Volver

2006

Genre : Mélodrame

Avec : Pénélope Cruz (Raimunda), Carmen Maura (Irene), Lola Dueñas (Sole), Blanca Portillo (Agustina), Yohana Cobo (Paula), Chus Lampreave (Tante Paula), Antonio de la Torre (Paco), María Isabel Díaz (Regina), Yolanda Ramos (la présentatrice TV), Leandro Rivera (L'assistant de l'équipe de cinéma). 2h01.

Dans un cimetière, des femmes, rien que des femmes, veuves ou orphelines, s'affairent autour des tombes. Le vent souffle fort et Raimunda, sa sœur Sole, et sa fille Paula ont bien du mal à faire tenir les fleurs sur la tombe de leurs parents. Elles ont quitté Madrid pour venir dans cette bourgade perdue de La Mancha, lieux de leur enfance. Elles rendent visite à leur tante Paula, vieillie, presque aveugle et à demi folle. Certes Augusta, leur amie d'enfance veille sur elle ; s'enquiert chaque matin de sa santé et lui porte le pain. Raimunda est inquiète pour sa tante qui l'a élevée étant petite. Sole lui rappelle toutefois que tante Paula prépare si bien la nourriture de leur enfance qu'elle prend soin de la répartir dans des paquets à leur nom.

Rentrée à Madrid, Raimunda retrouve Paco, son mari, avachi devant un match de foot retransmis à la télévision et buvant bière sur bière. Paco lui annonce qu'il vient d'être renvoyé de son travail. Paco lorgne sur l'entrejambe de Paula et rode près de la salle de bain où elle se deshabille. Le soir, il tente de faire l'amour à Raimunda. Lorsque celle-ci refuse, fatiguée et inquiète du sort de sa tante, il se masturbe à côté d'elle.

Le lendemain matin, Raimunda s'en va travailler comme technicienne de surface dans l'aéroport de Madrid. Le soir, Raimunda de retour du travail trouve sa fille qui l'attend, trempée, à son arrêt de bus. Elles reviennent à la maison sans que Paula n'ait parlé. Raimunda découvre alors le corps de Paco mort. Paula lui explique qu'il a essayé de la violer, qu'elle a tenté de lui faire peur avec un couteau, qu'il n'a pas cru à ses menaces et qu'elle l'a tué. Raimunda, console sa fille puis, avec du sopalain, éponge le sang, nettoie celui-ci à la serpillière et entoure le cadavre d'une couverture.

C'est alors que le téléphone sonne. Sole annonce à Raimunda le décès de leur tante Paula. Raimunda la charge d'aller seule à l'enterrement : elle a autre chose à faire maintenant. Un peu plus tard, c'est le voisin qui sonne à la porte. Propriétaire du restaurant voisin, il vient en donner les clés à Raimunda pour qu'elle veille sur le bâtiment pendant son absence.

Raimonda et Paula parviennent enfin à sortir le corps de l'immeuble. Raimunda l'enferme dans le congélateur du restaurant. Le lendemain, elle annonce à tous qu'elle s'est disputée avec son mari et qu'il est parti vraisemblablement pour toujours. Alors qu'elle ferme le congélateur avec un cadenas, l'assistant d'une équipe de tournage lui demande si elle veut bien se charger de préparer les repas pour les trente personnes de l'équipe du tournage. Raimunda, surprise, accepte mais s'inquiète de devoir préparer des repas entre 10 heures et 16 heures avec ses seuls moyens. Heureusement, elle rencontre des voisines qui, chacune, vont l'aider en lui vendant à crédit qui un rôti, qui de la charcuterie, ou des gâteaux.

Sole assiste, seule de la famille, aux obsèques de sa tante. Alors qu'elle inspecte une dernière fois la maison, le fantôme de sa mère lui apparaît. Elle court jusqu'au salon où sont réunies les pleureuses. Elle discute avec Augusta qui lui dit sa douleur de n'avoir pas de nouvelles de sa mère, disparue depuis quatre ans.

Le soir, elle repart pour Madrid. A peine a-t-elle garé sa voiture qu'elle entend une voix, provenant du coffre de sa voiture qui de nouveau prétend être sa mère. Sole hésite, ouvre le coffre d'où sort le fantôme de sa mère fatiguée, avec de très longs cheveux blancs.

Interloquée, Sole accepte que sa mère vienne dormir chez elle dans la chambre d'ami. Elle se réveille au milieu de la nuit croyant avoir fait un mauvais rêve, mais non : sa mère est bien là.

Le soir, elle l'emmène voir le restaurant de Raimunda qui donne une fête pour le départ de l'équipe du film. Raimunda y interprète Volver, chanson que sa mère lui imposa autrefois pour passer un casting.

Raimunda cherche à se débarrasser du cadavre de son mari. Elle loue une camionnette et recourt aux services de Regina, sa voisine prostituée colombienne sans papier, pour enterrer le mort à 180 kilomètres de là, au bord d'une rivière.

