Selon notre décompte, la pièce de Shakespeare, Hamlet, écrite en 1600, a donné lieu à une soixantaine d'adaptations au cinéma ou à la télévision, dont les neuf suivantes :

La nuit, sur les remparts du château d'Elseneur, le jeune prince Hamlet rencontre le spectre de son père, le défunt roi du Danemark, venu lui apprendre qu'il fut lâchement assassiné par son frère Claudius qui convoitait le trône et la reine Gertrude... Hamlet aime Ophélie, dont le père Polonius est le conseiller du roi Claudius. Au cours d'une représentation théâtrale organisée par des baladins, Hamlet fait jouer une scène de son invention au cours de laquelle un homme endormi est assassiné de la même manière que le fut son père... Il espère ainsi provoquer le trouble dans l'esprit du roi. La nuit, dans la chambre de sa mère, la reine Gertrude, il tue Polonius en croyant tuer le roi. De désespoir, Ophélie devient folle et se noie dans la rivière. Les soupçons de Claudius se concrétisent : Hamlet sait quelque chose... Le roi demande à Laerte, frère d'Ophélie et bretteur émérite, de provoquer le jeune prince en duel. Le fleuret de Laerte sera empoisonné. De cette manière, Hamlet mourra sans éveiller les soupçons de la cour. Pour plus de sûreté, Claudius verse aussi du poison dans la coupe du jeune prince. Mais les événements se précipitent : la reine Gertrude boit dans la coupe de son fils et s'écroule morte. Laerte, blessé à mort, avoue tout à Hamlet. Ce dernier, empoisonné par le fleuret de son adversaire, se jette sur le roi et le poignarde avant de mourir à son tour...

1900 : Clément Maurice, Le duel d'Hamlet. Avec : Sarah Bernhardt (Hamlet), Pierre Magnier (Laertes), Suzanne Seylor (Un page). 2'
1907 : Georges Méliès (Film perdu).
1910 : William G. Barker, Hamlet. Avec : Charles Raymond.
1910 : Henri Desfontaines, France
1910 : Mario Caserini, Italie
1910 : August Blom, Danemark
1912 : André Calmettes, France
1912 : Hay Plumb, G.-B.
1912 : Charles Raymond, G.-B.
1914 : Arrigo Frusta, Italie
1914 : James Young, U.S.A.
1915 : W. P. Kellino, G.-B.
1916 : Earl Metcalfe, U.S.A
1916 : Fred Evans (Pimple as Hamlet) U.S.A., burlesque
1916 : Carmine Gallone, Italie
1917 : Eleutario Rodolfi, Italie
1919 : J. Franz, U.S.A., parodie
1920 : Svend Gade, Heinz Schall, Allemagne
1922 : Lau Lauritzen, Danemark, parodie
1925 : Robert Wiene, Autriche
1933 : Robert E. Johnes, Margaret Carrington, U.S.A.
1935 : Shorab Modi, Inde).
1937 : William Watson, U.S.A.).

1948 : Laurence Olivier. Hamlet. Avec : Laurence Olivier (Hamlet), Eileen Herlie (Gertrude), Basil Sydney (Claudius), Jean Simmons (Ophelia). 2h35.


1950 : Jorgen Roos, Danemark, c.m.
1952 : Giorgio Simonelli, Italie, parodie
1954 : Kishore Sahu, Inde).
1955 : Philip Dunne, U.S.A.).
1958 : Gene McKinney, G.-B., c.m.
1959 : Helmut Käutner, RFA, transposition
1959 : John Barnes, U.S.A., doc.
1960 : Franz Wirth, RFA
1960 : Akira Kurosawa (Les salauds dorment en paix), Japon, transposition
1963 : Claude Chabrol. Ophelia. Avec : Alida Valli (Claudia Lesurf), Claude Cerval (Adrien Lesurf), André Jocelyn (Yvan Lesurf), Juliette Mayniel (Lucie). 1h35.


