A bout de souffle

1960

Voir : photogrammes, Films et tableaux cités ou représentés, extrait sonore
Genre : Film noir

Avec : Jean-Paul Belmondo (Michel Poiccard), Jean Seberg (Patricia Franchini), Van Doude, le journaliste (Lui-même), Daniel Boulanger (l'inspecteur Vital), Jean-Pierre Melville (Parvulesco), Liliane David (Liliane), Henri-Jacques Huet (Antonio Berrutti), Roger Hanin (Karl Zumbar), Claude Mansard (Claudius Mansard), Jean-Luc Godard (Le mouchard). 1h30.

Marseille, un mardi matin d'août 1959. Michel Poiccard fait semblant de lire Paris-Flirt au bas de Cannebière. En réalité, il surveille le mouvement des voitures devant le vieux port. Près des bateaux qui emmènent les touristes visiter le château d'If, une fille fait signe à Michel : une voiture américaine est en train de se garer. Les occupants, un officier américain et sa femme vont prendre les billets pour l'excursion. Michel ouvre alors le capot de la voiture et, avec deux pinces reliées par un fil," un crocodile", fait démarrer la voiture. La fille demande à Michel de l'emmener avec lui mais celui-ci, prétextant qu'il est déjà 10h50, refuse.

Michel est dorénavant sur la route nationale pour Paris. Il doit y toucher une certaine somme d'argent pour un travail dont il ne dira rien. Il demandera alors à Patricia, dont il frodonne le prénoom "Si oui ou non". Après, il partira pour l'Italie. Il a trouvé, dans la boite à gants de la voiture, un revolver. Il tire sur le soleil. Il ralentit devant deux jeunes filles qui font du stop. Mais en passant devant elles, il les trouve trop moches et accélère de plus belle. Enervé par une 2CV qui ralentit devant des travaux puis n'ose pas dépasser un camion, Michel double les deux véhicules en mordant largement la ligne jaune. Un coup de sifflet retentit et deux motards le prennent en chasse. Michel, dans sa voiture volée, fonce de plus belle et s'engouffre dans un petit chemin cabossé, ce qui provoque l'arrêt de la voiture car "le crocodile" qu'il a installé a sauté. Les deux motards passent devant le petit chemin sans le voir et Michel s'apprête à fixer de nouveau le "crocodile" quand le second motard revient vers lui. Michel prend dans la boite à gants le revolver qu'il avait trouvé tout à l'heure. Le motard dans son dos le menace de son arme. Tout se passe très vite. Michel a tiré sur le motard sans bien s'en rendre compte. Il fuit à travers champ.

Michel est à Paris au petit matin du mercredi. Une 2CV, qui l'a probablement pris en stop, passe Notre-Dame et le dépose à Saint Michel. Michel entre dans une cabine téléphonique mais celle-ci ne fonctionne pas. Il sort et achète un journal du matin. On ne signale pas encore le meurtre. Michel entre dans un petit hôtel et demande si mademoiselle Patricia Franchini est là. Le veilleur, en train de laver le perron, dit que non. Michel insiste. Mais Patricia n'est pas là, preuve en est sa clé sur le tableau. Michel profite que le veilleur ne regarde pas et prend la clé. Il entre dans la chambre de Patricia, n'y trouve pas d'argent et ressort.

Il entre au Royal saint Germain, demande le prix d'un œuf au plat jambon. Il n'a pas les 180 francs. Il commande quand même le plat et dit qu'il s'absente chercher le journal. Il court vers un immeuble où, tout en haut, habite Liliane, une amie du "quartier". Elle a abandonné le cinéma car "il fallait coucher avec trop de gens" et est dorénavant scripte pour la télévision. Michel est moins explicite sur lui-même. Il l'invite au petit déjeuner au Royal en espérant qu'elle paiera. Comme elle refuse, étant en retard pour son travail, il lui demande de lui prêter 5 000 francs, qu'il avait vu dans son porte monnaie, promettant de lui rendre à midi. Comme elle ne lui en propose que 500, il lui vole la totalité de la somme. Puis il lui dit à bientôt et s'en va. Il est huit heures du matin.

Vers dix heures, Michel entre dans une agence de voyage des Champs-Elysées. Il s'est acheté une veste, une cravate, une chemise, un chapeau et des lunettes noires. Michel demande à un employé si M. Tolmatchoff est là. On lui dit qu'il ne viendra que plus tard. Sur les champs Elysée, Michel avise une vendeuse du New York Herald Tribune et lui demande si elle sait où est Patricia. Sur ses indications, Michel traverse les Champs-Elysées. Il aborde Patricia, qui vend le New York Herald Tribune, en lui demandant tout de go, si elle veut venir à Rome avec lui et qu'il l'aime. Patricia est surprise. Elle le croyait à Monte-Carlo. Elle refuse de le suivre à Rome. Ils n'ont passé que trois ou cinq nuits ensemble et elle a beaucoup de choses à faire à Paris alors que lui y a plein d'ennemis. Il lui achète le journal mais le lui rend quand il constate qu'il n'y a pas d'horoscope alors qu'il aime connaitre l'avenir. Patricia lui donne rendez-vous sur les champs le soi-même.

Devant un cinéma qui passe Tout près de Satan, Michel écarte une étudiante qui vend Les Cahiers du cinéma en lui demandant s'il n'a rien contre la jeunesse. Michel la rembarre en disant que, justement, il déteste la jeunesse et aime beaucoup les vieux. Devant une petite rue, Michel assiste à un accident mortel. Un homme a été renversé par une auto. Dans France-soir, il trouve un article relatant son meurtre. Le motard est mort laissant quatre enfants et il sera bientôt identifié par ses empreintes digitales qu'Interpol a obtenues depuis Rome.

