Le petit garçon

1969

Voir : Photogrammes

(Shonen). Avec : Tetsuo Abe (le petit garçon), Fumio Watanabe (le père), Akiko Koyama (la belle-mère), Tsuyoshi Kinoshita (le petit frère). 1h45.

Un jeune garçon d’une dizaine d'années joue tout seul à cache-cache et colin-maillard jusque tard dans la nuit. Il finit par trébucher. Il sanglote. Il rejoint ses parents chez un vendeur de pâtes. La mère lui en offre deux portions.

Le matin, le père négocie un retard de paiement dans l'auberge où loge la famille. La femme se jette contre la carrosserie d'une voiture roulant doucement afin d’extorquer de l’argent à son conducteur mais le stratagème ne fonctionne pas. La famille prend le bus vers une autre ville où cette fois, un conducteur effrayé est prêt à négocier un arrangement à l'amiable pour ne pas s'engager dans des complications judiciaires. Le père, invalide de guerre, a en effet mis au point ce système d’escroquerie permettant à la famille de subvenir à ses besoins : la femme se jette sous les roues des voitures afin d’extorquer de l’argent aux conducteurs. Le petit garçon et le petiot sont là pour crier une fois que la victime de leur arnaque s'affole et que le père gesticule dans tous les sens. Le processus n'est pas de tout repos : une visite médicale est nécessaire afin d'affoler la victime mais sans aller jusqu'au stade d'une radiographie qui révélerait la supercherie ou pire encore d'alerter la police. Cette fois la supercherie a fonctionné mais la mère proteste de devoir continuer sans cesse alors que son mari joue de sa main gauche blessée à la guerre et de son diabète.

Le père menace à mots couverts de renvoyer le petit garçon chez sa grand-mère et son tonton au bord de la mer. La mère approuve. Elle n'est en effet que la belle-mère du petit garçon dont le père a abandonné sa femme tuberculeuse pour vivre avec elle. Ensemble ils ont eu le petiot, demi-frère du petit garçon. Celui-ci refuse de repartir. Il sort avec sa belle-mère qui lui achète la casquette jaune vendue comme celle d'un robot et accepte, non sans hésitation, de jouer à son tour le rôle de victime dans les arnaques.

Durant le voyage par bateau entre l'île de Shikoku et la ville d'Onomichi, le petit garçon explique au petiot que des extraterrestres venus de la nébuleuse d'Andromède (Andromela répète le petiot) vont venir à bout des monstres. Il est lui même l'un de ces extraterrestres venu défendre la justice. Sept fois raconte-t-il, il a "fait le boulot" : tomber sans se faire mal contre les voitures. Mais il déteste la visite médicale où il doit mentir. Sa belle-mère lui verse 100 yens à chaque fois et il aura donc bientôt 1000 yens. A Onomichi, ils arnaquent un camionneur de 50 000 yen mais la famille s'ennuie dans l'auberge. La belle-mère révèle au père qu'elle est enceinte, peut-être pour qu'ils trouvent enfin une maison où arrêter de fuir. Ils décident d'aller sans tarder au  centre de l'île, plus au nord à Fukui, où ils se sont rencontrés et où la femme connait une clinique  pour l'avorter. Leur passion sexuelle a donné naissance au petiot qui n'était pas désiré. La femme a d'abord haï les enfants avant de les aimer. Pendant ce dialogue, le petit garçon est sorti. Il voit deux jeunes qui rackettent de 1000 yens un étudiant plus jeune. Celui-ci le frappe quand il s'approche et jette sa casquette qu'il tente alors de laver avant que sa belle-mère ne la jette definitivement sous les roues d'une voiture.

La famille tente, sans succès, une nouvelle arnaque mais cela ne fonctionne pas. Cela n'empêche pas le père de louer la meilleure chambre de la ville. Les gesha chantent "la ballade de Kochi" ce qui donne la nostalgie de son enfance au petit garçon. Le père s'en aperçoit et lui déclare qu'il ne serait plus le bienvenu s'il retournait à Kochi dans le sud. Le petit garçon, se sentant exclu de la fête, fugue. Il s'achète quinze petits pains et des chewing-gums et demande un billet de train pour Kochi. Il parait  plus de douze ans et on lui refuse un billet demi-tarif. Il prend donc un billet pour Amanohashidate. C'est aussi au bord de la mer et il s'invente un dialogue imaginaire comme s'il était revenu chez sa grand-mère. Il pleure.

