La France

2007

Avec : Sylvie Testud (Camille), Pascal Greggory (Le lieutenant), Guillaume Depardieu (François), Jean-Christophe Bouvet (Elias), Guillaume Verdier (le cadet), François Négret (Jacques), Laurent Talon (Antoine), Pierre Léon (Alfred), Benjamin Esdraffo (Pierre), Didier Brice (Jean). 1h42.

Automne 1917. Au loin, la guerre bat son plein. A l'arrière, Camille, une jeune femme, vit au rythme des nouvelles de son mari parti au front. Mais un jour, elle reçoit une courte lettre de rupture. Bouleversée et prête à tout, elle décide de se travestir en homme pour le rejoindre. Elle se dirige vers le front, empruntant les chemins de traverse afin d'échapper à la vigilance des gendarmes.

Dans une forêt, elle rencontre une petite troupe de soldats qui ne se doutent pas de sa véritable identité. Ils ne veulent pas qu'elle les suive mais Camille les poursuit en cachette ce qui lui vaut une balle dans le bras... et les soins des soldats. Plus tard, elle devra pareillement se jeter dans la rivière pour qu'ils finissent par accepter qu'elle les suive.

Elle s'aperçoit bientôt de l'étrange comportement de la troupe qui se cache dans les arbres à l'approche d'un soldat de liaison ou se terre dans une crevasse à l'approche de soldats ennemis à cheval. Ils lui avouent alors qu'ils ont déserté et cherchent à rejoindre la Hollande.

La troupe franchit un poste de contrôle puis Camille tue un soldat ennemi qui surveille un territoire proche de la frontière. Alors que la troupe fabrique un radeau pour suivre la rivière, Jacques raconte l'histoire du soldat Philippe. Historien de formation, passionné de l'Atlantide, il se laissa progressivement gagner par le découragement malgré le soutient de son lieutenant. Un jour, il resta bloqué derrière les lignes ennemies et les soldats durent fuir sans pouvoir l'aider. C'est depuis ce jour qu'ils ont déserté.

Un jour, la troupe tombe dans une tourbière de laquelle ils restent prisonniers. Heureusement un paysan, Elias, et son fils les tirent hors de la fosse. En prenant soin d'eux, le fils d'Elias découvre la féminité de Camille et tente de la violer. Le vieil Alfred essaie de la dégager et se prend un coup de couteau avant qu'un de ses camarades ne tire sur le fils d'Elias. Celui-ci survient et découvre son fils mort. Fou de rage se bat avec le lieutenant qui doit se résoudre à le poignarder. Les soldats s'enfuient à l'approche des villageois et incendient la ferme.

Le cadet qui s'était attardé pour détrousser un cadavre est tué par l'ennemi. L'hiver approche et la troupe a bien du mal à trouver le courage nécessaire pour poursuivre sa route malgré les chansons qu'ils entonnent en chœur. Soudain, sortant de nulle part, arrive François. Le mari de Camille a d'abord du mal à reconnaître sa femme. Tous deux laissent partir la troupe vers la Hollande. Le soir après l'amour, François contemple les étoiles et pense aux soldats qui fuient.

Ceux-là, apprend-on par un carton, n'auront pas la chance d'atteindre la Hollande.

La France est le meilleur film de guerre français depuis plus de quarante ans, depuis Les carabiniers de Godard en 1963.

Film classique, émouvant et lyrique il est aussi et film moderne à la structure suffisamment lâche pour se laisser envahir par l'humour et les symboles.

Sur le seul terrain de la première guerre mondiale, il dépasse de bien loin les reconstitutions classiques, sérieuses dans leurs contenus mais paresseuses sur la forme (La vie et rien d'autre), celles maniérés et malines (Un long dimanche de fiançailles). Il modernise les pamphlets antimilitaristes (Jonhy s'en va en guerre, Les sentiers de la gloire ) pour retrouver les ruptures de ton et la chaleur humaine de La grande illusion.


Aventures en France

C'est par des chemins de traverses que Serge Bozon nous découvre ses personnages. A quelques kilomètres du front, Camille découvre une petite troupe qui ne rencontre ni soldats français, ni ennemis, ni combats. Troupe improbable que Camille, ignorante de la boucherie qu'est la première guerre mondiale, suit obstinément. Le spectateur plus au fait de ce qu'il sait être la guerre, ou plutôt les films pleins de bruits et de fureur sur la guerre, a plus de mal à croire à cette troupe de soldats perdus et guette plutôt le moment où ceux là combattront enfin ou découvriront qui est celle-là qui se cache sous des habits d'hommes.