Raimunda est à peine rentrée à Madrid qu'Augusta lui annonce qu'elle est à l'hôpital où on vient de lui découvrir un cancer. Elle passe la voir mais s'irrite de la dernière volonté d'Augusta lorsqu'elle lui demande d'interroger sa mère pour savoir si la sienne est vivante. Augusta insiste pourtant et lors d'une période de rémission de son cancer vient relancer Raimunda. Elle lui affirme, d'une part, que l'on a vu le fantôme de sa mère. Elle lui dit aussi que la mort de ses parents et la disparition de sa mère le même jour ne peut être une coïncidence. Et ce, d'autant moins que son père avait une relation adultère avec sa mère.

Pendant ce temps, Paula a découvert sa grand-mère chez Sole. Irène lui dit d'être gentille avec sa mère qu'il est terrible de ne pas être aimé de sa fille ; qu'elle sait qu'Augusta s'est détachée d'elle, enfant, pour une raison qu'elle ignorait alors.

Bouleversée par la révélation d'Augusta, Raimunda se rend chez Sole. Celle-ci a juste le temps de prévenir la Russe de l'arrivée de sa fille. A la télévision, Augusta passe dans la sordide émission de télé réalité "Où que tu sois" produite par sa soeur Brigida. Celle-ci veut lui faire révéler la relation adultère de leur mère en échange d'un financement de la guérison de son cancer à Houston. Augusta, dégoûtée, quitte le plateau en direct.

Sole explique à Raimunda que leur mère est restée auprès de la tante Paula jusqu'à sa mort. C'est elle qui a prévenu Augustina et qui lui a ouvert la porte pour qu'elle trouve le corps de la tante et c'est elle aussi qui lui déposait tous les jours les sous pour qu'elle lui achète son pain. Comment en effet aurait pu vivre leur tante seule à moitié gaga et aveugle ? C'est leur mère, et non leur tante, qui leur préparait beignets et petits plats ; c'est elle qui protégeait l'argent de sa tante.

Raimunda comprend alors que "la Russe" hébergée chez Sole est leur mère. Elle la découvre sous le lit où elle discutait avec Paula. Elle est revenue pour demander pardon à sa fille, elle ignorait que son père la violait. Raimunda s'enfuit mais, avec l'aide attentive de Paula, revient.

La mère et la fille s'explique. La première n'est pas un fantôme mais était fermement décidée à venir demander pardon d'avoir été aveugle jusqu'au jour de l'incendie. Elle avait quitté son mari qui la trompait sans vergogne. Le jour de l'incendie elle a appelé et n'a parlé qu'à la tante. La mère en colère traita sa fille d'ingrate mais sa tante pris sa défense et lui révéla tout : le viol, sa grossesse et que Paula était sa fille et sa petite sœur. Le père, parti au Venezuela incapable de faire face à sa responsabilité et à la honte et son mariage avec Paco et son départ à Madrid. En colère, la mère se rendit au cabanon pour se venger et trouva son mari endormi aux côtés de la mère d'Augustina. Elle y mit le feu et les flammes, attisées par le grand vent d'Est, dévorèrent son mari et la mère d'Augustina en une minute. Irene disparu ensuite dans la campagne si bien que les deux corps retrouvés en cendre furent considérés être ceux des deux époux. C'est la mère d'Augustina que l'on crut disparue. Décidée à se rendre, Irene se cru finalement plus utile comme fantôme protecteur de tante Paula. Celle-ci, folle, et le village superstitieux acceptèrent sa présence de fantôme.

Irene, Sole, Raimunda et Paula s'arrêtent au bord de la rivière où fut enterré Paco. Raimonda affirme à Paula que son père, Paco, aimait cette rivière. En découvrant l'inscription mortuaire gravée dans le bois Paula comprend que son "père" est enterré là et approuve.

Irene reprend son rôle de fantôme chez Augustina qui est phase terminale de son cancer et a bien besoin d'une infirmière.

Volver (revenir) doit être vu deux fois au moins. Habitués que nous sommes à la toute puissance du metteur en scène pour introduire de fantômes dans des histoires, nous croyons d'abord que Almodovar, revenant lui-même sur les lieux de son enfance où la superstition est enracinée dans les esprits, se permet, pour une fois, un film en partie fantastique.

Certes les indices distribués tout au long du film pourraient nous sortir de notre torpeur de spectateur crédule. Pourtant, très habilement, Almodovar introduit le fantôme au travers des yeux de Sole, la jeune sœur un peu simple de Raimunda. Que croire, lorsque celle-ci se réveille en pleine nuit pensant sans doute avoir rêvé le retour de cette mère dans le coffre de sa voiture ? La mère est bien présente. Pourquoi alors, comme Sole, ne pas penser qu'il s'agit d'un fantôme venant réclamer justice pour le repos de son âme ?