Michel entre dans l'agence de voyage, L'Inter-Americana, où il est déjà venu le matin. Tolmatchoff, son ami, est là et a l'argent pour lui. Mais le chèque est barré et, à cause du meurtre du motard, Michel n'ose pas présenter son chèque à la banque. Tolmatchoff lui conseille de demander à une connaissance commune, Berrutti, qui doit être rentré de Tunis, d'escompter le chèque. Michel n'a pas trop confiance en Berrutti mais accepte. Il se sert du téléphone de Tolmatchoff pour appeler Berrutti qui n'est pas rentré de voyage. Michel quitte l'agence. En sortant, il croise deux hommes. Ceux-ci vont demander aux guichets s'ils n'ont pas vu un dénommé Michel Poiccard qui se fait adresser là son courrier ayant travaillé autrefois dans cette agence comme steward d'Air-France. Tolmatchoff refuse de dénoncer son ami mais la guichetière qui ne l'aime pas dit aux policiers que Michel est venu il y a cinq minutes. Ceux ci s'engouffrent dans le métro Georges V. Michel y était effectivement rentré mais pour en ressortir de l'autre coté de la rue afin d'aller au cinéma. Le Normandy y passe Plus dure sera la chute. Michel s'attarde devant une photo de Bogart. Alors qu'il rentre dans la salle, la fermeture à l'iris se fait sur le reflet des policiers qui le cherchent dans la rue.

En fin d'après midi, Michel retrouve Patricia qui lui demande de l'inviter à diner. Comme il n'a pas d'argent, il descend aux toilettes d'un restaurant, y assomme un client et lui vole son argent avant de l'enfermer aux WC. Il rejoint Patricia qui semble d'accord pour passer la nuit avec lui. Mais elle se souvient soudain qu'elle doit téléphoner pour rejoindre un journaliste du New York Herald tribune qui lui a promis une conférence de presse. Devant l'insistance de Patricia, Michel qui a, dit-il laissé sa voiture, évidemment volée, à l'opéra propose de la déposer. Ils parcourent les rues de Paris dans une 403 décapotable et Michel dépose Patricia devant la Pergola, en haut des Champs-Elysées. Comme Patricia refuse qu'il l'attende, il l'insulte lui disant qu'il ne veut plus la revoir : "Fout le camp, dégueulasse !".

Patricia rejoint le journalise au premier étage qui finit son café lui offre le livre qu'il lui avait promis, Les palmiers sauvages de Faulkner. Il espère qu'elle n'aura pas le même destin que l'héroïne : "Elle ne désire pas d'enfant, mais l'opération rate et elle meurt". Patricia est triste : "Si je pouvais creuser un trou par terre pour que personne me verra, je le ferrai … I don't know if I am unhappy because I am not free, or if I am not free because I am unhappy ". Le journaliste, pour la distraire, lui raconte une histoire drôle qui lui est arrivée à propos d'une fille avec qui il voulait coucher mais à qui il a oublié de le demander. Patricia lui demande quand il la fera travailler. Il lui dit qu'elle ira le lendemain à Orly interviewer le romancier Parvulesco. Il lui indiquera à quelle heure le lendemain après midi à son bureau. Il lui demande de rester avec lui "naturellement". Patricia hésite puis accepte tacitement de coucher avec lui, un peu par amitié mais surtout par intérêt.

Michel, qui était resté les espionner, les suit quittant la Pergola et marchant sur les Champs-Elysées, Van Doude enlaçant Patricia par les épaules. Ils rejoignent la voiture du journaliste garée devant un cinéma qui passe Hiroshima mon amour. Dans sa grosse décapotable anglaise Van Doude embrasse Patricia pendant que Michel consulte la dernière édition de France-Soir. Michel râle de voir partir Patricia avec Van Doude. Les lumières des Champs-Elysées s'allument. La décapotable anglaise arrive en haut des Champs.

Jeudi matin. Tour Eiffel, vue probablement par Patricia qui descend du bus pour rejoindre gaiement son appartement. Elle se regarde dans une vitrine de magasin et examine la rondeur de son ventre. Sa clé n'est pas sur le tableau de son hôtel. Patricia entre dans sa chambre et découvre Michel, allongé dans le lit.

Michel explique qu'il n'y avait plus de place au Claridge et qu'il a pris sa clé. Comme Patricia est contrariée de sa présence, Michel lui demande de ne pas faire la tète. Elle ne connait pas l'expression et Michel la lui explique (de travers !) en faisant des grimaces. Elle reconnait l'avoir vu les suivre la veille au soir. Elle n'arrive à penser à rien. Il lui reproche de l'avoir abandonné hier, de ne pas partir avec lui à Rome. Elle nie avoir couché avec le journaliste, elle ne sait pas si elle l'aime. Elle saura bientôt. "Les femmes ne veulent jamais faire en huit secondes ce qu'elles veulent bien faire huit jours après" s'emporte Michel en consultant le magasine de photos Female figures. Patricia voudrait qu'ils soient Roméo et Juliette comme l'atteste la reproduction des Amants de Picasso sur son mur. Il finit par lui dire qu'il ne peut se passer d'elle et lui affirme qu'il pourra la faire rire sous huit secondes sans quoi il l'étrangle. Il gagne son pari à sept trois quarts en affirmant : "Je parie que tu es tellement lâche que je parie que tu vas sourire" mais reçoit une claque quand il lui soulève la jupe. "Tu es lâche, c'est dommage" dit-il. Et, comme elle nie, il réplique, sans appel : "Dès qu'une fille dit que tout va très bien et qu'elle n'arrive pas à allumer sa cigarette, et bien, c'est qu'elle a peur de quelque chose". Michel refuse une Chesterfield de Patricia qui, en lui donnant ses propres cigarettes, découvre dans sa poche un passeport au nom de Laslo Kovacs. Michel lui ment en lui expliquant qu'il a laissé le sien dans la voiture et que c'est celui de son demi-frère. Il lui dit penser à la mort sans arrêt. Elle lui demande sans succès de lui dire quelque chose de gentil. Elle regarde un cendrier qu'il lui avait offert. Elle lui montre sa nouvelle affiche, La petite Irène de Pierre-Auguste Renoir, qu'elle hésite à poser à côte de Jacqueline avec des fleurs ou entre Nouvelle Année et La brute timide. Michel, qui veut coucher avec elle, s'impatiente. "Les français disent que les choses sont pareilles quand elles ne le sont pas du tout". "Je voudrais coucher avec toi parce que tu es belle... parce que tu es laide". Patricia l'accuse de mentir, Michel nie alors que la caméra s'attarde sur Nouvelle Année, datée de 1955. Patricia se frotte l'œil, affirme "Je te regarde jusqu'à ce que vous ne me regardiez plus", "Oui moi aussi" dit-il en passant un doigt sur ses lèvres comme Bogart. Elle le regarde au travers de son affiche enroulée comme une longue vue. Le gros plan se fait sur le visage de Michel. Michel et Patricia s'embrassent en gros plan devant la porte de la salle de bain où Patricia décide finalement de mettre son affiche.