1964 : Gregori Kosintzev, Gamlet. Avec : Innokentiy Smoktunovskiy (Hamlet), Mikhail Nazvanov (Claudius), Elza Radzina (Gertrude), Yuri Tolubeyev (Polonius). 2h28.

1964 : Bill Colleran, John Gielgud, U.S.A.
1964 : Terry Bishop, Ghana
1968 : Enzo Castellari, Italie
1969 : Tony Richardson, G.-B.
1970 : David Giles. Téléfilm BBC. Avec : Faith Brook (Gertrude), Susan Fleetwood (Ophelia), Ian McKellen (Hamlet), John Woodvine (Claudius)
1970 : Ozualdo Ribeira Candeias, Brésil
1973 : Carmelo Bene, Un Amleto di meno . Avec : Carmelo Bene (Hamlet), Luciana Cante (Gertrude), Sergio Di Giulio (William), Franco Leo (Horatio), Lydia Mancinelli (Kate), Luigi Mezzanotte (Laertes), Isabella Russo (Ophelia), Giuseppe Tuminelli (Polonius), Alfiero Vincenti (Claudius). 1h10.

1976 : Celestino Coronada, G.-B., m.m.

1980 : Rodney Bennett, Hamlet. Téléfilm BBC. Avec : Derek Jacobi (Hamlet), Patrick Stewart (Claudius), Claire Bloom (Gertrude). 3h40.

1983 : Rick Moranis, Dave Thomas, Canada-USA.
1987 : Aki Kaurismaki, Hamlet gets business. Avec : Pirkka-Pekka Petelius (Hamlet), Kati Outinen (Ofelia), Esko Salminen (Klaus), Elina Salo (Gertrud), Esko Nikkari (Polonius). 1h26. transposition.
1990 : Franco Zeffirelli, Hamlet : Avec : Mel Gibson (Hamlet), Glenn Close (Gertrude), Alan Bates (Claudius), Paul Scofield (le Fantôme), Ian Holm (Polonius), Helena Bonham Carter (Ophelia), Stephen Dillane (Horatio), Nathaniel Parker (Laertes), Sean Murray (Guildenstern), Michael Maloney (Rosencrantz). 2h15.
1990 : Tom Stoppard (Rosencrantz et Guildenstern sont morts, G.-B.
1990 : Mark Olomaker, U.S.A.
1992 : Natalya Orlova, Russie
1993 : John Mc Tiernan (Last action hero), U.S.A., citation du film de Laurence Olivier.
1994 : Gabriel Axel, Prince of Jutland (Danemark).
1996 : Kenneth Branagh, Hamlet. Avec : Kenneth Branagh (Hamlet), Riz Abbasi (l'assistant de Claudius), Richard Attenborough (l'Ambassadeur anglais), Kate Winslet (Ophelia), David Blair (l'assistant de Claudius). 2h05.
1999 : Andrew Tsao, U.S.A.
2000 : Michael Almereyda, U.S.A.
2002 : Peter Brook, The tragedy of Hamlet. Téléfilm .Avec : Adrian Lester (Hamlet), Jeffery Kissoon (Claudius, le spectre), Natasha Parry (Gertrude), Bruce Myers (Polonius, le fossoyeur), Scott Handy (Horatio), Shantala Shivalingappa (Ophélie).

Brook coupe, comme d'habitude, dans le texte et renomme son film La Tragédie d'Hamlet, avec un casting de seulement huit acteurs dont Adrian Lester jeune acteur noir britannique.

Comme elle est très longue, il est rare que la pièce ne soit pas coupée. La première grande question, la première grande ligne de partage, quand il s'agit d'interpréter Hamlet est de savoir si la pièce est "la tragédie d'un homme incapable d'agir", comme Laurence Olivier le pose dès l'ouverture de son Hamlet (1948), ou le parcours d'un combattant luttant contre le monde ? Longtemps, c'est l'image romantique et mélodramatique qui a prévalu : le Hamlet en pourpoint de velours noir, le regard tourné vers ses tourments intérieurs, tel que représenté par Eugène Delacroix dans son Autoportrait en Hamlet de 1821 et dans nombre de mises en scène du XIXe siècle.

