L'orphelinat

2007

Genre : Fantastique

(El Orfanato). Avec : Belén Rueda (Laura), Fernando Cayo (Carlos), Roger Príncep (Simón), Mabel Rivera (Pilar), Montserrat Carulla (Benigna), Andrés Gertrúdix (Enrique), Edgar Vivar (Balaban). 1h40.
Laura a passé une partie de son enfance dans un orphelinat entourée d'autres enfants qu'elle aimait comme ses frères et sœurs. Puis elle a été adoptée.

Adulte, elle retourne sur les lieux avec son mari, Carlos, et son fils de sept ans, Simon, avec l'intention de restaurer la vieille maison pour la transformer en centre d'accueil pour handicapé. La demeure réveille l'imagination de Simon, qui commence à se livrer à d'étranges jeux avec "ses amis". Une femme étrange, Benigna, 70 ans environ, vient aussi roder autour de la maison. Elle sait que Simon n'est pas le fils de Laura : qu'elle l'a adopté le sachant porteur du sida. Simon, se disant guidé par ses amis, organise un jeu de piste avec sa mère au bout duquel, il découvre la vérité sur ses origines et sa maladie.

Le jour de l'arrivée des handicapés et de leurs parents, Simon se montre odieux et est giflé par sa mère. Un peu plus tard, un étrange bambin portant un curieux masque élaboré à partir d'un sac à a patates troué s'approche de Laura... la pousse brusquement dans la baignoire et referme brutalement la porte à clé. Délivré par son mari sous les yeux des parents inquiets, Laura cherche vainement Simon. Ne le trouvant pas dans la maison, elle va jusqu'à la plage et le croit prisonnier d'une grotte qui va être inondée.

Il n'y était pas. Mais, six mois plus tard, Simon n'est toujours pas retrouvé. l'hiver arrive

Un jour, par hasard, Carlos et Laura retrouvent Benigna. Interloquée celle-ci reste au milieu de la route et est fauchée par une ambulance avant d'avoir eut le temps de parler. Des films en super hit sont retrouvés chez elle. Elle cachait un enfant difforme. Par jeu, ses camarades lui avaient retiré sa cagoule le mettant au défi de sortir tête nue de la grotte. Thomas n'avait pas osé et était mort noyé

Et Laura fait appel à une médium. Celle-ci découvre que les enfants ont été empoisonnés mais doit quitter la maison, chassée par Carlos; Désespérée Laura en appelle aux enfants qui par un jeu de piste lui font retrouver leurs corps brûlés. Bénigna les avaient empoisonnés. Carlos lui veut quitter définitivement la maison. Laura lui demande deux jours;

Elle remet la maison comme elle était lors de son départ. Elle prépare le dernier goûter, semblable à celui que Benigna avait empoisonné. Lles enfants ne viennent pas. Pourtant, après un dernier appel, ils jouent avec elle à "un, deux, trois, soleil".

Inspirée par eux, Laura finit par retrouver Simon, mort enfermé dans la cave ou Benigna tenait caché son fils. C'est Laura elle-même qui a involontairement enfermé son fils dans le cagibi en poussant contre une porte qu'elle ignorait un lourd contre-poids.

De désespoir, Laura s'empoisonne. Les enfants l'accueillent auprès d'eux.

Le mari fleurit la tombe. Il retrouve une médaille protectrice et sourit. Nous sommes probablement un an après le décès de Laura. Comme les gens qu'il avait rencontré avec sa femme le leur avaient suggéré : c'est le délai pour un dernier signe des morts qui les libèrent ainsi les vivants du poid de leur disparition.

Le genre fantastique se décline selon trois catégories : l'homme est confronté à une névrose inconsciente qui le fait communiquer avec l'au-delà : dieux, diables ou esprits fantômes. Ou bien, l'homme est confronté à sa conscience, à sa propre puissance mentale hors norme. On retrouve dans cette catégorie les monstres artificiels crées par l'être humain, prétexte pour approfondir l'opposition entre le bien et le mal. Troisième catégorie enfin : L'homme est confronté aux monstres. Il s'agit alors de monstres "naturels" en tous cas non créés consciemment par l'homme et qui figurent toutes ses peurs possibles.