Michel lui caresse les fesses sur sa jupe. Quand Patricia lui demande de décider qui est la plus jolie, elle ou la peinture de Renoir, il lui répond. "Dès que tu as peur ou que tu es étonnée, tu as un drôle de reflet dans les yeux. Je voudrais recoucher avec toi à cause de ce reflet". Les pieds dans le bidet, Patricia lui révèle alors qu'elle est enceinte, probablement de lui. Elle est allée voir le docteur la veille au matin et doit revenir jeudi après-midi (dans une semaine donc) pour le résultat des analyses. "Tu aurais pu faire attention !" réplique Michel, mécontent. Il téléphone mais Antonio Berrutti n'est toujours pas là puis, ensuite, à Tolmatchov pendant que Patricia passe un disque de Bach. Il lui raconte la blague du condamné à mort qui glisse sur la marche de l'échafaud et déclare "décidément..". "De prés, tu as un visage de martien". "C'est parce que je suis sur la lune". "Quelle idée d'avoir un enfant !... Pourquoi tu ne te mets pas toute nue... Vous, les Américains, vous admirez Lafayette et Maurice Chevalier, les plus cons de tous les français". Il téléphone de nouveau à un certain Mansard, affirmant être Laslo Kovacs et qu'il sera avec une américaine...Une voiture américaine précise-t-il pour Patricia. Celle-ci compte ses semaines de retard de règles face à la glace. Michel, irrité de ne pas trouvé Berrutti, soulève à nouveau la jupe de Patricia et reçoit une deuxième claque. Patricia, qui a demandé à Michel s'il préférait les disques ou la radio, décide de mettre maintenant la radio tout en demandant à Michel pourquoi il n'aime pas la musique. Il lui demande de l'accompagner à Rome et d'abandonner la Sorbonne. Elle lui dit qu'il na jamais passé d'examen. Il reconnait qu'après le premier bac, il a plaqué, après il a fait autre chose, vendu des voitures à New York.

Comme il lui demande si elle a couché souvent avec des garçons, elle réplique : pas tellement souvent en comptant 7 sur ses doigts. Comme elle lui pose la même question, il lance plusieurs fois sa main vers elle (quatre fois plus deux doigts, soit 22) "Pas tellement non plus" dit-il faussement modeste. Elle voudrait habiter au Mexique où son père lui avait promis d'aller. Michel est certain que Mexico est décevant, comme Stockholm où "les suédoises sont en général aussi moches que les parisiennes, comme à Londres. Non, les seules villes où toutes les filles que l'on croise dans la rue sont assez jolies, pas sublimes d'accord, mais comme toi, charmantes, des filles à qui l'on peut mettre, je ne sais pas moi, quinze sur vingt parce qu'elles ont toutes quelque chose, ce n'est ni Rome, ni Paris ni Rio de Janeiro, c'est (presque couvert par une sirène de voiture de pompiers) Lausanne et Genève". Il lui caresse tendrement le bras et les genoux. Patricia reconnait qu'elle a peur : elle voudrait qu'il l'aime puis qu'il ne l'aime plus car est veut rester indépendante. "Je voudrais savoir ce qu'il y a derrière ton visage, je le regarde depuis dix minutes et je ne sais rien, rien. Je ne suis pas triste mais j'ai peur." Michel fait le geste de Bogart, lui dit "Gentille et douce Patricia, et, devant sa dénégation, alors, cruelle, idiote, sans cœur, lamentable, lâche méprisable". "Oui, oui" dit-elle en souriant. "Tu ne sais même pas mettre ton rouge à lèvres, brusquement je te trouve affreuse". Elle lui déclare qu'il peut dire ce qu'il veut : elle mettra ça dans son roman. Il veut lui enlever son chandail.

Elle lui demande s'il connait William Faulkner, prenant sur sa table le roman offert par Van Doude. "Non, qui est-ce ? Tu as couché avec lui ?". "Tu as lu Les palmes sauvages … La dernière phrase, c'est très beau : "Between grief and nothing, I will take grief, entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin… Et toi ? Tu choisirais quoi ?". "Montre tes doigts de pied. C'est très important les doigts de pied chez une femme. Ne rigole pas. Le chagrin c'est idiot, je choisis le néant, c'est pas mieux. Mais le chagrin c'est un compromis. Je veux tout ou rien. Depuis maintenant, je le sais." Il embrasse Patricia sur l'épaule qui s'est maintenant coiffée de son chapeau". "On se regarde les yeux dans les yeux et ça ne sert à rien" dit-elle tristement. Comme il l'appelle "Patricia Franchini", elle réplique "Je déteste ce nom je voudrais m'appeler Ingrid". Il lui demande de se mettre à genoux sur le lit pour la regarder. Il lui demande de rester avec lui. "Oui" dit-elle en se glissant sous les draps pendant que la radio annonce qu'elle interrompt quelques instants ses programmes afin de procéder à la synchronisation de ses réseaux. Ils s'amusent sous les draps et plaisantent. Il ôte la couverture car Patricia trouve qu'il fait trop chaud. La radio annonce la reprise des émissions et propose de faire travailler en musique. Patricia l'éteint.

Patricia récupère la chemise de Michel sur le lit et s'en habille. Elle regarde Michel et lui demande Est-ce que tu connais un livre de Dylan Thomas qui s'appelle Portrait de l'artiste comme jeune chien ? Il demande l'heure. Il est midi. Michel lui demande si "c'était bien", "yes, sir" répond-elle. Il lui propose de dormir jusqu'à ce soir. Mais Patricia doit aller s'acheter une nouvelle robe. Il téléphone mais Antonio n'est toujours pas passé. Elle lui rend sa chemise et lui demande si il veut qu'elle mette un soutien-gorge puis, "Tu aimes mieux mes yeux, ma bouche ou mes épaules ?". Elle doit passer aux bureaux du journal. Il lui propose de l'accompagner en voiture alors que la radio annonce que le général de Gaule doit se rendre avec Eisenhower à l'arc de triomphe dans l'après midi honorer le soldat inconnu. Michel parle de la guerre qu'il a faite comme sentinelle et allonge Patricia sur le lit : "Je suis fatigué, je vais mourir". Ils enlèvent leurs lunettes, s'embrassent. Les vues d'avions de Versailles et de Notre dame sur une musique lyrique disent sans doute qu'ils font l'amour une deuxième fois.

