Kill Bill

2003

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Genre : Film noir

Avec : Uma Thurman (la Mariée), Lucy Liu (O-Ren Ishii), Vivica A. Fox (Vipère Cuivrée), Michael Madsen (Budd), Daryl Hannah (Elle Driver), David carradine (Bill), Sonny Chiba (Hattori Hanzo), Julie Dreyfus (Sofie Fatale), Chiaki Kuriyama (Gogo Yubari). 1h52.

Dans un prologue en noir et blanc, une jeune femme est battue à mort le jour de son mariage par son ancien chef de gang, Bill. Avec sa bande, il a tué toutes les personnes présentes à la cérémonie et tire une balle dans la tête de "La Mariée" à l'instant où elle lui révèle qu'elle est enceinte de son fils.

Après le générique, celle que l'on a cru morte se révèle être Black Mamba du groupe des Vipères assassines. Elle s'en vient tuer Vipère cuivrée, une de ses anciennes complices. Leur combat dans la cuisine est interrompu par l'arrivée d'une enfant de quatre ans qui rentre de l'école. Alors qu'une réconciliation semble être possible, une ruse de Vipère cuivrée conduit à son assassinat devant les yeux de sa petite fille.

On revient quatre ans plus tôt au chevet de "La mariée". Elle Driver, bandeau noir sur un œil, avance en sifflant et en split-screen dans les couloirs d'un hôpital pour tuer celle qui a été laissée pour morte mais qui n'est "que" dans le coma. Au moment où Elle Driver s'apprête à faire la piqûre mortelle, elle est arrêtée dans son geste par un appel téléphonique de Bill qui souhaite une mort plus noble et plus cruelle à leur ennemie.

Quatre ans plus tard, la mariée se réveille. Elle crie en s'apercevant qu'elle a perdu son enfant. Elle simule le coma quand rentre un infirmier …qui la vend à un violeur. Elle les exécute tous les deux. Elle se traîne ensuite jusqu'à la voiture de l'infirmier où elle oblige son orteil à bouger. Dans le même temps elle se remémore l'enfance d'une de ses anciennes complices, O-Ren brisée par la mort de ses parents et devenue chef de gang à Tokyo. Sa vengeance commencera par elle.

Dix heures plus tard, elle est prête à s'envoler pour l'île d'Okinawa où elle attend un mois, le temps de se faire confectionner un sabre. Elle se venge de O-Ren dans la Villa Bleue et ampute Sophie, la fidèle seconde de son ennemie, qu'elle charge d'un message de vengeance à l'adresse de Bill. Celui-ci révèle alors à Sophie que l'enfant de La mariée est toujours vivant....

La révolte et la violence sont le sujet central du film comme l'annonce clairement la phrase en incrustation qui ouvre le film : "La vengeance est un plat qui se mange froid". La distance introduite par l'inscription quelques secondes après de la source douteuse de la sentence : "proverbe klingon" renvoie au savoir qu'a Tarantino de toutes les couches superposées de cinéma ayant traité ce thème et qui lui impose de recycler les films de genre, des arts martiaux aux westerns spaghettis, dont le cinéaste-cinéphage se nourrit depuis l'enfance, mais aussi les films d'horreur et les mangas que Tarantino apprécie depuis quelques années et qui s'opposent aux deux premiers genres par leur noirceur absolue.

L'exubérance de Tarantino, son humour et son goût pour les discussions pointues sur des sujets mineurs tels la cuisine ou les armes à feu sont aussi autant de remparts à un traitement rectiligne du thème de la vengeance tel qu'ont pu le traiter Fritz Lang ou Jean-Pierre Melville voir même les films japonais des années soixante racontant la volonté d'un Yakusa trahi de retrouver sa place et se terminant dans un bain de sang.

O-Ren est le prototype de ces personnages sans espoirs dont Tarantino, via le manga animé, réussit un superbe portrait. La musique qui accompagne le flash-back contant l'enfance et la vengeance de O-Ren rappelle celle d'Enio Moricone pour Les films de Sergio Leone et notamment ceux pour qui la vengeance est le thème central (celle du colonel suite au viol et à l'assassinat de sa sœur dans Et pour quelques dollars de plus ainsi que la mort du frère et le massacre de la famille dans Il était une fois dans l'Ouest). Si O-Ren est une "méchante" condamnée à la mort c'est qu'elle ne peut sortir de la violence.

Si Tarantino décide de faire finalement de O-ren une "méchante", condamnée à mort sans rémission c'est qu'elle ne peut survivre longtemps dans son cinéma.

Tarantino sait en effet toujours nous immerger pour quelques instants dans la noirceur la plus absolue ou le combat le plus sanglant mais il sait aussi, et c'est probablement la qualité supérieure de sa mise en scène, nous en sortir par un trait d'humour (un carton décalé : 10 heures après) pour couper la pression, en revenir à un état neutre où tout est possible, presque recommencer un nouveau film. Quelque soit ce qui a pu arriver à la marié un espoir reste toujours possible, une voie nouvelle lui est toujours ouverte. D'où aussi la grande qualité dramatique du film.

Ainsi, plus qu'au lyrisme de la noirceur dont ses devanciers ont fait preuve sur le thème de la vengeance, c'est un lyrisme du possible que l'on retire du film. L'espoir dévasté, l'exclusion de la simple humanité dont semble être victime le personnage s'éloignent peu à peu au profit d'une reconstruction possible, de l'aube possible d'un nouveau recommencement. La mariée respecte la vie de famille puis la douleur de la petite fille devant la mort de sa mère "Vipère Cuivrée". Et son visage exprime plusieurs fois sa désolation de devoir suivre la piste de la vengeance. Tarantino comme Anthony Man dans sa trilogie de la vengeance avec James Stewart (L'Appât, Winchester 73, L'homme de la plaine) souligne l'indifférence de la nature devant l'excès de vengeance de l'humanité (d'où l'eau qui coule en clapotant au premier plan du combat sous la neige).

Parallèlement à ce traitement humaniste du personnage, les références et le recyclage sont autant de clins d'œils aux possibles du cinéma dont Tarantino refuse de se priver et qui représentent autant de bifurcations possibles dans lesquels entraîner ses personnages. L'ouverture sur le logo granuleux des Shaw Brothers (producteurs de quelques classiques du cinéma chinois des années 70) ; la combinaison jaune à bande noire similaire à celle que Bruce Lee aurait dû porter dans son dernier film inachevé, Le jeu de la mort, les hommes de main portent des masques rappelant celui du Frelon vert de la série télévisée éponyme ou "la mariée" tentant de remuer un orteil à sa sortie du coma (scène décalquée avec humour de L'Aigle vole au soleil de John Ford où John Wayne mettait des mois-et non dix heures- à sortir son orteil de la paralysie), les scènes d'action, montées et chorégraphiées par Yuen Woo Ping comme il l'avait fait pour Matrix et Tigre et dragon.

Jean-Luc Lacuve le 09/12/2003