New York - Miami

1934

Thème : Crise de 1929

(It happened one night). Avec : Clark Gable (Peter Warne), Claudette Colbert (Ellie Andrews), Walter Connolly (Alexander Andrews), Roscoe Karns (Oscar Shapeley), Jameson Thomas (King Westley), Alan Hale (Danker), Arthur Hoyt (Zeke). 1h45.

Ellie Andrews fait le désespoir de son père, millionnaire de Wall street, en désobéissant perpétuellement à sa tendre attention. Elle a ainsi épousé King Westley sur un coup de tête et refuse que son père annule le mariage. Ellie saute du yacht en rade de Miami et décide de rejoindre King Westley à New York. Alexander Andrews lance détectives et journalistes à la poursuite de sa fille.

Peter Warne, insolant et habituellement saoul lorsqu'il s'ennuie, est renvoyé du journal qui l'emploie. Il monte à bord du bus pour New York, y fait la connaissance d'Ellie. Celle-ci, pour échapper à un compagnon de voyage qui ronfle, finit par s'endormir sur son épaule. A Jacksonville, Ellie demande au chauffeur de bus de l'attendre si elle est en retard. Ce sans gêne, doublé d'une méconaissance du fonctionnement des cars, intrigue Peter qui découvre dans le journal la véritable identité d'Ellie. Il l'attend donc dans le bus suivant qui ne part que le soir à 20 heures. Ellie le snobe mais, trop peu précautionneuse, se fait voler sa valise et son argent. Elle refuse l'aide de Peter mais doit se résoudre à l'accepter quand il lui montre qu'elle avait aussi égaré son billet et que, l'ayant récupéré sur le siège, c'est à lui qu'elle doit la poursuite de son voyage. Il lui avoue aussi qu'il connait son identité et qu'elle ferait bien d'accepter son aide si elle veut poursuivre sa route avec 4 dollars en poche.

Ellie refuse mais est importunée par Oscar Shapeley, un voyageur de commerce grivois. Peter intervient pour faire dégager l'importun et, au grand soulagement d'Ellie, lui déclare que celle-ci est sa femme et s'assoie à coté delle. Le bus voyage sous une pluie battante et doit bientôt s'arrêter pour la nuit. Peter négocie une chambre pour deux dans un motel. Ellie est terrorisée à l'idée de passer la nuit avec Peter qui a séparé la chambre en deux par un simple fil sur lequel pend une couverture. Peter lui rappelle que c'est lui ou la pluie et la dénonciation immédiate auprès de son père. Il lui explique aussi que la couverture est bien plus solide que les murs de Jéricho et, qu'en plus de cela, il n'a pas même une trompette pour les faire s'écrouler. Ellie finit par se rassurer et s'endort en souriant.

Le matin, Peter prépare le petit déjeuner et Ellie est ravi de cette aventure elle qui a toujours été entourée des gardes du corps de son père. Elle revient même ravie de la douche où elle a dû faire la queue. Des détectives de son père surveillent tous les campings et viennent enquêter dans le bungalow de Peter et Ellie qui leur jouent la comédie des jeunes mariés qui se disputent.

Le bus repart. Les voyageurs entament une chanson dans le bus. Oscar Shapeley, le voyageur de commerce, a repéré le visage d'Ellie dans le journal. Le bus a fait une embardé et échoué dans un ruisseau. Oscar Shapeley fait par à Peter de la récompense de 10 000 dollars promise par Alexander et lui propose d'en partager la moitié. Peter lui fait peur en se faisant passer pour un gangster qui a enlevé Ellie. Il avertit toutefois celle-ci qu'ils sont découverts et, par précaution, ils quittent le bus et font du stop.

Le soir, ils dorment à la belle étoile près d'une ferme. Peter prépare un lit de foin et n'a que des carottes crues à offrir à Ellie. Il est sur le point de l'embrasser.