La décision de faire jouer Hamlet par une femme est souvent allée dans ce sens d'une vision névrotique et fragile du personnage. Dès le XVIIIe siècle, Hamlet a régulièrement été interprété par une actrice, en Angleterre comme en France : Sarah Siddons, lançant le mouvement outre-Manche dès 1777, a été suivie, à partir de la fin du XIXe siècle, au pays de Molière, par Sarah Bernhardt (dès 1886), bien sûr, mais aussi par Suzanne Desprès (1913), Marguerite Jamois (1928) ou Esmé Beringer (1938). En 2000, l'iconoclaste metteur en scène allemand Peter Zadek confiait le rôle à l'actrice Angela Winkler. Avec elle, Hamlet était un enfant observant froidement, autour de lui, un monde plus médiocre que tragique, tout en gardant une forme d'innocence. "Le théâtre dans le théâtre n'est pas pour rien le centre et l'apogée de la pièce, remarquait Peter Zadek au moment de la création de son spectacle. C'est comme dans la vie, tous jouent des rôles comme des fous, pour empêcher que d'autres les reconnaissent, et en espérant qu'ils détermineront ainsi leur propre identité. Mon Hamlet vit dans un monde chaotique, un monde d'apparence, il joue des rôles et observe d'autres personnes qui jouent des rôles. Il interroge le monde, qui ne s'arrête jamais assez longtemps pour donner des réponses convaincantes." Hamlet était un enfant, encore, mais là rempli de larmes, dans la mise en scène d'Antoine Vitez, qui elle aussi a fait date, en 1983. Richard Fontana portait une douleur inguérissable, tout son corps appelant le moment de "se perdre et se dissoudre en rosée", selon un vers de la pièce.

Mais, au XXe siècle, un certain nombre d'acteurs ont tranché avec cette vision de la fragilité et de l'indécision d'Hamlet. Dès 1964, Richard Burton livrait une magnifique interprétation où il montrait le prince de Danemark comme un fauve en cage, électrisant l'air autour de lui, puissant, pervers, moderne, en pull et pantalon noirs – la version, signée par John Gielguld, a été filmée et éditée en DVD aux Etats-Unis, des extraits en sont visibles sur YouTube. En 1983, Bruno Ganz, dans la mise en scène de Klaus-Michael Grüber, portait "une douleur inhumaine, contre laquelle il se défend[ait] par la merveilleuse mécanique de l'intelligence, par une énergie barbare qui éclat[ait] en colère rauque, s'égar[ait] sur les chemins de fuite du sarcasme", écrivait la critique de théâtre Colette Godard dans Le Monde du 13 janvier 1983. Et puis il y a eu Gérard Desarthe dans la mise en scène historique de Patrice Chéreau, en 1988. Dans la nuit d'Avignon, puis dans les clairs-obscurs du Théâtre des Amandiers de Nanterre, c'était un Hamlet qui tranchait absolument avec ce qu'on avait vu jusque-là, un cheval noir et fou, d'une lucidité et d'une puissance inoubliables.

L'autre question centrale qui préside aux interprétations du rôle, c'est de savoir si le héros de Shakespeare est fou, s'il joue au fou ou si le rôle du fou finit par lui coller à la peau, à force de le jouer. En 2008, quand il a monté "son" Hamlet au Festival d'Avignon, le grand metteur en scène allemand Thomas Ostermeier en a livré une vision saisissante, avec un Hamlet, interprété par l'extraordinaire Lars Eidinger, dont on voyait la raison se fissurer sous nos yeux.