L'indécision flotte encore lorsque la jeune Paula discute avec sa grand-mère sans que l'on ait vu leur première rencontre et les probables explications données. Les enfants sont-ils si crédules pour croire aux fantômes ?

Enfin la position presque systématiquement couchée d'Irène (dans le coffre de la voiture, sur la banquette en écoutant la chanson, dans le placard puis sous le lit) suggère pour elle un autre statut que celui de toutes ces femmes qui s'affairent debout.

La découverte de Irène par Raimunda s'avère à cet égard l'un des plus beaux moments du film : chacune d'elles se relevant dans un subtil champ contrechamp ascensionnel explosant sur le départ de Raimunda alors qu'Irène est en pleurs. Elle sait qu'elle a passé le plus dur moment de sa rencontre avec sa fille. Dès le retour de Raimunda pour la scène d'explication qui se clôt sur le banc où la mère et la fille se réconcilient, la vraie nature du film apparaît dans toute sa splendeur. Le plus dur moment n'est pas l'acceptation en tant que fantôme mais en tant que vraie mère aimée.

Almodovar creuse donc toujours le thème des effets des nappes de passés portées par les personnages sur leur situation actuelle. Ces nappes sont lourdes, gluantes et terribles. Faut-il rappeler le sujet des trois précédents opus du metteur en scène espagnol : la mort d'un enfant (Tout sur ma mère), l'amour pour une femme devenue à demi-morte (Parle avec elle) la pédérastie (La mauvaise éducation) ? Volver pose aujourd'hui la question de savoir s'il est possible de revenir de l'inceste.

La réponse d'Almodovar consiste à faire reconsidérer à ses personnages leurs nappes de passé à la lumière de leurs pointes de présent. A chaque instant, les personnages sont libres de s'engluer dans leur passé ou de choisir de le dépasser pour faire autre chose.

Deux grands moments intenses du film rendent compte de cette alternative. Lorsque Raimunda lors de la soirée pour la fin du tournage se décide à chanter Volver. Elle accepte là les conséquences bénéfiques de la décision de sa mère qu'elle rejetait en bloc jusqu'alors. Pour plaire à sa fille, elle interprète cette chanson que sa mère lui avait fait répéter pour un casting. Le contrechamp des yeux heureux de sa fille pourrait suffire. Almodovar condense pourtant sa mise en scène : il fait intervenir comme contrechamp principal à Raimunda sa mère qui l'écoute en face dans le taxi. Scène au combien bouleversante qui annonce la reconciliation inter-générationnelle de ces femmes trahies. Elles sauront faire taire le ressentiment au profit d'un amour au quotidien.

La seconde scène où Almodovar nous propose la possibilité d'une relecture toujours possible du passé est celle où Irène regarde un extrait de Bellissima (Luchino Visconti, 1951) à la télévision. On a sans doute trop souvent vu le personnage interprété par Anna Magnani, Maddalena, comme une mère indigne voulant faire un enfant prodige de sa fille au mépris de son bonheur. Almodovar assimile pourtant Pénélope Cruz à l'actrice italienne en insistant sur ses formes généreuses et surtout en lui faisant porter la même combinaison noire. Irène peut s'identifier à Maddalena car, comme elle, elle a fait passer un casting sans suite à sa fille, mais elle peut aussi l'identifier à Raimunda dont le courage au travail sauvera sa famille du désastre. Passé et présent s'enchevêtrent.

Les coups de forces du scénario ne sont possibles que parce qu'ils sont subtilement travaillés par Almodovar au sein de scénarios finement tricotés. Le nom identique de Paula et de sa tante nous est révélé alors qu'on ignore alors que tante Paula a accueilli Raimunda lorsqu'elle était enceinte. Si Augusta nous dit longuement sa douleur après la disparition de sa mère alors que Raimunda et Sole souffrent de la disparition de leurs parents, leur disparition simultanée ne nous est révélée que bien plus tard. Le déplacement à 180 kilomètres près de la rivière pour enterrer Paco ne se révélera que bien plus tard son lieu de promenade préféré.

La narration et les mouvements de caméra concourent à ramener les nappes de passé aux pointes de présent dont l'intensité s'exprime dans la composition du plan. C'est d'abord la couleur rouge omniprésente : le sang, le congélateur, l'enrouleur d'incendie auprès duquel téléphone Raimunda, la couleur de la voiture de Sole. Ce sont aussi tous les plans en plongé détaillant un couteau, une assiette, les pleureuses étouffant de leur baiser la nouvelle arrivante ou la poitrine généreuse de Raimunda.

Des chocs visuels, comme des briques pour s'arrimer au présent au milieu des flots du passé, c'est peut-être ainsi qu'Almodovar résume sa mise en scène dans l'étrange générique de début. Ce ne sont pas les noms qui défilent sur un plan mais le travelling qui rencontre dans son déroulement des noms rouges et fixes qu'il intercepte et puis dépasse.

Jean-Luc Lacuve le 22/05/2006