Au matin, Ellie et Peter font du stop. Peter expose ses théories mais c'est Ellie qui, en montrant sa jambe, arrête une voiture. Le chauffeur se révèle être un pilleur des routes. Il tente de leur voler la valise. Peter la rapporte et revient même avec la voiture.

Non loin de Philadelphie, Ellie a découvert dans le journal que son père accepte son mariage. Elle le cache à Peter et obtient une dernière nuit avec lui refusant qu'ils fassent les trois heures de route qui les séparent de New York. Durant cette dernière nuit, Ellie avoue son amour à Peter qui la repousse. Durant la nuit, il se ravise toutefois et décide de partir seul à New York pour vendre pour mille dollars à son ancien patron le récit de ses aventures amoureuses avec Ellie Andrews.

Durant ce temps, le patron du motel a constaté que la voiture des deux jeunes gens avaient disparu. Il chasse Ellie qui, se croyant abandonnée par Peter, appelle son père. Sur le chemin qui le ramène vers elle, Peter croise donc Ellie dans le cortège qui la ramène avec son père et son mari vers New York.

Peter qui a rendu l'argent de son patron lit les journaux où il apprend que King Westley exige une nouvelle cérémonie de mariage. Alexander voit bien que sa fille est malheureuse. Elle lui avoue être amoureuse de Peter mais perd tout espoir à la vue de la lettre où celui-ci demande de l'argent à son père.

Peter ne vient toutefois pas réclamer les 1 000 dollars de récompense mais les 40 dollars qu'il a perdu en mettant en gage toutes ses affaires pour aller vendre une histoire qui s'est finalement avérée fausse.

Le jour du mariage Alexander prévient sa fille que Peter l'aime toujours et qu'une voiture l'attend derrière l'église au cas où elle changerait d'avis. Elie refuse de répondre "oui" au prêtre et s'enfuie en voiture.

Le soir la voiture est devant un motel où le propriétaire s'étonne que le jeune homme lui ait demandé une trompette. Dans la chambre, la couverture tombe à terre.

Pour Frank Capra, New York Miami fut le film de la consécration. Il est le seul film à avoir reçu, en 1935, les cinq Oscars les plus importants : meilleur film (pour la Columbia), meilleur réalisateur (Frank Capra), meilleur rôle masculin (Clark Gable), meilleur rôle féminin (Claudette Colbert), meilleur scénario (Robert Riskin qui a adapté une nouvelle, Night Bus, écrite par le journaliste-romancier Samuel Hopkins Adams et publiée en 1933 dans le magazine Cosmopolitan).

New York Miami : une comédie et un road movie

C'est le premier road movie du cinéma. Ce n'est pas le trajet New York vers Miami que les jeunes gens accomplissent, comme voudrait nous le faire croire le titre français, mais celui de Miami à New York. Le road movie est moins un voyage avec point de départ et point d'arrivée, qu'une fuite sans que l'on connaisse le but du voyage. Ellie pensait échapper à son père et retrouver son mari, elle se réconcilie avec son père et trouve un nouvel amant.

Le trajet permet de retrouver des vérités enfouies, masquées jusqu'alors par la sophistication des grandes villes. A ces mœurs convenues (enfant gâté, journaux people) artificielles (l'arrive du mari en gyrophare), et dépravées (boire et faire la fête tous les jours) s'opposent le bus sur les routes de campagne, la nuit à la belle étoile avec bottes de foin et carottes crues grignotées du bout des lèvres.

Dans cette romance matinée de film d'aventures avec dangers, poursuites, recours à des stratagèmes et de fausses identités, Capra ne renonce pas à introduire quelques notations sociales. C'est d'abord le gosse en larmes auprès de sa mère, évanouie d'inanition, puis les chômeurs qui parcourent les états de train en train à la recherche d'un travail qui croisent Peter s'en revenant vers Ellie. Mais, là ou la conception politique jeffersonienne de Capra se retrouve le plus surement, c'est dans la séquence du deuxième jour de bus, où les passagers entonnent en cœur la chanson du trapéziste volant. Les passagers qui sont montés entre ces deux métropoles que sont Miami et New York représentent la vraie population de l'Amérique. Elle n'est pas toujours très séduisante (le gros homme qui ronfle ou Oscar Shapeley) mais forme une communauté chaleureuse.