La famille se retrouve réunie à Fukui. Il faut 70 000 yens pour l'avortement en urgence. Le petit garçon ne demande pas mieux que d'aider sa belle-mère dans une arnaque à 70 000 yens. Celle-ci refuse qu'il prenne trop de risques avec une grosse Mercedes. Ce qu'il fait pourtant. Lorsqu'un peu plus tard, il reçoit un léger coup de son demi-frère, le père ne retient que ce qui pourra servir à la visite médicale et le petit garçon est content d'éviter la piqure destinée à provoquer les bleus. Le père a peur que sa compagne renoue avec ses anciens amants et la fait accompagner du petit garçon. Sur le chemin, la mère demande pourquoi le petit garçon les a rejoints à Chigasaki et lui avoue avoir déjà avorté dans cette clinique. Emu, le petit garçon reste près de l'entrée. Mais quand la mère ressort un peu plus tard, sans avoir manifestement l'intention d'avorter, elle le rudoie craignant qu'il la déteste et raconte tout à son père. Ils se réconcilient et, puisqu'elle n'a pas dépensé d'argent, lui propose un cadeau. Ce sera une montre bracelet argentée. Elle lui expose son envie d'une vie normale. Mais, pour cela, il faut beaucoup d'argent. Et le petit garçon de raconter qu'ils sont allés dans beaucoup d'endroits : Tsuruga, Nishi Maizuru, Kanazawa, Toyama...

A Tasaki l'arnaque est difficile : la blessure du petit garçon est repérée comme ancienne par le médecin et la victime de l'arnaque ne se laisse pas faire et appelle la police. Et, pire, ils sont pris en photo ce qui ne leur était arrivé que trois fois. L'escroqué consent toutefois à leur laisser 60 000 yens à la gare. La famille fuit vers le nord, passe Fukushima. Le père, qui a déjà été arrêté trois fois, préconise un arrêt momentané des arnaques. L'hiver est arrivé ils décident de changer d'apparence. Le petit garçon porte des lunettes dont la correction est celle de la mère qui doit elle-même se passer de lunettes. Le père décide aussi qu'il logera dans une auberge séparée. Celle de la mère et des enfants est à peine chauffée. Lorsque la mère tente de contacter le père au téléphone, l'aubergiste interprète son appel comme celui d'une maitresse délaissée. Le petit garçon et la mère vont ensemble voir le père qui, du haut de second étage, les chasse. Le petit garçon propose une nouvelle arnaque que la mère refuse avant de se jeter elle-même devant une voiture conduite par une jeune femme qui s'affole et paie immédiatement lorsque la mère prétend être enceinte de quatre mois et que le petit garçon joue efficacement  le rôle du père en colère. Le lendemain, l'enfant et la mère font face au père, solidaires, refusant l'échange de lunette et décidés encore à travailler ensemble.

Pour atténuer les inquiétudes du père, la mère décide de prendre l'avion pour Hokkaido où le petit garçon voit la neige pour la première fois. Obihiro, Kushiro, Abashiri, Asahigawa, Wakkanai sont dit le petit garçon le lieu de nouvelles escroqueries. Ils atteignent ainsi l'extrême nord de l'île, le cap Saya à la latitude de 45°31' entre la mer d'Okhotsk et la mer du Japon contrôlant le détroit de la Pérouse avec, au loin, l'ile de Sakhaline. "On a vraiment fait le tour; nulle part ailleurs où aller" dit le père. "Si, il y a l'espace" affirme le petit garçon alors que la mère aspire à s'installer. Avec 600 000 yens, ils ne tiendraient pas trois mois. "Si seulement le Japon était plus vaste" conclut Le petit garçon. Le père veut une pause avant de recommencer depuis le sud. Il en veut à sa femme d'accumuler les arnaques pour en finir au plus vite :"Ce n'est pas une, vie c'est une folie". Quand le père veut s'en aller de son côté avec le petit garçon, celui-ci sort la montre indiquant sa proximité avec la mère et s'en érafle la main. En courant la ramasser, le petiot provoque un accident grave avec une jeune blessée qui laisse une botte sur la route dont s'empare le petit garçon.

