La peinture a joué des rôles différents selon les périodes de création de Jean-Luc Godard. D'abord emblème des personnages ou de leurs espoirs dans la période moderne, elle est devenue une image à laquelle se confronter puis une image comme les autres (I). Godard a ainsi traversé tout le spectre de la peinture occidentale, des primitifs italien à Giacometti, avec Rembrandt et Pablo Picasso comme alter ego. (II)

I - La peinture dans les différentes périodes de Jean-Luc Godard

La peinture est depuis le début très présente dans le cinéma de Jean-Luc Godard. Plus d'une dizaine de réproductions sous forme de tableaux ou de cartes postales se trouvent dans A bout de souffle (1960), deux dans Les carabiniers (1963) et près d'une vingtaine dans Pierrot le fou (1965). La peinture disparait des périodes militante et video pour revenir en force avec Passion (1982). La peinture se fait moins emblème des personnages comme précédemment pour devenir sujet de reflexion. Godard explore "comment ça va" le cinéma avec la peinture. Sont ainsi essayées différentes façons de faire travailler les rapports peinture et cinéma au travers de la lumière, du sujet, de l'émoi érotique, du travail de la composition, de la mise en scène, de la métaphore (ici celles du sexe et de la quête). Dans Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma (1986), deux reproductions du Tintoret sont l'occasion de jeux de mots confrontant la littéralité du titre et la multiplicité d'interprétation de l'image.

1 - La peinture comme emblème des personnages dans la période moderne

Dans A bout de souffle (1960), cinq petites reproductions de tableaux sous forme de cartes postales se trouvent chez Lilian dont La baigneuse de Valpinçon (Ingres, 1808) et Portrait d'Irma Brunner au corsage rose (Edouard Manet, 1881). Bien plus visibles sont en revanche les affiches dans la chambre de Patricia, trois Picasso, Les amants (1923), Jacqueline avec des fleurs (1954) et Nouvelle Année (1959), deux Paul Klee : Le timbalier (1940) et La brute timide (1938), La danseuse assise de Degas, La petite Irène de Pierre-Auguste Renoir (1880, conservée à Zurich) sur laquelle Patricia vient coller son visage et une jeune femme méditant dans la salle de bain.

Dans Les carabiniers (1963), lorsque Michel-Ange découvre une reproduction de l'Autoportrait aux deux cercles dans la maison où il est prêt de violer son occupante, il déclare "Un soldat salue un artiste". Ulysee contemple une Madone à l'enfant d'un primitif italien.

Dans Pierrot le fou (1965), la peinture tient un rôle majeur. Si ce qu'il y a entre les êtres est difficile à cerner, leurs façons d'être, différentes et changeantes, peuvent aussi être rendues par le collage en associant un personnage ou une situation aux archétypes du passé. C'est d'abord Marianne qui est associée à Petite fille à la gerbe (1888) pendant que Ferdinand prononce off ses prénom et nom : "Marianne Renoir". Elle est ensuite associée à la Femme à la cravate (Modigliani, 1917) et à la Jeune femme au miroir (Picasso, 1932). Les cartes postales sont d'autres identifications possibles : Femme nue (Renoir, 1880), Grand intérieur rouge (Matisse, 1948), Conversation (Matisse, 1941) et La blouse roumaine (Matisse, 1940). Ferdinand se réveille lui devant trois cartes postales Les amants (Picasso, 1922), ce qu'il voudrait que son couple avec Marianne soit, Paul en Pierrot (Picasso, 1925) quand Marianne l'appellera Paul, il pourra l'appeler Virginie et Cap Ferrat (Chagall, 1952) flash-forward du road movie qui s'annonce.

Dans cet appartement parisien, on voit aussi Les Capétiens partout (Mathieu, 1954) alors que des inserts sur les cartes postales apparaitront successivement dans le film. Lors du voyage vers le sud, apparaitront, en écho à la sensualité de l'été, Baigneuse couchée au bord de la mer (Renoir, 1892) et Terrasse du café le soir (Van Gogh, 1888). Il est aussi fait allusion au suicide de Nicolas de Staël.

Dans l'appartement où Marianne est enlevée puis Ferdinand torturé se trouvent le portrait de Sylvette (Picasso, 1954) et Jacqueline avec des fleurs (Picasso, 1954).

 

2 - "Comment ça va" le cinéma avec la peinture

Dans Passion (1982), sont confrontés, d'un côté le travail en usine et, de l'autre, le spectacle de la peinture. D'un côté des émotions qui se cherchent et, de l'autre, l'exaltation de cette émotion au travers de tableaux reconstruits et emportés par de lyriques partitions musicales. Godard explore "comment ça va" le cinéma avec la peinture. Sont ainsi essayées différentes façons de faire travailler les rapports peinture et cinéma au travers de la lumière, du sujet, de l'émoi érotique, du travail de la composition, de la mise en scène, de la métaphore (ici celles du sexe et de la quête). Le travail sur le trajet de la lumière ("la lumière ne va pas" se plaint Jerzy en parlant de celle du studio : "Elle va nulle part, elle vient de nulle parte") est mis en scène dans La ronde de nuit (1642) où la reconstruction du tableau est immédiatement suivie d'une scène avec un soleil rasant du soir. Godard soutient en effet que le tableau de Rembrandt est plutôt une ronde de jour car encore éclairé par l'astre solaire.