Michel et Patricia ont pris leur déjeuner à la terrasse d'un café. Il dit qu'il va chercher la voiture au garage et revient dans cinq minutes. Comme il a abandonné la 403 (probablement vers Montparnasse où il avait affirmé un peu plus tôt avoir cherché Berrutti la veille au soir) il lui faut donc trouver une auto à voler dans les cinq minutes. Il dédaigne une 2CV, se fait repérer autour d'une belle décapotable puis repère une Ford, Thunderbird blanche décapotable. Le conducteur en sort et entre dans un immeuble. Michel le suit, monte en ascenseur avec lui, sans dire un mot. Il le voit entrer dans un bureau. Aussitôt Michel redescend en trombe et démarre pour aller chercher Patricia.

En voiture, elle déclare avoir peur de vieillir. Elle lui demande de lui acheter une robe chez Dior ; il lui conseille d'acheter ses robes chez Prisunic et de n'aller chez Dior que pour téléphoner, c'est gratuit. Pendant que Patricia s'engouffre dans les bureaux du New York Herald Tribune, Michel achète France-Soir où sa photo s'étale à la une. Un autre lecteur du journal le reconnait immédiatement. Alors que Patricia ressort avec une nouvelle robe à rayures des bureaux du journal, le mouchard s'approche et s'en va le dénoncer à deux policiers pour une seconde fermeture à l'iris que se ré-ouvre sur Michel et Patricia à l'aéroport.

Pendant que Patricia assiste à la conférence de presse, Lucien va vendre la Thunderbird prés de l'aéroport à Claudius Mansard auquel il avait promis "l'américaine" au téléphone le matin. Il lui propose 800 000 mais veut ne le payer que la semaine suivante tout en lui montrant qu'il le tient car sa photo fait la une des journaux. Il est quinze heures trente et Michel demande à téléphoner. Antonio sera à L'Escale vers quatre heures. Mansard refuse de lui faire une avance, même de 2 500 francs et a retiré le delco de la Ford. Michel le frappe et lui vole son portefeuille. Dans le taxi qui le conduit vers L'Escale avec Patricia, Michel houspille le conducteur qui ne va pas assez vite. Effectivement, arrivé devant le café rue Saint-Denis où des filles tapinent, Michel apprend que Berrutti est parti depuis cinq minutes. Patricia veut rentrer au journal. Elle trouve que les robes des parisiennes sont trop courtes et que ça fait poule alors que cela donne à Michel l'envie de leur soulever les jupes. Comme Patricia lui dit de ne pas se gêner pour elle, il arrête le taxi pour soulever la jupe d'une passante. Il sort du taxi sans payer en entrainant Patricia vers les Champs-Elysées par un tunnel secret. Ils se séparent.

A peine arrivée au New York Herald Tribune, Patricia est rejointe par l'inspecteur Vital qui lui demande si elle connait le garçon dont la photo est à la une de France-Soir. Elle nie puis reconnait Michel et l'inspecteur lui affirme qu'on l'a vu ce matin, ici-même en compagnie de Michel pilotant une Thunderbird dont les deux policiers alertés par le mouchard ont relevé la plaque. Elle reconnait l'avoir connu à Nice il y a trois semaines de cela où elle était en vacances. L'inspecteur menace de lui retirer son passeport si elle ne l'appelle pas dès qu'elle verra Michel. Celui-ci, qui s'est acheté une casquette, voit les policiers filer Patricia à sa sortie du journal. Celle-ci l'en avertit également.

Michel suit le flic suivant Patricia sur les Champs-Elysées, envahis, suite à la visite d'Eisenhower. Patricia se précipite au cinéma et entre dans un cinéma où l'on projette Ce n'est qu'un au revoir de Ford et, à ce moment là, Le mystérieux docteur Korvo de Preminger. Elle s'enfuit par la fenêtre des toilettes. Elle rejoint Michel devant le Mac-Mahon et repasse devant le cinéma ou l'on voit l'affiche du Mystérieux docteur Korvo. Le policier sort du cinéma mais choisit la mauvaise direction alors que des coups de feu de cinéma se font entendre. Ce sont ceux du western devant lequel, dans la salle, Michel et Patricia s'embrassent en attendant la nuit. Off, Godard récite un faux dialogue du film : "Méfies-toi Jessica : au biseau des baisers le temps passe trop vite. Et vite et vite et vite les souvenirs brisés" "Vous faites erreur shérif, réplique la voix féminine : notre histoire est noble et tragique comme le masque d'un tyran...". C'est la nuit et Michel et Patricia quittent la salle où ils ont vu Westbound.

Un panneau lumineux près du drugstore Publicis annonce : "Le filet se resserre autour de Michel Poiccard". Patricia lit maintenant plus tranquillement France-soir où elle apprend que Michel est marié. Il le reconnait sans façon, ne sachant plus si c'est sa femme ou lui qui a plaqué l'autre, il y a maintenant bien longtemps. C'est très mal d'avoir été dénoncés se plaint Patricia. Non, ce n'est pas anormal, c'est normal, réplique Michel : "Les dénonciateur dénoncent, les cambrioleurs cambriolent, les assassins assassinent... les amoureux s'aiment". Michel a récupéré la 403. Ils aiment la place de la Concorde qu'ils traversent la nuit. Ils volent une Cadillac "El dorado" dans un garage. Un autre panneau lumineux indique "Michel Poiccard : arrestation imminente". Devant le Royal-saint-Germain, Michel, à la recherche d'Antonio, est reconnu par Liliane. A la Pergola, Gaby, le serveur lui indique qu'Antonio est à Montparnasse avec Karl Zumbar. Celui-ci lui indique qu'Antonio est en face au Select. Antonio avec une jeune fille cherche à la photographier embrassant des hommes murs pour les faire chanter. Patricia retrouve le journaliste Van Doude avec lequel elle discute un peu. Antonio accepte d'escompter le chèque d'un million trois. Il le retrouvera le lendemain dans une planque sure, chez la suédoise de Zumbar, rue Campagne Première. La jeune suédoise finit une séance de photos. Quand elle s'en va, Patricia met un disque, Le concerto pour clarinette de Mozart que Michel aime bien car son père était clarinettiste. Il regarde les livres : Abracadabra de Maurice Sachs sur lequel s'affiche une citation de Lénine : "Nous sommes tous des morts en permission". Patricia regrette qu'ils doivent dormir car, alors, ils vont êtres séparés : "on dit dormir ensemble mais ce n'est pas vrai".

