Les moissons du ciel

1978

Thème : Les paysans

(Days of heaven). Avec : Richard Gere (Bill), Brooke Adams (Abby), Sam Shepard (un fermier), Linda Manz (Linda), Robert J. Wilke (le directeur de la ferme). 1h33.

1916, près de Chicago. Bill doit fuir l'usine où il a eu une altercation avec un contremaître. Il prend la direction du Texas en compagnie de sa soeur, Linda, âgée d'une douzaine d'années et de sa petite amie, Abby, qu'il fait passer pour sa soeur aînée.

Au terme du voyage, le trio est engagé pour la durée de la moisson dans une grande ferme dont le jeune et riche propriétaire, Chuck, s'éprend d'Abby qu'il demande en mariage. Bill accepte, par calcul, une union dont il pense qu'elle sera de courte durée. En effet, il a surpris une conversation au cours de laquelle Chuck a appris de son médecin qu'il n'avait guère plus d'une année à vivre.

Le plan de Bill est simple : Abby épouse Chuck et en hérite un an plus tard. La jeune femme, tout en continuant à aimer, bien peu fraternellement, son prétendu frère, s'attache insensiblement à ce mari généreux et tendre dont la mort tarde d'ailleurs à se produire.

Le contremaître de la ferme comprend le manège des jeunes gens que Chuck surprend un jour dans une étreinte sans équivoque. C'est en combattant une invasion de sauterelles que le fermier déclenche un gigantesque incendie à la faveur duquel il tente de se débarrasser de Bill. Linda, Abby et Bill s'enfuient. La police les rejoint et abat le jeune homme.

Linda s'échappe du pensionnat auquel l'avait confié sa soeur et poursuit son chemin. Abby, qui pourrait se prostituer pour survivre, s'empresse de monter dans un train de soldats revenant, joyeux, de la guerre en Europe qui vient de s'achever.

Pour l'affiche du film Terrence Malick emprunte deux des plus grands clichés ruraux américains. Le premier est la fameuse Maison près de la voie ferrée d'Edward Hopper. Le second est Christina's World d'Andrew Wyeth. Empilées l'une sur l'autre, les deux oeuvres composent l'affiche des Moissons du ciel.

Un film admiré pour sa photographie

Une bonne partie des plans sont tournés pendant l'heure bleue, que le directeur de la photographie, Nestor Almendros, qualifiait "d'euphémisme, car elle ne dure pas une heure, mais plutôt 25 minutes, dans le meilleur des cas. C'est le moment où le soleil vient juste de se coucher, et alors qu'il ne fait pas encore nuit. Le ciel est lumineux, mais il n'y a pas de soleil à proprement parler. La lumière est très douce, elle a quelque chose de magique. Du coup, notre temps de tournage quotidien était limité à 20 minutes, mais ça s'est révélé payant en termes de rendu à l'écran. Ça donnait aux images un air magique, une beauté romantique".

La photographie du film, tourné dans la province d'Alberta au Canada, est en effet magnifique. Mais la production prit du retard avec des coûts dépassant le budget initial d'environ 800 000 dollars américains, alors que Schneider avait déjà hypothéqué sa maison pour couvrir les frais supplémentaires,  non pris en charge par contrat,  par la Paramount Pictures. Heureusement le film remporta le prix de la mise en scène au festival de Cannes en 1979.

La nostalgie d'un Eden possible

Le thème musical principal du film est le titre Aquarium, extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, utilisé à trois reprises : pendant le générique de début, au milieu du film, et lors de la scène finale. Cette musique a été popularisée par son utilisation lors de la montée des marches du festival de Cannes.

Photographie, thème musical, musique d'Ennio Morricone, abondance des plans sur les animaux et usage d’une voix off apaisante donnent au film sa tonalité d'un Eden encore possible, presque sans tache ou chacun serait le frère et la sœur de l'autre. Les relations sexuelles sont en effet inexistantes dans ce film où abondent en revanche les gestes tendres. C'est le retour de Bill qui provoque le drame : la jalousie de Chuck qui se méprend sur les gestes tendres d'adieu de Bill et Abby. Ses tremblements, qu'il ne peut contenir, sont en phase avec l'attaque soudaine des sauterelles. Ensuite, le feu de sa jalousie n'a d'égal que celui des champs qu'il laisse s'enflammer. Sa colère se retourne contre lui et il en meurt.

Ces parcours masculins tragiques disent la présomption mais aussi la beauté et la terreur des hommes à vouloir changer le cours des choses : l'approche de la mort ou tenter d'échapper à l'exploitation capitaliste pour équilibrer le monde. "Certains ont trop, d'autres pas assez" constatait Linda dont la voix off innocente et lucide se contentant de vivre les événements au présent dans leur splendide beauté est à l'image de la philosophie de Malick.

Jean-Luc Lacuve le 03/04/2017