A la recherche de la lumière (Voir : Ronde de nuit)

Les quatre tableaux de Francisco de Goya qui suivent : Le 3 mai 1808 à Madrid (1814), La maja nue (1799), Le parasol (1777) et Charles IV et sa famille (1804), proposent une métaphore de la révolte d'Isabelle lors de la réunion syndicale qu'elle a organisée contre son patron pour obtenir sa prime de licenciement et de meilleures conditions de travail. C'est d'abord le raccord lumière-projecteur qui lie les deux mondes :

La lumière comme liaison entre le travail en usine et le travail artistique (Voir : projo)

Le plan d'Isabelle endormie relie sa lutte actuelle avec celle des patriotes espagnols en guerre avec Napoléon.

La lutte contre l'oppression ici ou autrefois (Voir : 3 mai)

La petite odalisque de Jean-Auguste Dominique Ingres provoque l'émoi érotique peut être l'aiguillon nécessaire à la création comme en témoigne les deux tableaux d'Eugène Delacroix qui suivent la Lutte de Jacob avec l'ange (1861) et l'apothéose de la mise en scène théâtralisée et lyrique de l'Entrée des croisés dans Constantinople (1840).

La relation sexuelle anale entre Jerzy et Isabelle est métaphorisée par la Vierge de l'immaculée conception (1613) du Greco. L'abandon momentané du film pour une quête de l'argent américain par le producteur ou de la lumière naturelle de la Pologne par Jerzy trouve un écho dans Pélerinage dans l'île de Cythère (1717) de Jean-Antoine Watteau.

Passion fait donc jouer les deux champs de la création artistique et du travail en usine en maintenant leur séparation pour ne les faire se rapprocher que dans les moments d'émotion où se trouvent des rapports justes et lointains selon la formule énoncée par Jerzy : "Une image n'est pas forte parce qu'elle est brutale ou fantastique mais que la solidarité des idées est lointaine et juste".

La peinture est évoquée dans Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma (1986) lorsque Gaspard ouvre un livre sur le Tintoret. Il demande à Françoise combien elle voit de personnages dans les reproductions de Bacchus et Ariane et de L'origine de la voie lactée. Françoise en voit respectivement trois et plusieurs. "Ce n'est pas la bonne réponse" s'écrie Gaspard. Il faudra attendre la venue d'Eurydice pour avoir la "bonne" réponse : il faut rester littéral et, puisque les tableaux s'appellent Bacchus et Ariane et, L'origine de la voie lactée, la bonne réponse est deux et un.

On s'amusera de constater que le livre de Godard contient un titre tronqué puisque le tableau s'appelle Ariane, Vénus et Bacchus.

 

3 - La peinture : une image comme les autres

En 2018, dans Le Livre d’image, il y a au générique, dans l’ordre de leur apparition, Vinci, (Saint Jean Baptiste, 1516) Giacometti (La main, 1947), Derain, Delacroix, Masaccio, Caillebotte et l’école de Fontainebleau.




II - Tout le spectre de la peinture occidentale


Léonard de Vinci (1452-1519)

Le livre d'image (Jean-Luc Godard, 2018)

 


Le Greco (1541-1614)

Passion, (Jean-Luc Godard, 1982)

 


Rembrandt (1606-1669)

Passion, (Jean-Luc Godard, 1982)
 
 
les carabiniers, (Jean-Luc Godard, 1963)

 


Jean-Antoine Watteau (1746-1828)

Passion, (Jean-Luc Godard, 1982)
 
Passion, (Jean-Luc Godard, 1982)

 


Francisco de Goya (1746-1828)

Dans Passion (1982), Jean-Luc Godard reconstitue quatre tableaux de Francisco de Goya. Ils proposent une métaphore de la révolte d'Isabelle lors de la réunion syndicale qu'elle a organisée contre son patron pour obtenir sa prime de licenciement et de meilleures conditions de travail.

Le parasol , 1777
Passion , 1982
 
Passion , 1982
 
Passion , 1982
 
Passion , 1982
 

 

 


Eugène Delacroix (1798-1863)

Passion, (Jean-Luc Godard, 1982)
Passion, (Jean-Luc Godard, 1982)
 


Auguste Renoir (1841-1919)

 

"Marianne Renoir" Pierrot le fou (1965)
 
Femme nue (1880).
 
Pierrot le fou (1965), comme Terrasse du café le soir (Van Gogh, 1888) : tableau flash pour évoquer des plaisirs du sud..

 

Vincent van Gogh (1853-1890

Pierrot le fou (1965) : tableau-emblème du sud

 


Paul Klee (1879-1940)

 
 

 


André Derain(1880-1954)

 


Pablo Picasso (1881-1973)

A bout de souffle (Jean-Luc Godard 1960)
Pierrot le fou (Jean-Luc Godard, 1965)
 
Paul en Pierrot (Picasso, 1925)
 
 
A bout de souffle (Jean-Luc Godard 1960)
Pierrot le fou(Jean-Luc Godard 1965)
 
Portrait de Sylvette (Picasso, 1954)
Pierrot le fou (Jean-Luc Godard 1965)
 
A bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960)

 

Amedeo Modigliani (1884-1920)

 


Alberto Giacometti (1901-1966)

La main, 1947
Le livre d'image (Jean-Luc Godard, 2018)

Jean-Luc Lacuve, le 9 octobre 2022

Retour