Vendredi, cinq heures de l'après-midi. Patricia accepte d'aller chercher France-Soir et du lait mais a l'intention de téléphoner à l'inspecteur Vital. Au kiosque de la loterie, on indique que Vendredi est un jour de chance. Au café où elle a demandé un scotch puis, faute de mieux un café, elle dénonce Michel en indiquant l'adresse où il se trouve : onze, rue Campagne Première.

En rentrant, Michel lui annonce qu'Antonio passe dans un quart d'heure avec sa Simca sport qu'il lui laissera pour partir en Italie avec elle. Elle lui dit qu'elle l'a dénoncé car elle ne veut plus partir avec lui. "Oui, je le savais : quand on parlait, je parlais de moi, et toi de toi. Alors que tu aurais dû parler de moi, et moi de toi." Patricia lui dit qu'elle sait enfin ne plus être amoureuse de lui puisqu'elle l'a dénoncé : "Puisque je suis méchante avec toi, c'est la preuve que je ne suis pas amoureuse de toi". "Il n'a pas d'amour malheureux" affirme Michel qui est fier de son indépendance et râle contre le raisonnement de Patricia. Michel dit qu'il a envie d'aller en prison. Puis il court avertir Berrutti qui arrive. Berrutti veut lui donner une arme en plus de la sacoche pleine d'argent et de la voiture. Il refuse, réaffirmant. "Oui, j'en ai marre, je suis fatigué, j'ai envie de dormir". Vital et des policiers armés arrivent alors. Avant de s'enfuir, Berrutti lance son révolver à Michel qui le ramasse. Il reçoit alors une balle dans le dos et s'enfuit, titubant, vers Montparnasse. Patricia court à sa rencontre

Michel est à terre, perdant son sang et Patricia, debout, le regarde. Il refait lentement les mêmes grimaces qu'il lui avait faites durant leur longue conversation. Il murmure "C'est vraiment dégueulasse" et meurt. Patricia demande au commissaire Vital ce qu'il a dit et celui-ci déforme les dernier mots de Michel : "Il a dit : vous êtes vraiment une dégueulasse". Patricia passe un doigt sur ses lèvres en hommage au gimmick de Michel inspiré par Bogart mais en le déformant faisant le tour de ses lèvres tout en s'interrogeant "Qu'est-ce que c'est dégueulasse ?". Puis elle tourne la tête.

Tourné en décors réel, éclairé sans lumière d'appoint, joué par deux acteurs qui deviendront dès lors des icônes de la modernité, monté avec un sens génial et permanant de l'invention, du sens du rythme et de la beauté, A bout de souffle touche juste et fort à chacun de ses plans et reste, à chacune de ses visions, un des films les plus lyriques de toute l'histoire du cinéma. Y est mis en scène la nécessaire trahison de l'homme à bout de souffle par la femme, tragédie de l'existence que seul l'art peut rétribuer. Seront également décrits ici la genèse et la reception du film.

Vivre ici et maintenant avant d'être à bout de souffle

La fin du film est énigmatique car elle laisse le spectateur décider ce que dégueulasse désigne : la trahison de Patricia, le fait que Michel ait échoué in extremis à fuir, sa mort ou tout simplement le plaisir du dernier mot.

Le fait que le représentant de l'ordre, le commissaire Vital, transforme les derniers mots de Michel pour accuser Patricia dédouane a priori Michel d'émettre un semblable jugement envers la jeune femme. Michel a échoué dans sa fuite mais il ne la cherchait pas vraiment. Il avait déclaré à Patricia, juste avant, souhaiter aller en prison puis avait confirmé à Berrutti, s'adressant face caméra pour en souligner le poids : "Oui, j'en ai marre, je suis fatigué, j'ai envie de dormir".

La mort enfin ne lui fait pas peur s'il faut en croire son avis opposé au choix qu'exprime Faulkner dans sa dernière phrase des Palmiers sauvages : Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin. "Et toi tu choisirais quoi ?" lui avait demandé Patricia. "Le chagrin c'est idiot, je choisis le néant. Ce n'est pas mieux mais le chagrin, c'est un compromis. Il me faut tout ou rien ; depuis maintenant je le sais". Presque plus important encore, cet avis avait été émis après une digression : "Montre tes doigts de pieds, c'est très important les doigts de pied chez une femme, rigole pas". Or, ici aussi, au moment de sa mort Michel se livre à ses habituelles facéties : grimaces reprises de celles faites devant la glace et geste de se fermer les yeux lui-même avant de mourir. Le mot "Dégueulasse" est lui-même une reprise de l'insulte déjà lâchée lorsque Patricia était allée à son rendez-vous avec le journaliste du New York Herald Tribune. "Dégueulasse", dernier mot de jouissance pure, sans objet particulier, sans chagrin et sans regret, il met aussi Patricia, qui n'en comprend pas le sens, hors de toute culpabilité. Elle passe son doigt sur les lèvres comme un dernier adieu à Michel puis tourne les talons.