Le père lui fait la morale sur la frontière entre la vie et la mort qu'il a connu à la guerre. "Elle est morte, la jeune fille est morte" dit le petit garçon à son père en lui tendant la botte. Il s'accuse d'être à l'origine de sa mort. Le père s'énerve et une dispute générale où la mère accuse son mari de lâcheté et aurait préféré qu'il meurt à la guerre. Il tente de l'étrangler avant que ne survienne la femme de ménage. Le petit garçon ramasse la botte dans la neige : "Je vais mourir. Si je meurs, tout ira bien". Il ramasse la botte disant mentalement adieu à son père et a sa mère avant que son petit frère l'appelle pour jouer. Il lui construit un bonhomme de neige extraterrestre venant d'Andromède (Andromela) pour exterminer les gens de cette planète qui font de mauvaises choses. Il n'a peur de rien et met les autres en morceau. Il ne peut être blessé, ne pleure jamais, est tout seul et n'a pas de parents. C'est ce que le petit garçon voulait devenir mais il n'est qu'un enfant ordinaire, ne réussissant pas même à mourir. Il détruit le bonhomme de neige, avatar de ce rôle d'extraterrestre qu'il s'est condamné à jouer. C'est le jour de Noël, où le Christ est né et non pas mort rappelle la mère au petit garçon.

La famille rentre à Kochi puis Osaka, habite un logement culturel à loyer modéré, les journaux révèlent les escroqueries, la police est mobilisée, les plaintes affluent contre "les escrocs de l'accident" : d'octobre à décembre, ils ont opéré 16 fois pour  plus de 700 000 yens. Le père 45 ans, Takeo Omura, a été arrêté le 20 à Gunna. C'est ce qui est montré : un policier pénètre chez Takeko Taniguchi. Elle est arrêtée ainsi que le mari quand il rentre.

Tous sont soumis à un interrogatoire et sont résumés leurs parcours : celui de Takako (née en 1939), adoptée à quatre ans et ayant connu de nombreux foyers. Elle  se marie en 58 à 18 ans rencontre Omura en 59 elle abandonne pour lui époux et enfant en 63 elle a un enfant avec lui âgé de  trois ans. Toshio est âgé de 10 ans. Alors que le train roule vers les tribunaux, Toshio reconnait enfant être parti en avion vers le nord avec ses parents. Mais il ne se souvient pas tant des beaux paysages que de la botte et de la montre de l'extraterrestre imaginé. Il pleure.

La casquette jaune, celle de l'extraterrestre auquel s'identifie l'enfant, la neige vue pour la première fois à Hokkaido, la botte rouge de la fillette de l'accident, la montre argentée ou le bain bleuté et fantomatique de certaines séquences produisent des images-temps qui rapprochent Le petit garçon des films d'Ozu et du néoréalisme. Film moderne sans ostentation, choisissant la forme alors peu usitée du road-movie, c'est aussi l'un des plus touchants du réalisateur. Le petit garçon, solitaire au milieu de ses parents, observe leur comportement avec lucidité. Se tisse avec sa belle-mère une complicité croissante alors que se distendent les liens avec son père qui ne semble pas distinguer leur souffrance. Responsable et lucide avant l'heure, le petit garçon recherche une échappatoire dans l'imaginaire : celui d'un extraterrestre surpuissant auquel il s'identifie ou d'un Japon plus grand qu'il ne l'est avant de pleurer comme un enfant enfin redevenu normal.

