Dictionnaire des films

Sans doute les meilleurs résumés jamais écrits, grande finesse dans l'analyse des films hollywoodiens, mais refus du cinéma moderne.

A lire absolument notament pour : Le cabinet du docteur Caligari, Vertigo , Les enchaînés, Citizen Kane , La soif du mal , Tous en scène , Chantons sous la pluie, La rivière rouge , Rio Bravo , l'aventure de Mme Muir , Eve, La comtesse aux pieds nus , Voyage à Tokyo ...

Lettre d'une inconnue :

Deuxième film américain d'Ophuls. Cette œuvre dont chaque plan est "signé" prouverait, s'il en était besoin, les étonnantes facultés d'adaptation d'Ophuls et l'incroyable aptitude du système hollywoodien à accueillir d'où qu'il vienne le talent le plus personnel et à lui donner les moyens de s'épanouir. Ophuls n'a jamais été plus lui-même que dans cette Vienne admirablement reconstituée en studio. Il y dessine un portrait de femme amoureuse -amoureuse sans espoir- dont la délicatesse et la mélancolie glissent lentement et inexorablement vers le sublime.

La caméra ophulsienne se promène dans les couloirs des maisons, remonte les escaliers, longe les quais des gares, passe d'un personnage à l'autre avec autant de virtuosité que de naturel. C'est le triomphe de ce baroque fluide qui capte et communique au public les émotions les plus intimes des personnages à partir de leur évolutions et de leurs déplacements dans l'espace.

Dans leur jeu de cache-cache à travers le temps, l'espace et les ombres de la mémoire, Lisa et Stefan représentent le couple parfait de la gravité et de la futilité : il existe entre eux une attirance, une fascination mais aussi une irrémédiable incompatibilité. La peinture de Lisa est aussi peu conventionnelle que possible. Son intensité, sa profondeur sont égales dans toutes les scènes mais celle de sa première rencontre avec Stefan ("please talk about yourself", lui demande-t-elle fascinée) est particulièrement inoubliable. La peinture de Stefan n'a pas moins de finesse et de relief, l'image de la frivolité étant peut-être encore plus difficile à saisir que celle de la dévotion incarnée par Lisa. Stefan ressemble par certains côtés à "l'homme fille" que décrit Maupassant dans le texte qui porte ce titre. C'est aussi un dandy wildien et décadent dont l'usure intérieure n'a pas encore abîmé les traits

L'art d'Ophuls est ici à son comble, jouant aussi bien sur les dialogues et sur l'interprétation que sur l'utilisation du décor et du montage. Voir aussi le superbe fondu entre le plan de Lisa s'éloignant de dos hors de la gare (où elle vient de quitter Stefan) et celui de la religieuse s'avançant face à la caméra vers le lit d'où Lisa a accouché. Par une telle liaison entre deux séquences, à la fois simple, bouleversante et inattendue Ophuls révèle comme tout grand metteur en scène sa nature de démiurge, son aptitude à être, dans son récit le maître du temps aussi bien que des émotions du spectateur.

 

 

 

 

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Jacques Lourcelles

Robert Laffont (réédité le 9 juillet 1999) Collection : Bouquins
1725 pages. Dimensions : 13 x 20. 31,95 euros ou amazone.fr