"Souvent, on présente Hamlet en personnage romantique intègre dans un monde corrompu, analysait Thomas Ostermeier au moment de la création. Je ne pense pas que ce soit si simple et j'ai eu envie de me mettre en colère contre Hamlet parce qu'il n'agit pas. J'avais envie de le violenter un peu et de lui mettre un bon coup de pied aux fesses ! Ce qui m'intéresse aussi, c'est l'éternel problème de la folie d'Hamlet, et j'ai envie d'émettre l'hypothèse que la folie prend possession d'Hamlet et qu'il ne peut plus se cacher derrière le masque du fou dont il s'est couvert au début de la pièce." L'interprétation du personnage était le reflet de la réflexion qui sous-tendait la mise en scène : "On a dit qu'avec Hamlet on entrait dans la période de l'homme moderne, de celui qui a la conscience de la complexité des actions, dans une période où s'opposaient une société de guerriers et une société de penseurs, d'intellectuels, précisait Thomas Ostermeier. Cette conscience de la complexité des actions possibles pourrait rendre les gens fous, de même que la philosophie des Lumières en France, au XVIIIe siècle, a pu le faire en développant trop le raisonnement. Trop réfléchir entraînerait obligatoirement une paralysie de l'action. Il me semble que c'est un sujet très actuel pour nous qui savons très bien analyser les problèmes nés de l'injustice sociale mais qui n'arrivons pas vraiment à agir politiquement et globalement contre. Cette non-action peut nous rendre fous, puisque nous en avons conscience et que nous nous maintenons dans l'impuissance."

Denis Podalydès, dans la mise en scene de Dan Jemmett (2013) pense que la question de la démence d'Hamlet "doit rester indécidable". "Au début, il décide de manière volontariste d'endosser le manteau de la folie, remarque le comédien. Mais dans la scène avec sa mère, on a l'impression qu'il passe de l'autre côté du miroir. Ce qui est beau, et j'en reviens à la dimension de mise en abyme théâtrale de la pièce, c'est qu'Hamlet met à distance la folie par le théâtre, en jouant. Ce qui n'est pas le cas d'Ophélie : si elle sombre, elle, totalement, c'est parce qu'elle ne sait pas jouer, qu'elle n'est pas actrice du tout..." Folie du monde, qui rend ses enfants fous... de rage, d'impuissance blessée et meurtrière : c'était la vision du jeune metteur en scène Vincent Macaigne, dans l'adaptation fracassante qu'il a donnée de la pièce, au Festival d'Avignon de 2011, sous le titre Au moins j'aurai laissé un beau cadavre. Hamlet, joué par le jeune comédien Pascal Rénéric, s'y cognait, comme tous les personnages de jeunes gens de la pièce, contre un monde boursouflé d'insignifiance et de cynisme, ubuesque. Un Hamlet absolument d'aujourd'hui, détruit par ce monde "hors de ses gonds" qui est le nôtre, comme au temps de Shakespeare. Hamlet est toujours là, quand il s'agit de dire qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

Fabienne Darge, Hamlet, avatars d'un prince, Le Monde du 3 octobre 2013.

Hommages et parodies

Dans To be or not to be (Ernst Lubitsch, 1941), le jeune lieutenant aviateur (Robert Stack ) quitte chaque soir sa place pour filer dans la loge de la belle Maria Tura, dès que Joseph Tura, le mari, attaque le grand monologue de Hamlet, "To be or not to be".

La poursuite infernale (John Ford, 1946). Doc termine le monologue de Hamlet à la place d'un acteur shakespearien à la mémoire défaillante qui est obligé d'interpréter le rôle devant des cow-boys hostiles.


Dans Docteur Jerry et mister Love (Jerry Lewis, 1963) Warfield, le directeur de l'université, se ridiculise en interprétant Hamlet face à Love qui le fait monter sur la table, l'éclaire avec le lustre de la pièce, lui fait porter un parapluie en guise d'épée et un chapeau cassé pour la couronne et qui le secoue jusque lui faire baisser son pantalon.