L'orphelinat appartient à la première catégorie avec un peu de la seconde dans le personnage défiguré de Tomas. La force du film est de jouer avec les codes du genre tout en permettant une explication rationnelle à tous les phénomènes. Cette explication s'accompagne d'un trajet vers la résurgence de la névrose initiale portée par Laura.

Une porte vers les mondes parallèles

La croyance dans l'existence des fantômes est portée par Simon puis par Laura et la médium. Le réalisateur utilise les moyens classiques de figurer et donc de crédibiliser cette présence : angles de prise de vus anormaux (plage, balançoire), dramatisation du décor (mer agitée, phare du bout du monde, archétype de la maison hantée), objectivation des visions de Laura (son fils, qu'exténuée, elle croit voir à l'entrée de la grotte) et travail sur la bande sonore (bruits mystérieux).

La possibilité d'atteindre le monde parallèle des fantômes nécessite de trouver la porte qui y mène d'où l'importance de cet accessoire qui revient de façon récurante.

C'est la porte de la salle de bain qui claque. C'est la porte de la remise où se cache Bénigna. C'est l'effet classique de la poignée que l'on tourne lorsque Laura ignore que c'est son mari qui est derrière la porte. C'est la porte de la cuisine que les fantômes ouvrent pour pouvoir jouer à "un, deux, trois, soleil". C'est enfin la porte sous l'escalier qui dissimule une seconde porte. Cette porte cachée derrière la tapisserie renvoie au générique où la tapisserie est arrachée pour finalement révéler le vide effrayant celui, de la mort de Simon.

A ces portes classiques, s'ajoutent le seuil de la grotte où Simon se met à communiquer avec Tomas et surtout la porte électronique : celle atteinte grâce au médium. Ces portes électroniques, classiques dans le cinéma américain, ont l'avantage narratif d'être toujours prête à se refermer par brouillage. On notera aussi la porte du passé ouvert par la projection du film en super 8.

Bayona s'amuse de ces codes comme le prouve sa référence à Psychose. La projection de Laura dans la baignoire avec le rideau arraché, Bénigna s'enfuyant, de dos, petite silhouette aux cheveux gris sur une musique proche de celle de Bernard Herrmann et, bien sur la porte ouvrant sur la cave.

La première apparition de Géraldine Chaplin en médium fragile, stature presque squelettique habillée de noir, fait aussi penser au Nosferatu de Murnau. Bayona se permet aussi de classiques et efficaces effets de l'horreur : l'ambulance fauchant brusquement Benigna et sa main qui agrippe celle de Laura dans un sursaut post-mortem.

 

Tout s'explique....

La force d'un film fantastique réside souvent dans sa capacité à jouer entre explication rationnelle et les phénomènes paranormaux. On se souvient que dans Shinnig, la présence des morts dans l'hôtel Overlook pouvait être réelle ou fantasmée par l'enfant et le père. Un élément indiscutable venait pourtant prouver leur existence. Le père était délivré du frigo alors que celui-ci avait été verrouillé.

Ici tout a une explication logique. Simon a découvert la cache de Tomas et peut donc bien reprendre à son compte les dessins qui s'y trouve en y introduisant le personnage de l'enfant couvert du masque qu'il a vu sur une photographie. L'explication du premier jeu de piste est donnée dans le film. Simon a vraisemblablement écouté Bénigna et a fait le jeu pour obtenir la vérité sans avoir à poser de questions. Dans la foulée, il a prévu un second jeu de piste pour faire découvrir à sa mère la "maison" de Tomas. C'est à ce jeu qu'il veut faire jouer sa mère le jour de l'ouverture du centre alors qu'elle se présente devant lui avec le gâteau qu'il jettera, recevant une claque qui finira par produire le drame.

