Mademoiselle

2016

Genre : Film noir

(Agassi). Avec : Kim Min-Hee (Hideko), Kim Tae-Ri (Sookee), Jung-Woo Ha (Le "Comte" Fujiwara), Jin-Woong Cho (Oncle Kouzuki), Kim Hae-Sook (Madame Sasaki), Sori Moon (La tante). 2h25.

Corée. Années 30, pendant la colonisation japonaise.

1ere partie. Sookee est une orpheline, élevée par une bande de sympathiques escrocs, spécialisés dans la revente d'enfants abandonnés à de riches japonais. Fujiwara, un faussaire et séduisant escroc, propose à la bande de leur emprunter Sookee afin de l'aider à conquérir le cœur d’Hideko, une riche japonaise. Elle est  maintenue sous la coupe d'un oncle tyrannique, Kouzuki, coréen collaborateur qui s'est fait naturaliser japonais et qui avait épousé la sœur de la mère d'Hideko, morte en couche. Fujiwara, n'est en rien amoureux d'Hideko. Il veut juste capter son héritage avant que l'oncle de "mademoiselle" s'en empare. Fujiwara projette de rendre Hideko folle et l'interner dans un hôpital psychiatrique.

Sookee est bien un peu surprise d'être choisie alors qu'elle est illettrée et maitrise mal le japonais mais accepte volontiers la mission sachant qu'elle récupérera les bijoux de mademoiselle et une coquette somme d'argent pour elle et sa bande.

Sookee se rend ainsi dans l'immense manoir mi-japonais mi-victorien de Kouzuki pour y être accueillie par la majordome, Madame Sasaki qui lui désigne son lit en face de la chambre de mademoiselle. Celle-ci fait un cauchemar dans la nuit où elle revoie sa tante pendue au cerisier du jardin.

Au fil des jours une tendre amitié nait entre Sookee et  Hideko toutes deux ayant perdue leur mère et s'amusant d'un rien: un habillage, un bain ou une promenade. C'est alors que débarque Fujiwara qui a chargé Sookee de chanter ses louanges auprès de mademoiselle. C'est pourtant difficile pour Sookee qui n'apprécie pas la grossièreté avec laquelle Fujiwara tente de séduire Hideko. Celle-ci, vierge demande des explications à sa servante au sujet de l'attende des hommes le soir des noces; les deux femmes font alors l'amour.

Cette fois Sookee souffre chaque fois que Fujiwara approche Hideko mais tenue par la solidarité qu'elle doit à sa bande renonce à faire échouer le plan de Fujiwara qui a fini par séduire Hideko. Profitant d'un départ de Kouzuki, les trois jeunes gens s'enfuient. Hideko et Fujiwara se marient. Le second retient la première prisonnière dans une auberge le temps de récupérer l'argent de l'héritage puis fait venir deux psychiatres qui écoutent Sookee dire combien Hideko est folle. Celle-ci est alors emmenée dans l'asile mais c'est Sookee que l'on enferme. Il s'agissait d'un piège pour l'enfermer et laisser le couple seul. Désespérée, Sookee traite Hideko de garce.

Deuxième partie. Hideko confirme qu'elle est bien une garce, et ce, depuis ses cinq ans. Elle fut  alors conduite chez Kouzuki. Elle rencontra sa tante que  son mari obligeait à lire ses précieux livres érotiques à voix haute devant des invités de marque qu'il escroquait en leur vendant de faux exemplaires de sa bibliothèque. Kouzuki obligea sa femme à initier la toute jeune Hideko à la littérature pornographique. La tante, déjà traumatisée par cette activité, n'y résista pas et se pendit au cerisier. C'est donc Hideko qui reprit les lectures. Un jour, elle remarqua le comte Fujiwara. Il s'était introduit auprès d'elle pour la séduire et capter son héritage mais remarqua bien vite qu'elle était bien trop vive et ne se laisserait pas berner par ses compliments. Il lui proposa donc de partir avec elle et comme elle craignait que son oncle ne la rattrape, il lui promit une fausse identité, celle d'une servante, qu'ils se chargeraient de faire interner et disparaitre sous son nom.

Sookee se rend ainsi dans l'immense manoir mi-japonais mi-victorien de Kouzuki pour y être accueillie par la majordome, Madame Sasaki qui lui désigne son lit en face de la chambre de mademoiselle. Celle-ci fait semblant de faire un cauchemar dans la nuit où fait pareillement semblant de revoir sa tante pendue au cerisier du jardin. Sookee ne sachant pas lire, Hideko peut lire dans les lettres du comte que leur plan est en route. Cependant Hideko tombe amoureuse de Sookee et après leur longue nuit d'amour, ne parvient pourtant pas à faire avouer à Sookee l'amour qu'elle ressent pour elle. Elle la gifle en vain et s'en va se pendre au cerisier. Elle en est empêchée par Sookee mais, pourtant toujours suspendue, lui avoue l'avoir manipulée avec le comte pour la faire disparaitre dans un asile. Elle lui avoue aussi être sous la coupe de son oncle qui la contraint à des lectures érotiques sous peine d'être ramenée au sous-sol. Les deux femmes s'en vont à la bibliothèque et Sookee y détruit tous les livres. Les deux femmes fuient.