Le film s'inscrit ainsi parfaitement dans la forme du film noir où le destin joue un rôle capital. Ici la mort ne cesse de se rapprocher de Michel jusqu'à la trahison de Patricia, jusqu'à l'ultime geste pourtant amical de Berrutti qui lance le revolver fatal qui provoque le coup de feu du commissaire. Godard avait déclaré : "C'est l'histoire d'un garçon qui pense à la mort et d'une jeune femme qui n'y pense pas". Patricia pourrait en effet penser même à son exact contraire puisqu'elle apprend à Michel qu'elle est enceinte de lui (elle a regardé son ventre dans la glace, elle compte sur ses doigts ses semaine de retard).Trois fins étaient possibles : le suicide dans la version initiale du scénario de Truffaut, la fuite en voiture qui aurait été un happy-end dans le scénario poposé par Godard, et celle finalement tournée où Michel est abattu après avoir été dénoncé. Cette fin traduit bien le désespoir, le besoin de filmer la mort. Michel est obsédé par la mort, il a des pressentiments : l'homme accidenté qui meurt dans la rue, la citation de Lénine ("Nous sommes tous des morts en permission") le choix du concerto pour Clarinette de Mozart écrit peu avant sa mort.

Un journaliste avait demandé à Parvulesco: "Qu'est-ce qui est le plus moral un homme : qui abandonne ou une femme qui trahit ? " et Parvulesco de répondre "La femme qui trahit." Le vendredi, Michel a renoncé. A Patricia et à Berrutti, il affirme préfèrer aller en prison, il est fatigué. pour Godard, l'obligatoire trahison de l'homme par la femme constitue la tragédie de la vie qui à la manière de Malarmé ou de Proust ne peut être rachète que par l'art d'où la présence massive des réfrences cultulles et l'invention permanante de Godard pour porter le cinéma à des sommets d'invention.

L'art rétribue l'imperfection de l'existence

Godard a affirmé vouloir refaire Fallen Angel de Preminger ou Du plomb pour l'inspecteur de Richard Quine ou encore les petits films de la Monogram Pictures, firme américaine à laquelle il est dédié. Cette accumulation s'exerce sur tous les modes (allusion, hommage, emprunt, commentaire...) et la pratique de la citation connaît mille facettes. L'affiche est le moyen le plus fréquent : Tout près de Satan d'Aldrich (dont on ne voit que le slogan et le nom des deux acteurs), Plus dure sera la chute avec Bogart, Hiroshima mon amour de Resnais, Ce n'est qu'un au revoir de Ford, Le mystérieux docteur Korvo de Preminger et Westbound, le western de Boeticher. Le film fait entendre la bande son du Mystérieux docteur Korvo alors que celle de Westbound, qui ne sort que 4 septembre 1959 à Paris, est remplacée par une citation d'Aragon, lue par Godard et une autre d'Apollinaire, lue par une voix féminine. Les autres citations se font par des photos (Bogart), murmures ("Bogie"), gestes (le pouce sur les lèvres, toujours Bogart, l'emblème), salles de cinéma, présence d'un cinéaste à l'écran (Melville, spécialiste français du genre policier dans le rôle de l'écrivain Parvulesco) et plagiat scénaristique. La scène où Poiccard assomme Jean Domarchi dans les toilettes est volée à La femme à abattre de Walsh et la trouvaille de Jean Seberg regardant Belmondo à travers une affiche enroulée avec travelling avant, cut et baiser vient de Forty guns de Fuller où un fusil remplaçait l'affiche. L'emprunt est d'autant plus déclaré que Godard décrivait la scène dans sa critique du film. A noter également le private joke, Poiccard refuse d'acheter Les cahiers du cinéma ou la phrase "Tu te rapelles quand tu as donné ton ami Bob" allusion probable à Bob le flambeur ainsi que les moyens d'expression du cinéma muet avec l'utilisation par deux fois de la fermeture et l'ouverture à l'iris.

La peinture est aussi très présente. Cinq petites reproductions de tableaux sous forme de cartes postales se trouvent chez Lilian. Bien plus visibles sont en revanche les affiches dans la chambre de Patricia, trois Picasso, Les amants (1923), Jacqueline avec des fleurs (1954) et Nouvelle Année (1959), deux Paul Klee : Le timbalier (1940) et La brute timide (1938) La danseuse assise de Degas, La petite Irène de Pierre-Auguste Renoir (1880, conservée à Zurich) sur laquelle Patricia vient coller son visage et une jeune femme méditant dans la salle de bain.

La littérature est présente avec le livre Les palmiers sauvages offert par Van Doude à Patricia qui en lira la dernière phrase à Michel. Elle lui demande également s'il connait un livre de Dylan Thomas qui s'appelle Portrait de l'artiste comme jeune chien ? Chez la suédoise, Michel regarde la couverture du livre Abracadabra de Maurice Sachs sur lequel s'affiche une citation de Lénine : "Nous sommes tous des morts en permission". L'écrivain Parvulesco est venu présenter son livre, Le candidat. Les dialogues de Westbound sont remplacés par des extraits de Elsa, je t'aime dans Le Creve-cœur d'Aragon et de Cors de chasse, dans Alcool de Guillaume Apollinaire. Les aphorismes abondent, des plus profonds : "Je ne sais pas si je suis triste parce que je ne suis pas libre, ou que je ne suis pas libre parce que je suis triste" aux plus machistes : "Les femmes au volant, c'est la lâcheté personnifiée" et, souvent, cosmopolites : "Les français disent toujours une seconde pour dire cinq minutes".

La photographie avec le magazine Female figures et la musique avec Bach et Mozart complètent cet entrelacement entre l'art et la vie.

L'existence accélérée par le jump cut, redoublée par le hors champ

Si A bout de souffle est dédié aux petits films de la Monogram Pictures, ce n'est pas pour se mettre modestement à l'abri sous la bannière du film noir de série B. Grand admirateur du genre comme critique de cinéma, Godard sait qu'il pourra ainsi, en se faisant l'admirateur de l'art du passé le régénérer par l'invention permanente du présent.

Faux raccord, saute d'images et jump cut se succèdent dans une utilisation virtuose, innovante et bouleversante du montage telle, qu'à la réception, certains accuseront Godard d'incompétence.

