La cinquième victime

1956

Voir photogrammes : format 1.37 , format 2.00
Genre : Film noir
Thème : Serial killer

(While the City Sleeps). Avec : Dana Andrews (Edward Mobley), Rhonda Fleming (Dorothy Kyne), George Sanders (Mark Loving), Howard Duff (Lt. Burt Kaufman), Thomas Mitchell (John Day Griffith), Vincent Price (Walter Kyne), Sally Forrest (Nancy Liggett), John Drew Barrymore (Robert Manners), James Craig (Harry Kritzer), Ida Lupino Ida Lupino (Mildred Donner), Robert Warwick (Amos Kyne). 1h40.

New York. Judith Felton, une jeune femme de 25 ans, est agressée chez elle par un jeune livreur. Sur le mur au-dessus de son cadavre sont écrits au rouge à lèvres les mots : "Demandez à maman". Au "New York-Sentinel" on s'apprête pour l'édition du soir. Alité et sous surveillance médicale, Amos Kean, le patron du consortium Kean, est censé se reposer mais, dès qu'il a connaissance du crime, veut le voir étalé en première page : chaque femme se servant d'un rouge à lèvres, c'est à dire toutes, doit avoir peur chaque fois qu'elle s'en sert. Il fait venir pour cela Griffith, son rédacteur en chef, Loving, le chef de son agence de presse et Kritzer, le responsable du service photographique ainsi qu'Edward Mobley, prix Pulitzer et présentateur vedette de son journal télévisé. C'est à lui qu'Amos aurait voulu confier sa succession et non à son fils Walter, un incapable qu'il a trop gâté. Mobley n'est pas très sensible à son discours sur la liberté de la presse, garante de la démocratie et dit préférer la littérature au pouvoir. Alors qu'il allume le poste de télévision où il doit bientôt paraitre, Amos décède brusquement et Mobley en fait le premier titre de son journal.

Walter, successeur incapable et pervers de son père, va se servir de l'affaire du "meurtrier au rouge à lèvres" pour décider de la personne à qui confier le poste parmi les collaborateurs qui briguent le poste : Griffith, Loving et Kritzer.

Mobley utilise la télévision pour s'adresser directement à l'assassin et le décrire aussi précisément que lui permet son enquête personnelle. Pour démasquer le meurtrier, il annonce son intention de se fiancer avec Nancy, la secrétaire de Loving. Son plan fonctionne. Le tueur va se venger sur Nancy qui, servant d'appât, est placée sous surveillance. Mais, afin de tenir Mobley en son pouvoir, Loving l'oblige à s'afficher avec Mildred, la commère du journal qui tente de le séduire. A la suite de quoi, Nancy rompt avec Mobley et renvoie son garde du corps. Elle échappe ainsi de justesse à l'assassin qui sera arrêté après une poursuite dans le métro. Il s'agit de Manners, un jeune déséquilibré.
Griffith est nommé directeur du journal grâce à Mobley qui lui abandonne le poste et préfère se consacrer à Nancy.

Panorama de la société américaine fondée sur la compétition et le crime. Il n'y a plus ni bons ni méchants : la férocité de la compétition a ramené tous les individus au degré zéro de la morale et de la considération pour autrui.

La liberté d'une production indépendante

Après un succès surprise, Règlement de comptes en 1953, dont il n'a pas su profiter, les films suivants n'apportent à Lang que des déceptions. Des scènes de Moonfleet ont été coupées, une fin artificielle ajoutée. Il va désormais de producteur en producteur, s'estimant trahi le plus souvent. Il essaie de se trouver des justifications : maladresse de ses agents, ostracisme politique. Même s'il y a une part de vérité, le fait est qu'il ne correspond plus aux attentes du cinéma des studios. Pendant près d'un an, il travaille à un projet personnel, Dark spring, sans trouver de star ni de producteur. Il commence à chercher des possibilités ailleurs. Il correspond, voit des gens, relance ses agents, cherche du travail sur la côte Est, et, pour la première fois depuis son exil, en Allemagne.