Un film néo-réaliste à la Ozu

Pour Gilles Deleuze, Ozu construit dans un contexte japonais une œuvre qui réussit à rendre visibles et sonores le temps et la pensée. Pour lui, les Européens ne l'imitèrent pas en créant le néoréalisme, mais le rejoignirent par leurs propres moyens. Ce cinéma moderne s'attache à rendre des situations optiques et sonores pures. C'est l'opsigne qui rend sensible le temps et la pensée qui les rend visibles et sonores. Dans la banalité quotidienne, l'image-action tend à disparaitre au profit de situations optiques pures, qui découvrent des liaisons d'un nouveau type, qui ne sont plus sensori-motrices mais qui mettent les sens affranchis dans un rapport direct avec le temps, avec la pensée.

La caquette jaune du petit garçon est l'un de ces opsignes. Afin de lui donner le courage de jouer pour la première fois le rôle de victime dans l'escroquerie de l'accident, la belle-mère lui achète la casquette jaune que surmonte un robot qui permet au petit garçon de s'identifier aux extraterrestres qui rendraient la justice et ne pleureraient jamais. Cette échappatoire dans l'imaginaire est propre à l'enfance et c'est sur l'ile de Shikoku, là où il a été élevé par sa grand-mère et son oncle près de la mer, que la casquette lui est achetée. Ce sera sur l'ile principale d'Honshu qu'il la perdra. Après avoir été victime de racket, sa belle-mère la jette sous la roue d'une voiture.

C'est sur la troisième ile, celle d'Hokkaido rejointe en avion, que le petit garçon voit la neige pour la première fois. Cette étape marquée au départ par de nombreux plans déserts, détruisent  les quelques éléments qui rattachent encore le petit garçon à l'enfance. C'est d'abord l'énumération de noms des villes traversées avec des fondus-enchainés sur les pas de la famille dans la neige puis la botte rouge de la fillette de l'accident qui fait prendre pour la première fois conscience de la mortà l'enfant. Il s'accuse de cette mort mais aussi du souhait de la belle-mère de voir son mari mort. Il en vient à vouloir mourir lui aussi une fois avoir retrouvé la botte en bas de la fenêtre où son père en colère l'a jetée. Le ralenti avec lequel est filmé la destruction du bonhomme de neige portant les objets symboliques le rattachant à la jeune fille accidentée et à sa belle-mère, la botte rouge et la montre argentée, disent aussi bien l'épuisement de tout espoir que la visite au cap Saya.

Les scènes bleutées sont comme une prémonition de cette voie sans issue : le premier échec avant la fugue du petit garçon de l'auberge, sur l'île Hokkaido avec la scène de la dispute et de l'accident, avec les titres des journaux annonçant en flash-forward l'arrestation du père.

Un road-movie à la modernité discrète

La force de ces images-temps rend inutile tout autre explication sur la compréhension de la situation par l'enfant. La solitude est mise en scène  dès le premier plan au sein d'une première séquence qui est comme le résumé du film : alors que d'autres enfants vont à l'école, le petit garçon avance vers nous de face. Il joue  seul jusqu'à la nuit et de pleure après avoir trébuché.

Les moments de calme de voyage du couple marquent leur amour et leur passion sexuelle toujours forte. En dépit de la lâcheté sociale du père, de ses accès de violence, son amour de sa famille est incontestable.

Quelques ellipses brèves (l'arrivée de nuit à la gare : on entend la mer et le plan d'après la couleur revient devant cette mer) ou longue et inexpliquée (la fin de la fugue), la narration des arnaques sous forme de série de photos, le fractionnement de corps du petit garçon en différents plans rapides ; la dernière escroquerie muette avec le son d'un vent mauvais ou les personnages parfois au bord du cadre du scope sont aussi quelques une des multiples idées de mise en scène du film

Jean-Luc Lacuve, le 4 mars 2015

critique du DVD
Editeur : Carlotta-Films. Mars 2015. Coffret 9 films, combo 3 Blu-ray et 6 DVD. 60,20 €.
critique du DVD

DVD et Blu-ray 1 : La pendaison. DVD et Blu-ray 2 : Le petit garçon DVD et Blu-ray 3 : La Cérémonie. DVD 4 : Carnets secrets des Ninjas - Le Journal de Yunbogi. DVD 5 : Journal du voleur de Shinjuku - Le Piège. DVD 6 : Il est mort après la guerre - Une petite sœur pour l’été.