Le faux raccord droite-gauche puis droite-gauche lorsque Patricia s'apprête à dénoncer Michel est en adéquation avec son trouble et son indécision.

la ligne imaginaire à ne pas franchir applicable à tous les raccords de direction l'est ici. Au plan de Patricia filmée depuis le café succède un plan de celle-ci filmée depuis la rue. Le changement d'échelle est respecté mais Patricia semble avoir fait demi-tour. (voir : photogrammes dans leur contexte)

Les sautes d'images dans le même plan dues aux retraits de photogrammes lorsque le rédacteur en chef du New York Herald Tribune raconte son histoire drôle à Patricia font avancer celle-ci plus vite. Deux sont particulièrement visibles : "Alors je lui donne rendez-vous" (saute : le cigare est allumé, comme le confirme la bande-son, mais sans qu'on le voit)" Je voulais lui dire : voilà, on est bons amis" (saute), "Je trouve qu'on devrait coucher ensemble, pour voir, comme ça".

Deux phrases de dialogue illustrent chacune de ces deux images ("Alors je lui donne rendez-vous" et " Je voulais lui dire : voilà, on est bons amis") issues du même plan mais dans lequel Godard a retiré les photogrammes où l'homme a allumé le cigare. Cela donne l'impression de deux plans mal raccordés car sans changement d'échelle de plan ; classiquement saute fautive si Godard avait souhaité faire un raccord dans l'axe. (voir : photogrammes dans leur contexte)

Le jump cut est la juxtaposition de deux plans sans que la caméra ait notablement changé de position. Cela produit un effet de saute comparable au retrait de nombreux photogrammes dans un même plan tout en produisant une ellipse temporelle plus grande. En 1959, le terme "jump cut" n'existe pas encore et c'est, dit-il, parce que son film est trop long que Godard décide de supprimer systématique le contrechamp sur Michel dans sa conversation avec Patricia dans la voiture qui les conduit au siège du New York Herald Tribune. Godard aurait pu suivre le conseil de Melville qui lui avait dit de supprimer les séquences qui ne servent pas à faire avancer l'action et exclure la séquence entière du montage. Les dix jump cut entre les onze plans successifs sur Patricia en voiture où l'arrière-plan des rues de Paris change indiquant ainsi que du temps s'est écoulé ont été accusé de désorienter le spectateur. Godard affirmera plus tard avoir tiré au sort le contrechamp qui resterait, celui sur Belmondo ou celui sur Seberg. On se gardera pourtant de le croire tant, avec cette séquence, il magnifie son actrice en accumulant les plans sur elle et rien que sur elle pour terminer, dans les six derniers plans, par un blason (voir ci-après répliques 6 à 11) annonciateur de la scène d'ouverture du Mépris :

1- "Allez quoi, je reste avec toi". "De toute façon j'ai mal à la tête". "On couchera pas ensemble mais je voudrais rester à côté de toi". "Non, ce n'est pas ça Michel". (voir : 1ère ligne de photogrammes)
2- Se recoiffe (2e ligne)
3 - "Pourquoi vous êtes tristes ?". "Parce que je suis triste". "C'est idiot, pourquoi tu es triste ? C'est mieux quand je dits tu ou vous ?". "Pareil... Je ne peux pas me passer de toi". "Tu peux très bien". "Oui, mais je ne veux pas. Regarde, une Talbot ! Elle est belle : 2,5 litres". (3e ligne)
4-"Tu es un garçon, qui, je ne sais pas...", "Patricia, regarde-moi : je t'interdis d'aller voir ce type" (4e ligne)
5- Carrefour, muet (voir : 1ère ligne de photogrammes)
6- Hélas, hélas, hélas, j'aime une fille qui a une très jolie nuque (virage) (2e ligne)
7- De très jolis seins (piéton devant café) (3e ligne, les deux 1ers photogrammes)
8- Une très jolie voix (voiture noire) (3e ligne, 3e photogramme)
9- De très jolis poignets (rue sombre) (3e ligne, 4e photogramme)
10- Un très joli front (nouvelle rue) (4e ligne, 1e photogramme)
11- De très jolis genoux mais qui est... lâche ! (voiture sur la droite, 4e ligne, les trois derniers photogrammes).

Michel propose ensuite de se garer et de la rejoindre. Comme elle lui réplique que c'est inutile tout en en l'embrasant dans le cou, il lui jette alors qu'elle s'éloigne : "Fou le camp, je veux plus te voir. Fout le camp, dégueulasse". Godard prend alors le temps d'un long plan de Patricia rajustant sa tenue sur l'escalator. Tout pareillement, après les sautes dans l'histoire du journaliste, Godard introduit le long plan de Michel surgissant de dessous l'escalier, passant par les cuisines pour retrouver le couple dans la rue. Sautes et jump cut ne sont donc absolument pas justifiés par l'envie de gagner du temps mais bien de juxtaposer des plans à la beauté redoublée (les jump cut font se succéder des plans différemment éclairés sur la nuque de Patricia qui sont autant de coups d'éclat, de coups de projecteurs sur sa beauté) et plans de contemplation, magnifiés par la musique.

Même lorsque la position de la caméra change, Godard fait disparaitre un peu de temps entre les plans ou bouleverse la disposition des personnages. C'est notamment le cas dans la chambre de Liliane. Le hors-champ redouble aussi l'intensité du présent. Michel et Patricia sont assis sur le lit, ils parlent, la caméra va de l'un à l'autre ; elle reste un moment sur Michel puis revient à Patricia (qui était tête nue depuis le début) cette dernière est affublée de la panoplie de Michel, le chapeau mou et la cigarette. Outre l'effet de surprise et le charme de la trouvaille, cette utilisation du hors champ est une affirmation d'une nouvelle esthétique de l'espace, du cadre, du mouvement et du son.

L'opposition de la fiction et du documentaire, est la base de la modernité de Godard qui affirmait-il en 1962: "Si je m'analyse aujourd'hui, je vois que j'ai toujours voulu au fond, faire un film de recherche sous forme de spectacle. Le côté documentaire c'est : un homme dans telle situation. Le côté spectacle vient lorsqu'on fait de cet homme un gangster ou un agent secret". Ainsi même ici, où le documentaire semble cèder du terrain face au spectacle du gangster en cavale, la scène dans la chambre d'hôtel de Patricia, scène de théâtre, scène d'amour, scène de ménage, est le prototype de toutes les confrontations amoureuses emblématiques des films de Godard.