Serge Bozon trompe cette double attente. Si les soldats adoptent une attitude aussi bizarre, se cachant des combats et grimpant aux arbres dès qu'approche un vrai soldat c'est qu'ils sont eux de faux soldats, des déserteurs en fuite. Ce n'est cependant qu'au bout d'une demi-heure de film que cette révélation surgit. Pareillement la révélation de la féminité de Camille vient alors que l'on avait oublié cet enjeu dramatique et surgit avec violence dans la tentative de viol qu'elle subit alors qu'elle est blessée après sa chute dans la tourbière.

Ainsi donc Serge Bozon ne nous a pas trompés sur ce qu'est son film : un vrai film de guerre avec une vraie altérité mais il a déplacé les enjeux du centre (centre des combats et centre amoureux classique d'un film) vers la périphérie (les soldats rodent près de la frontière vers laquelle ils cherchent la fuite, la féminité n'est qu'un des aspects de l'humanité que le film fait résonner).

A l'image d'Aventures en Birmanie, où Walsh promenait dans une forêt ses soldats poursuivis par les Japonais, Bozon s'écarte du centre des combats pour faire de ses soldats le centre du film.

Dans La grande illusion, Jean Renoir avait déjà construit son film sur les structures de la société humaine, nées elles-mêmes de la diversité humaine. Jusqu'ici cette diversité (de classes, de races, de langues, de religions, de cultures) n'avait été cause que de conflits sanglants. Un jour, peut-être, elle engendrera l'harmonie et la paix universelle. C'est dans les ruptures de tons, le mélange des genres que Renoir atteignait à cette chaleur humaine qui, il l'espérait, finirait par rendre inutile les conflits armés.

Et c'est pareillement cette chaleur humaine qui constitue le centre du film de Bozon. Ces séquences sont toujours marquées par la rencontre de l'altérité, du nouveau, du lyrisme et du saugrenu. Ainsi de la scène de repos où les soldats découvrent une forêt miniature dans les brins d'herbes qu'ils examinent. Ainsi la nuit où chacun participe au repas en ramassant des baies ou en écorchant un lapin. Ainsi de l'apprenti écrivain auquel Camille avoue ne rien connaître en littérature après qu'il lui ait lu son poème et qui s'éloignera en déclarant "être un peu déçu". Ainsi, les marches scandées par le souvenir partiel du poème de l'Atlantide. Ainsi le lyrisme des chansons : l'Allemagne, l'Italie, la France et la Pologne se terminant sur la même interrogation douloureuse "Et si un jour je t'appelais est-ce que tu viendrais ?". Le point d'orgue de ces séquences est le récit par Jacques s'exprimant contre le vent de l'histoire du soldat Philippe mort parce que son rêve de l'Atlantide "n'en valait plus la peine" disait-il face à la répétition des combats.

Voyage au cœur des ténèbres

Durant ce récit, les soldats préparent le radeau qui les verra, dans la séquence suivante, s'enfoncer dans une nuit zébrée des éclairs des bombardements alors que, off, se font entendre les détonations. La séquence rappelle immanquablement celle de Apocalypse now où Willard embarque sur un petit patrouilleur pour remonter un fleuve vietnamien et se retrouve au cœur des ténèbres selon le titre du livre de Conrad dont le film est inspiré.

Ces ténèbres qui entourent les soldats depuis leur fuite consécutive à la mort du soldat Philippe, rien ne peut les dissiper et les condamnent à ne jamais atteindre la Hollande, l'Atlantide de leur rêve. Cette légende est extrêmement prégnante dans le romantisme allemand et celui-ci revient aussi avec ces cavaliers armés de lances auxquels les soldats essaient d'échapper. Si l'armement est historiquement exact, la dimension métaphorique n'en est pas moins présente au même titre que dans les séquences dans la tourbière, celle du feu mis à la grange qui a accueillies les soldats ou la tombe du Cadet au bord de l'eau.

Le lieutenant ne voit plus que la mort. Il est incapable de voir dans Camille autre chose que le désir de mort qu'il porte en lui. A l'inverse, François, proprement revenu de l'enfer, regarde lui les étoiles dans la séquence finale tout en sachant retrouver l'altérité, l'existence de la communauté humaine formée par chaque être humain. S'il avait eu du mal à aimer physiquement Camille qui lui reproche de ne pas faire attention à elle, il est capable d'énumérer le nom des soldats perdus, leur donnant une existence que leur histoire tragique leur refuse.

Jean-Luc Lacuve, le 04 décembre 2007