.

Les amoureux se retrouvent devant un Opéra éclairé par des soleils de Van Gogh. Un homme-sandwich les invite ensuite à une exposition Toulouse-Lautrec. Dans un cabaret on retrouve Gershwin et son autoportrait en "Américain à Paris", figuré par le danseur noir américain Chocolat, peint par Toulouse Lautrec dans une pose que reprend Jerry et enfin Toulouse Lautrec lui-même, incarné par un figurant barbu de petite taille, parmi d'autres personnages de ses tableaux, soit réels soit en silhouettes découpées.

Chocolat dansant, Henri de Toulouse-Lautrec, 1896

Le grand tableau final ayant vu le héros perdre sa belle dans la foule de la place de la Concorde, après un bref retour au décor Van Gogh, revoilà Jerry comme au début du ballet devant un arc de triomphe ironique dessiné à la Duffy. Il ramasse une fleur et le ballet se termine par un gros plan de Kelly puis sur la rose qu'il tient à la main.

Emporter l'autre dans la couleur

Aimer chez Minnelli, c'est emporter l'autre dans son rêve, l'englober dans sa couleur. C'est ce que tente Jerry dans le ballet final où les moments les plus intenses sont les plus colorés avant de revenir au désespoir de ne tenir qu'une rose entre les mains. Celle-ci est un leitmotiv constant depuis que Jerry tenta de peindre Lise aux bas des escaliers où ils s'avouèrent leur amour. La rose amorce et clôt le ballet. Elle est posée sur un bouquet blanc lors du marché aux fleurs et Lise la porte au cou dans la fontaine de la place de la Concorde. Elle est l'emblème de Lise qui avait été éclatée en beaucoup de qualités comme autant de monochromes dans Embraceable You. De son côté, Milo échoue à enfermer Jerry dans le riche atelier qu'elle a loué pour lui.

Ainsi en dépit de ce que pourrait avoir d'écrasant les hommages à la musique et à la peinture, le film fait toujours preuve d'humour et de joie de vivre. Après tout, c'est d'un homme plein d'allant mais d'un peintre raté dont tombe amoureuse Lise. Les tableaux que peint Jerry n'ont en effet rien d'exceptionnel. Face aux croutes qu'il tente de vendre, se tient une galerie de peinture qui vend du Modigliani et du Degas. Plus tard, lorsqu'il peint pour sa future exposition, que ce soit l'opéra, une fillette dans un fauteuil rouge ou tous les tableaux étalés chez lui, aucun style ne se dégage. Ce qui lui importe c'est bien davantage sa joie de vivre, la légèreté de ses pas bondissants sur les premières notes du ballet final qui rythme le film, sa façon d'être heureux.

L'humour est présent dès l'ouverture du film  avec la présentation successive des trois amis les montrant joyeux malgré les difficultés. Pour chacun des trois, nous est présenté successivement ce qu'ils aimeraient être avant que la caméra ne se décadre pour les présenter eux : Jerry n'est pas dans les bras d'une jolie fiancée mais tout seul dans son lit, en pyjama. Adam en donne pas joyeusement à manger à un oiseau mais doit se satisfaire d'être un éternel espoir de la musique. Henri n'est plus aussi jeune que le premier reflet qui se présente dans la glace mais sait qu'il doit profiter quand même de son âge encore vert.

C'est d'ailleurs la morale vers laquelle nous entraine ce film si plein de joie de vivre, de danse et de musique.

Jean-Luc Lacuve, le 14 décembre 2017

Bibliographie :

N. T. Binh : Le ballet final d’Un Américain à Paris. Biographie fantasmée d’un peintre chorégraphe, p. 69 à 82 dans Biographes de peintres à l’écran. Patricia-Laure Thivat (dir.). Presses Universitaires de Rennes (novembre 2011). Collection : Le Spectaculaire Cinéma.