Genèse

Au moment de A bout de souffle, Chabrol avait déjà réalisé trois films et il apparaît au générique du film de Godard car la caution d'un "conseiller technique" était requise pour les films de débutants... Truffaut présenta Godard à Georges de Beauregard, producteur en quête de jeunes cinéastes. Accessoirement il écrivit le scénario, mais le nom de l'auteur des Quatre cents coups au générique de son film servit bien plus Godard que la vingtaine de pages qu'il avait pu écrire. Le film coûtera quarante millions de l'époque, c'est à dire moins de la moitié d'une production moyenne.

Le film est tourné en muet le plus souvent caméra à la main et avec un minimum d'éclairage. Le choix de tourner en muet, était contradictoire avec les principes esthétiques des cinéastes débutants de La Nouvelle vague qui deviendront, dès 1962, quand l'évolution des outils le permettra de fervents adeptes du son direct.

Le Nagra, premier magnétophone portable, existe depuis 1958, mais il était encore difficile, sinon impossible, de tourner en décor naturel et en son synchrone, en 1959 à cause de l'encombrement des caméras 35 mm. Les seules caméras qui pouvaient permettre de tourner en son synchrone (avant l'Arri BL 35, fonctionnelle en 1970) étaient de grosses caméras de 80 kilos avec lesquelles il était impossible de travailler à la main. Godard aura plus tard une grande affection pour la lourde et encombrante caméra Mitchell, symbole à ses yeux du cinéma américain qu'il utilisera notamment dans Le mépris et Vivre sa vie. Les cinéastes de la nouvelle vague utilisent presque tous la caméra fabriquée par Coutant-Mathot depuis 1947, la Cameflex, caméra légère et peu encombrante mais très bruyante qui rendait à peu près impossible toute prise de son directe.

Accepter que les sons d'ambiance, même les plus perturbants (avions, circulation, bruits de vaisselle dans les bars) viennent brouiller la sacro sainte lisibilité des dialogues. Dans A bout de souffle il faut imaginer et réaliser en studio et au mixage ces mêmes brouillages. Invention d'une esthétique du son directe avant d'en avoir à sa disposition les outils techniques.

Le film tourné sans éclairages additionnels. Il existait déjà une pellicule noir et blanc ultra rapide par rapport aux normes de l'époque, la Gevaert 36 avec laquelle Henri Decae avait tourné Bob le flambeur de Melville dont l'esthétique préfigure celle de la Nouvelle Vague. Elle avait permis à Truffaut de tourner les errances nocturnes de Doinel dans Les 400 coups. Godard décide d'utiliser cette pellicule pour les scènes de jour et trouve une pellicule encore plus sensible pour les scènes de nuit. Il sait que les reporters utilisent des pellicules noirs et blancs plus sensibles que les pellicules cinéma. Coutard lui parle ainsi de l'Illford HPS fabrique en Angleterre. Mais la HPS n'existe pas en pellicule cinéma, seulement en petits rouleaux de 17,50 mètres. Godard décide de les coller pour obtenir des bobines films et d'utiliser la caméra dont les perforations se rapprochent le plus de celles du Leica qui se trouve heureusement être la Cameflex. Godard obtient, en plus, que ses pellicules soient développées avec un révélateur spécial le phenedion qui double la sensibilité de l'émulsion. Les laboratoires GTC de Joinville ayant heureusement une petite machine supplémentaire désaffectée qu'ils acceptent d'utiliser pour Godard.

Le rythme des plan-séquences et la courte durée de certaines prises de vues s'expliquent sans doute par la brève durée dévolue par les bobines de 17,50 mètres. Il en va de même pour certaines figures de montage et pour le cadrage de certaines scènes d'intérieur. Le manque d'argent touche aussi le choix des lieux de tournage. Peu importe car il s'agit de filmer la vie non dans les studios mais "là où elle est" : à la ville ou à la campagne, dans les rues, les chambres, les bureaux. Telle est la valeur de manifeste du film. A bout de souffle n'est pas le premier film de fiction tourné hors des studios mais il est le seul à inscrire cette sortie à son programme. Dès le début du film Belmondo s'adresse directement au spectateur: "Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville... allez vous faire foutre".

La technique de reportage est totalement acceptée par Coutard, ancien reporter de guerre, opérateur de films produits par Beauregard et qui n'a pas de compte à rendre avec la corporation et accepte de tourner le mieux possible dans des appartements de fortune poussant parfois seulement l'éclairage d'origine. Pas de pied de caméra ou de pied de projecteurs mais travelling soit sur les Champs Elysées avec un tricycle de facteur camouflé pour passer inaperçu ou un travelling en 2CV sur le sol pourtant pavé lors de la dernière scène, soit, lorsque les intérieurs sont suffisamment lisses, avec un fauteuil de paralytique qu'il pousse parfois lui-même.

Le film est tourné au jour le jour mais sans improvisation Godard remettant le texte au dernier moment le faisant évoluer au jour le jour et en voulant pas qu'il soit "interprété".

Tourné en 21 jours utiles entre le 17 août et le 19 septembre 1959. Mêmes les films réputés rapides ne se tournaient pas à l'époque en moins de six semaines représentant une quarantaine de jours de tournage effectif.

Réception.

Le 2 décembre 1959, la commission de censure interdit le film au moins de 18 ans. (L'interdiction sera levée en 1975) "tout dans le comportement de ce jeune garçon, précise le rapport, son influence croissante sur la jeune fille, la nature du dialogue, contre-indique la projection de ce film devant des mineurs". Une coupure est demandée celle qui montre le président Eisenhower et le président De Gaulle remontant en voiture les Champs-Elysées. La commission a toujours jugé inopportune, la représentation dans les films de chefs d'état ou de chefs de gouvernement en fonction. Le film sort le 16 mars 1960 dans quatre salles grand public et connaît un succès public immédiat malgré l'interdiction aux moins de dix-huit ans pénalisante.

Le film totalisa 259 000 entrées en sept semaines d'exploitation parisienne : ce fut le seul succès commercial de Jean Luc Godard avec, dans une moindre mesure, Sauve qui peut (la vie) qui, vingt ans plus tard, sera aussi un premier film.

 

Jean-Luc Lacuve le 06/06/2012

Sources :