It hapenend one night (l'amour)

Le titre français, aussi curieux dans son inversion des villes soit-il, ne doit pas empêcher de réfléchir à la signification du titre original, "It happened one night". Ce qui a bien pu arriver une nuit n'est certainement pas ce qui s'est passé durant les trois nuits du voyage.

Plus probablement s'agit-il d'une allusion à l'image finale, l'écroulement du "mur" de Jéricho constitué par la couverture séparant dans la chambre, le lit de Peter de celui d'Ellie. Dans le récit biblique (Livre de Josué, chapitre VI), la prise de la ville de Jéricho est la première conquête des tribus d'Israël entrées en terre promise. Elle met en valeur de don de dieu à son peuple. Au septième jour du siège, le cortège mené par sept prêtres portant chacun une trompette en corne de bélier fait sept fois le tour de Jéricho. Sur l'ordre de Josué, commandé par Dieu, le peuple, sur la dernière note des trompettes, pousse une clameur qui fait s'écrouler les murailles de briques de Jéricho.

Peter utilise plusieurs fois cette métaphore, pour indiquer à Ellie que la barrière est solide et que, n'ayant pas de trompette elle ne risque pas d'être en présence du "grand méchant loup". Il la réutilisera face à son patron

L'écroulement du mur de Jéricho a lieu en plein jour. Ici, "it happened one night". Certes, l'écroulement a lieu en tout bien tout honneur, le couple ayant eut le temps de se marier après que le père ait confirmé au téléphone l'annulation du mariage pour 100 000 dollars versés à Wesley. Il reste néanmoins une note étonnement érotique où, plus que le mariage, c'est la nuit d'amour qui est mise en valeur. Il s'agit ainsi du film le plus érotique de Capra, que son apologie des valeurs de l'enfance tient habituellement à l'écart de ces notations.

La présence de Claudette Colbert et de Clark Gable n'y est certainement pas étrangère. Claudette Colbert avait, deux ans plus tôt, interprété Poppée, "la plus vicieuse de toutes les femmes", se baignant nue dans une piscine de lait dans Le signe de la croix de Cecil B de Mille. Ici, apeurée devant la porte alors qu'elle doit passer la nuit avec un homme, puis se déshabillant derrière la couverture, ou étendue dans une meule de foin ou bien encore rêveuse, amoureus,e dans sa robe de soie blanche, elle dégage un tout autre érotisme que Jean Arthur ou Dona Reed.

Le sourire narquois de Clark Gable devant les dessous que Ellie pose innocemment sur la couverture, sa façon de laisser trainer sa main en faisant semblant d'être endormi pour qu'Ellie le touche sont des attitudes de séducteur que n'auront ni Gary Cooper ni James Stewart.

Une mise en scène qui fait feu de tout bois

Alors que le film est bâti sur deux types de personnages conventionnels : le journaliste culotté et sûr de lui et l'héritière gâtée et ignorante des dures réalités de la vie, Capra, avec son habituelle force de conviction, parvient, le temps d'un road movie, à les transformer en citoyens moyens et, à l'image de la séquence du bungalow, les rendre ainsi proches de nous.

Eux et nous retrouvons les vraies valeurs de l'Amérique et apprenons plein de choses amusantes : comment un homme se déshabille, comment tremper son gâteau dans le café, comment porter quelqu'un à califourchon, comment manger crues la carottes, comment faire du stop. C'est aussi l'un des premiers films à mettre en scène le "non" le jour du mariage avant Le lauréat, Quatre mariages et un enterrement , Spiderman 2 ou Alice au pays des merveilles dont les auteurs se souviendront peut être de cette course vers la liberté sur le gazon avec le long voile blanc qui traine.

Jean-Luc Lacuve le 9/01/2011 (après le cinéclub du jeudi)