La poupée qui inaugure le jeu de piste est découverte dès sa disparition et le retour des parents dans la maison lorsque la mère se précipite dans la chambre suite aux coups (que l'on saura plus tard donnés par Simon) et soulève la couverture. Simon avait donc prévu de jouer à partir de là. Laura s'en souviendra lorsqu'elle est amenée à découvrir la seconde étape, celle de la cache des autres poupées sous la fenêtre qui s'effondre. Bien sûr, il y a là de la part de Bayona une manière emphatique de faire trouver la seconde étape. Et il est loisible à chacun d'imaginer que ce sont les fantômes qui ont fait s'écrouler la vitre. Mais Laura, acharnée à tout fouiller, aurait probablement découvert la cache. Ensuite, il est logique qui les pistes s'enchaînent selon la logique de Simon que Laura connaît. Il n'y a pas besoin de faire intervenir un fantôme meneur de jeu. L'astuce de Bayona étant de ne pas mener la course jusqu'au but prévu par Simon mais de faire croire qu'il s'agissait d'un but poursuivi par les orphelins. Laura ne trouve en effet pas l'utilité de la poignée de porte. Elle a oublié la règle de Simon : ne pas s'éloigner de la maison. Dans la remise, elle tombe sur la trace de Bénigna, découvre sa broche et, par conséquent, les corps qu'elle avait brûlé dan le four.

Il faudra l'hallucination finale pour que Laura découvre le trou dans la tapisserie qui permet d'ouvrir la porte grâce à la poignée.

Cette hallucination où apparaisse les fantômes n'est possible que parce Laura est exténuée et déjà au seuil de la mort. Dans une séquence assez anodine montée en parallèle avec la cueillette des mûres où Laura titube, Bayona nous a montré la jeune femme ingurgitant des cachets. Elle se souvient de ce qu'avait dit (sans rire !) la médium : être proche de la mort favorise le contact avec les morts. Il est bien pourtant plus simple de penser que Simon continuait là seulement de jouer avec des amis fantasmés et n'avait pour cela pas besoin de se sentir porteur du VIH.

Devant l'horrible vérité qu'elle découvre : elle a causé la mort de son enfant en appuyant un trop lourd contrepoids sur la porte et n'a pas su trouver l'origine des coups derrière la porte, Laura se suicide.


... par la névrose de l'abandon


Le jeu avec les codes du genre n'est donc qu'un leurre. Comme Laura, nous sommes embarqués dans cette histoire d'amour fou pour son fils adoptif qui nous fait oublier de regarder le réel.

Cet aveuglement de Laura provient d'un triple traumatisme : la disparition de son enfant fait suite à l'abandon qu'elle n'a pas manqué de ressentir étant orpheline, elle a ensuite abandonné ses camarades de jeu de l'orphelinat puis a appris que cet abandon c'était soldé pour eux par leur mort atroce, empoisonnés par Benigna.

Les saisons, l'automne puis l'hiver disent assez que le paradis n'est plus là. Après six mois, les plans de la ville en plein hiver imposent l'idée qu'aucune distraction n'est possible et que la recherche est devenue obsessionnelle. Le mari se rattache pourtant à la vie notamment à la femme policière qui le détache discrètement de son épouse. Laura s'accroche elle, à l'orphelinat qui représente son seul bonheur possible.

C'est ce que dit la première scène, lumineuse, celle du pré-générique, magnifiquement mise en scène. Alors que le générique nous plongera dans un noir néant des couches de tapisserie arrachées, le premier plan est celui du ciel sous lequel jouent ces orphelins heureux d'être ensemble. Le jeu "Un, deux, trois, soleil" commence avec Laura enfant, seule dans le champ avant que ses petits camarades ne surgissent. C'est cette même mise en scène du hors champ qui sera jouée plus tard avec les fantômes. Les manines qui tombent des arbres rappellent ceux d'Amarcod de Fellini. Et l'épouvantail qui vient clore le plan semble protéger les enfants (Laura le redressera dans le jardin pour faire revenir les enfants).

L'Espagne possède une longue tradition de cinéma fantastique depuis le surréalisme de Bunuel en passant par Cria Cuervos ou L'esprit de la ruche ou même les divertissements érotico-fantastiques de Jesus Franco jusqu'aux quadras du nouveau cinéma espagnol (Les autres de Amenabar) sans oublier les faux fantômes du Volver d'Almodovar.

Il ne s'agit pourtant plus aujourd'hui d'utiliser le fantastique comme métaphore politique en se focalisant par exemple sur une enfance qui ne parvient pas à se développer normalement. Ici, c'est bien plutôt la névrose des parents qui est mise en scène, celle de l'inquiétude sur l'amour dû aux enfants. Il est certain dorénavant que l'on ne rangera plus sa cave et ses débarras sans penser qu'il ne faudrait pas qu'un de nos enfants y soit abandonné à jamais.

Jean-Luc Lacuve le 10/03/2008