Les bureaux de Dieu

2008

Genre : Drame social

Avec : Nicole Garcia (Denise), Nathalie Baye (Anne), Isabelle Carré (Marta), Béatrice Dalle (Milena), Rachida Brakni (Yasmine), Marie Laforêt (Martine), Anne Alvaro (Docteur Marianne), Michel Boujenah (Docteur Lambert), Lolita Chammah (Emmanuelle), Marceline Loridan Ivens (Marceline). 2h02.

Djamila aimerait prendre la pilule parce que maintenant c'est devenu sérieux avec son copain. La mère de Zoé lui donne des préservatifs mais elle la traite de pute. Nedjma cache ses pilules au dehors, car sa mère fouille dans son sac. Hélène se trouve trop féconde. Clémence a peur. Adeline aurait aimé le garder, Margot aussi. Maria Angela aimerait savoir de qui elle est enceinte. Ana Maria a choisi l'amour et la liberté.

Anne, Denise, Marta, Yasmine, Milena sont les conseillères qui reçoivent, écoutent chacune se demander comment la liberté sexuelle est possible. Dans les bureaux de Dieu on rit, on pleure, on est débordé. On y danse, on y fume sur le balcon, on y vient, incognito, dire son histoire ordinaire ou hallucinante.

Les bureaux de Dieu n'est pas un documentaire parce qu'il ne correspond pas à la caractéristique nécessaire du genre : qu'il soit interprété par des acteurs jouant leur propre rôle dans les conditions du direct. Quant au documentaire lui-même, il ne devient oeuvre d'art que lorsqu'il dépasse son sujet pour tendre à l'universel.

Tout fabriquer pour revenir au réel

Si ici le film atteint bien à l'universel, il le fait à travers le jeu d'actrices professionnelles ou débutantes. Au sein des premières, la hiérarchie du star-system est respectée. Aux stars, Nicole Garcia et Nathalie Baye, le temps de présence le plus long à l'écran alors qu'en est accordé un peu moins à Isabelle Carré et Béatrice Dalle et moins encore à Anne Alvaro, Rachida Brakni, Marie Laforêt et Marceline Loridan-Ivans. Du côté des hommes, Claire Simon a choisi deux acteurs-réalisateurs comiques : Michel Boujenah et Emmanuel Mouret dont le jeu est plutôt plus sobre que dans leurs propres films. Face à ces femmes et hommes du planning, les consultantes ont été choisies parmi des femmes rencontrées au hasard. Elles ont semblé à Claire Simon proches des femmes rencontrées dans les entretiens. Elles deviennent des comédiennes sous nos yeux.

Ce travail patient et risqué de casting produit un formidable effet de réel bien loin des reconstitutions d'entretiens pâlichonnes que diffuse parfois Arte sur des sujets difficiles. Dans ces docu-fiction, les acteurs professionnels semblent interchangeables. Ils s'emploient à restituer des paroles d'anonyme avec la seule volonté, de faire sobre et neutre. La direction d'acteur est ici suffisamment forte et le jeu juste pour que l'on y croit.

Le risque du cadre

Claire Simon a donc constitué un casting éblouissant où dominent les thèmes de l'engagement, du mystère et de la légèreté et de la transmission. A Denise la lecture de Racine, à Marta et Miléna les pas de danse et les pauses sur le balcon, à Marceline l'espoir d'assumer un jour, seule, un entretien.

Une ode aux travailleurs sociaux et à ceux qui vont le devenir

La rencontre entre ces professionnelles et les actrices amateurs est tout aussi exceptionnelle. "Elles se rencontrent à la première prise, pour que le travail se fasse devant la caméra" a commenté Claire Simon. Ce risque de la rencontre est décuplé par le fait que tous les entretiens sont filmés en plan-séquences, sans coupure par un champ contrechamp. Grande documentariste, Claire Simon sait que l'entretien doit donner l'impression d'avoir été capté au travers du cadre comme quelque chose de vivant pour exprimer une vérité. Un arrêt dans la continuité de la captation romprait le sentiment de vraisemblance. Dans le générique, elle n'omet ainsi pas de se nommer à la mise en scène et au scénario mais aussi au cadre.

La densité humaine des entretiens, la finesse psychologique des femmes du planning conduit à les magnifier et à magnifier leur travail. A la fois tout en haut de l'immeuble et pourtant intégrées à la ville, elles semblent en être le poumon, absorbant aussi bien la douleur des femmes fragilisées (par la morale des parents ou par le statut d'étrangère ou la condition sociale) que le soleil du dehors.

Ecran large et scénario

Le film évite les cas les plus lourds. Les affiches sur le viol ou les violences conjugales paraissent à l'arrière plan mais ne font pas l'objet d'un entretien. Car c'est du plus quotidien de la ville d'aujourd'hui et de la vie des femmes que parle le film.

L'écran large et le scénario, qui glisse des jeunes filles aux femmes mûres fragilisées par leur contexte socioculturel, expriment l'élan universel vers une liberté toujours à gagner.

Jean-Luc Lacuve le 10/11/2008