Bertram Eli Frielob, playboy, héritier d'une fortune de Chicago lui propose alors de produire La cinquième victime. Pour ce nouveau projet, il s'est associé à Casey Robinson, écrivain vedette de Warner Bros qui veut devenir producteur mais qu'il écarte bientôt lui laissant la seule responsabilité du scénario. Robinson s'entend très bien avec Lang pour adapter The bloody spur, premier roman de Charles Einstein, publié en 1953. Il y décrit à la fois le fonctionnement d'un empire de presse et la cavale d'un criminel ouvertement inspiré de William George Heirens, étudiant de l'université de Chicago, arrêté après trois meurtres en 1946, alors qu'il avait 18 ans. Dans Before I kill more, Lucy Freeman, qui a interviewé Heirens en prison, indique que le graffiti tracé au rouge à lèvres par le tueur sur le lieu de son deuxième assassinat était "For god's sake catch me before I kill more. I cannot control myself". Lang choisit finalement "Ask mother" mais ironiquement fera dire "Je ne peux me contrôler" au journaliste.

Pourtant le tueur n'est pas ce qui intéresse Lang en premier lieu. Il a déjà traité le sujet dans M le maudit. Le sujet est bien celui de Charles Einstein, l'auteur du roman : la rivalité entre mauvais amis, des hommes creux au cœur vide et l'ambition professionnelle qui détruit les liens personnels. Lang déplace l'action de Chicago à New York et s'inspire de la salle de rédaction du Los Angeles Times ; un espace commun où des vitres séparent les rivaux tout en les faisant coexister.


Question de format

La cinquième victime n'est pas une production RKO. Le studio de Howard Hughes est immobilisé par des conflits légaux et son catalogue est presque entièrement fourni par des indépendants comme Frielob. Celui-ci, qui destinait d'abord le film à United Artists, utilise quelques moyens techniques et techniciens du studio qui distribuera mal le film, car ce n'est plus son problème. Hughes a vendu RKO en juillet 1955 pour 25 millions de dollars à une filiale de General Tire and Rubber Company : General Teleradio Inc., propriétaire de six chaines de télévision et d'un réseau de radio.

Dans les années  d'enthousiasme pour l'écran large, les salles américaines souhaitent projeter les films dans ces formats larges. Le haut et le bas de l'image sont coupés, pour donner l'illusion d'un écran large. A partir de 1954, les salles sont censées projeter tous les  films non anamorphosés, même encore tournés en standard, avec un cache qui élimine haut et bas de l'image. Les opérateurs savent que leurs films seront projetés en Europe au format standard et surtout à la télévision dans son format 4/3. Ils prennent soin de concentrer toute l'action dans un cadre réduit en haut et en bas, tout en envisageant que le film soit montré plein cadre. RKO avait de plus imaginé d'exploiter des films tournés en "standard" dans un format d'écran large baptisé SuperScope puis RKO-Scope : une image anamorphique de 2x1, un peu moins large que le Scope Traditionnel 2,35x1 mais davantage que le 1,85x1. Un format, écrivait Truffaut, qui "cumule tous les inconvénients du CinemaScope sans aucun des avantages". La cinquième victime et L'invraisemblable vérité sont ainsi tournés avec une fenêtre standard mais pour être présentés aux Etats-Unis en panoramique 1,85x1, à la télévision en 4x3, en Europe dans des copies anamorphosées au format 2x1.

Jacques Lourcelles préfère le format large car dit-il, Lang connaissait la situation ce que ne confirme pas Bernard Eisenschitz dans le livret du DVD ci-dessous. L'argument vaut pour L'invraisemblable vérité, tourné dans la foulée mais pas ici nous semble-t-il, notamment pas pour les décors du journal, seul exemple cité par Lourcelles. En revanche, l'imposante stature du bâtiment est coupée dans la version 2.00 ainsi que le gros plan sur le graffiti lorsque se déclenche le fondu-enchainé sur le New York Sentinel; autant de plans qui justifient une préférence pour le 1.37

 

Jean-Luc Lacuve le 20/12/2012

Test du DVD

Editeur : Wild Side Video, décembre 2012. Collection Classics confidential. Master restauré. 2DVD+Livre : 53 €.

Alalyse du DVD

Suppléments : La nuit américaine de Fritz Lang, le livre exclusif de 120 pages écrit par Bernard Eisenschitz et illustré de photos et de documents d'archives rares. Les 2 films dans leur format original 1.37. Bande-annonce de L'invraisemblable vérité.