Troisième partie. Dans l'hôtel japonais où le comte et Hideko sont cachés avec l'argent de l'héritage, celle-ci prépare les trois gouttes d'opium qui vont endormir le comte. Elle fait semblant de se donner à lui pour le faire boire mais doit subir ses mots érotiques violents avant de le voir enfin dormir.

Sookee arrive et les deux femmes fuient. Hideko accompagnée de Sookee déguisée en homme parvient à tromper la vigilance des agents de l'oncle. Ceux ci capturent le comte. Il est terriblement torturé pour révéler les joies érotiques qu'il est censé avoir partagé avec Hideko. On apprendra pourtant que, lors de la nuit de noce, Hideko s'était masturbée puis s'était coupée la paume pour simuler la perte de sa virginité. Le comte demande à fumer ses cigarettes bleues. Elles contiennent du mercure dont les vapeurs dans la pièce sans aération du sous-sol entrainent la mort des deux hommes.

Les deux femmes amoureuses, munies de l'argent de l'héritage, vont, via Shanghai, rejoindre le manoir de Vladivostok que le comte avait prévu pour lui. En attendant, elles font l'amour dans la cabine du bateau et profitent des douces et excitantes boules érotiques.

Le cinéaste transpose un roman, Du bout des doigts, de la romancière britannique Sarah Waters. L'Angleterre victorienne est remplacée par la Corée des années 1930, pendant la colonisation japonaise. Pourtant le sujet reste bien le même : comment en dépit des manipulations, des tentatives de domination, l'amour surgit entre deux êtres fragiles émus par leur proximité physique et morale. Pour faire ressortir le vif de cette sensation, Park Chan-wook invente une structure narrative complexe qui pourtant ne manipule pas le spectateur mais le laisse en position de fragilité, d'ouverture, face à ce qu'il accepte de ne pas comprendre immédiatement.

Une narration complexe mais qui ne manipule pas

La structure narrative en trois parties est complexe mais pas particulièrement scolaire. La première partie est vue par Sookee, la servante. La seconde partie démarre une quinzaine d'années avant le début de la première. Elle adopte le point de vue de Hideko et révèle en quoi ce qui a été vu durant la partie commune était à interpréter différemment. La troisième partie, débute où se finissent les deux premières et raconte comment le "Comte" Fujiwara et l'Oncle Kouzuki vont beaucoup souffrir. Elle marque le triomphe des deux jeunes femmes qui partiront vivre leur amour au Japon.

Dès le début du film, le spectateur est alerté par un certain nombre de disfonctionnements narratifs qui laissent entrapercevoir des éléments plus complexes que ce que ce qui est mis sous ses yeux. Ainsi du bébé porté sous la pluie par Sookee qu'elle semble abandonner à l'une des femmes abritée sous  le porche et dont on apprendra finalement qu'il n'est pas le sien mais l'un de ceux qui seront vendus à de riches japonais par la petite bande de malfrats qui tente de survivre à la colonisation japonaise dont le plan initial des soldats chassant les enfants suffit à montrer la rudesse. La broche dans les cheveux s'avérera aussi être la clé d'un coffre secret. Enfin puisqu'il s'agit d'élaborer la manipulation de certains personnages par d'autres, il fait partie de la loi du genre d'en attendre des coups du sort et des renversements. C'est bien ce qui se passera mais sans qu'à aucun moment le réalisateur de nous mente sur ce que nous voyons.

La seconde partie est la plus retorse. Elle nous apprend à mieux voir : le contrechamp de l'œil qui voit dans les panneaux entrouverts, ce qui s'est dit derrière la fenêtre où, depuis le jardin, Sookee croyait voir une scène de séduction brutale du comte vis à vis de Hideko, la fausse scène du baiser en extérieur, le cadeau de l'opium le jour du mariage. Elle nous apprend tout des lectures subies par Hideko à la fois éprouvantes mais aussi parfois instructives (on dit que les femmes sont bouleversantes quand on veut leur toucher les seins).

La troisième partie livre les derniers éléments mystérieux et notamment la fausse scène d'amour de la nuit de noce. Dans l'atelier de reliure, le poulpe visqueux n'a plus rien à voir avec l'estampe du rêve de la femme du pêcheur de Hokusai.

Un amour fragile au sein d'une structure complexe

Au sein de cette structure complexe ce sont de brèves scènes qui vont d'abord rapprocher les deux femmes. Celles-ci ont toutes deux éprouvé la peine d'une mère qui s'est pendue. Sookee, à laquelle l'amie de sa mère à appris à ne pas s'apitoyer permet à Hideko de ne pas culpabiliser que sa mère soit morte en couche. En dépit de la situation difficile, l'humour teinte toujours leur rencontre, la dent limée avec le dé à coudre, les boutons défaits, le corset tendu, la scène d'amour saphique, ou Sookee oubliant qu'Hideko est toujours pendue lorsque celle-ci lui avoue que le comte a comploté contre elle.

Quelques accessoires prennent aussi une importance considérable, les boucles d'oreille, la corde, les boules de métal, d'abord objets de châtiment sur la jeune Hideko puis objets banals du désir érotique lu dans les livres avant d'être expérimentées pour un plaisir ludique et partagé.

Jean-Luc Lacuve, le 19/11/2016