120 battements par minute

2017

Genre : Drame social

Grand prix du festival de Cannes 2017 Avec : Nahuel Perez Biscayart (Sean Dalmazo), Arnaud Valois (Nathan), Adèle Haenel (Sophie), Antoine Reinartz (Thibault), Catherine Vinatier (Hélène), Ariel Borenstein (Jérémie), Samuel Churin (Gilberti). 2h20.

1991. Dans les coulisses d'un colloque, des militants d'Act Up s'apprêtent à intervenir.

Dans une réunion d'Act Up, un militant expérimenté explique à quatre nouveaux adhérents : "Act Up Paris, créé en 1989 sur le modèle d’Act Up New York n’est pas une association de soutien aux malades, mais un groupe d’activistes qui vise à défendre les droits de toutes les personnes touchées par le sida". Il leur en explique aussi quelques règles de fonctionnement pour trouver des modes d'expression respectueux des autres pour que les R. H., Réunions Hebdomadaires, ne s'éternisent pas pendant des heures : la conduite par deux modérateurs qui coupent les interventions trop longues et des "clac-clac" avec les doigts au lieu d'applaudissements pour que l'orateur, ainsi approuvé, puisse continuer de s'exprimer.

Le premier acte de cette R.H. est de débriefer l'action commencée en coulisse du colloque «Homosexualités et sida», dirigé par le directeur de l’AFLS, l’Agence française de lutte contre le sida, sur lequel Marco jette trop tôt une poche de faux sang puis qui est menotté sur la scène devant un parterre de spécialistes scientifiques qui cette fois rient jaunes. Les militants se partagent entre ceux pour qui cette intervention n’a pas vraiment fonctionné (Sophie qui n'a pas pu exprimer ses revendications, Thibault qui réprouve la violence) et ceux, comme Sean, qui approuvent cette intervention spectaculaire qui va enfin faire parler d'eux.

Le second acte de la RH est de préparer une autre action contre le laboratoire Melton Pharm qui refuse de diffuser les résultats des effets de sa nouvelle molécule pour en faire l'annonce un an plus tard lors de la conférence mondiale contre le Sida. Un Zap est décidé, coup d'éclat pour dénoncer ce que l'association juge comme une injustice

Le jour dit, les militants, équipés de leur pancarte "Assassins", aspergent les baies vitrées de faux sang et dénoncent la culpabilité du laboratoire au rythme du slogan "Melton Pharm assassin, t’as du sang sur les mains".

C'est aussi dans les lycées qu'interviennent les militants distribuant des préservatifs et des brochures d'information : "Bonjour tout le monde, nous sommes Act Up-Paris et nous sommes venus vous donner un cours de prévention sur le Sida parce que l’État français est incapable de vous informer". Alors qu'une petite bourgeoise, à l'instar du proviseur, refuse de les écouter, Sean embrasse Nathan qui en est profondément heureux.

Sean et Nathan deviennent amants. Nathan se souvient de ses premières amours homosexuelles puis combien il fut terrifié par les photographies d’anniversaire tragiques de Kenny Ramsauer avec son ami dans un numéro de Paris Match de 1983 montrant pour la première fois en France des malades du "cancer gay" rendus méconnaissable par les atteintes de la maladie. Un peu plus tard, Sean fut victime d'une contamination par son professeur de mathématiques lors de son premier rapport sexuel. Bien que séropositif, la maladie ne l'a encore qu'à peine touché même s'il a repéré quelques kaposi sur son corps.

Chez Thibaut se réunit la commission sur les traitements médicaux à laquelle participe le jeune Jérémie, 21 ans, étudiant en histoire, que la maladie affaiblit très rapidement avec saignement de nez, évanouissement et difficulté à respirer.

Pour accompagner la mort de Jérémie, les militants rejouent, selon ses dernières volontés, "la promenade des cadavres" des insurgés de 1848. Ils se souviennent aussi des récentes images télévisées de leur l’action à Notre-Dame de Paris à la Toussaint 1991 pour protester contre les positions de l'Église catholique opposée à l'usage du préservatif.

Le combat contre Melton Pharm continue. Invité lors d'une RH, il apparait vite que le groupe a décidé d’orchestrer une pénurie de traitements afin de faire parler de sa nouvelle molécule et d’amplifier l’effet d’annonce. Sophie les menace : "On va augmenter la pression et on obtiendra de toute façon les médicaments pour les gens qui en ont besoin."

1994. Thibault s'insurge contre l'image triste et les pauvres slogans d'Act-Up. Pour lui "Les pédés sont des cons, ils ne peuvent pas nous saquer. Et comme tous les ans, la gay pride va être laide, triste et pluvieuse". Heureusement les slogans fusent à l’instar du magistral "Des molécules pour qu’on s’encule !" et Sean mène un char de pom-pom girls d'un genre nouveau.

Sean est maintenant très affaibli par la maladie. Il a signé un texte hostile à Hélène, mère de Marco, jeune garçon hémophile contaminé par transfusion qui demande, au grand scandale des jeunes plus libertaires, l’emprisonnement des responsables de la contamination. Thibault reproche à Sean de s'en être pris à Hélène alors que c'est lui qui est visé pour se contenter trop facilement de son aura médiatique

1995. Sean, fatigué, participe à sa dernière gay pride aux cotés d'un gros camion décoré aux slogans de "Knowledge is power / Ignorance is misery" (le savoir est un pouvoir ; l’ignorance, une misère). Nathan vient le voir à l'hôpital et réussit à le masturber une dernière fois. Thibault vient le voir aussi mais ne parvient pas à calmer son hostilité envers lui.  Le soir Nathan rejoint la grande manifestation d'act-up a lieu dans les rues de Paris, croix et cercueils en bandoulière où Thibault, mégaphone à la main, demande à tous de venir rejoindre les rangs de l'association.

A bout, Sean est ramené dans le nouvel appartement que Nathan voulait pour eux. Nathan assiste à ses derniers instants avec la mère du jeune homme. La nuit, il lui injecte, en accord avec lui, la dose mortelle d'un produit. Lors de veillée funèbre avec la mère, tout le groupe se rassemble. On cherche ensemble un éloge funèbre en se moquant un peu du pompier "courageux" par lequel la mère de Sean qualifie son fils. On parle aussi de la part de cendre qui devra revenir à la mère et celle qui sera selon la volonté de Sean être utilisée pour un ZAP. Nathan demande à Thibault de revenir le soir passer la nuit avec lui.

En alternance avec les images du ZAP  organisé contre le congrès des assureurs, où les cendres de Sean sont dispersées sur les petits fours de la cérémonie, Nathan pleure dans les bras de Thibaut, la disparition de son amant.

Le film rappelle combien le peuple de gauche, souvent seulement sensibilisé à l'affaire du sang contaminé, est passé à côté de l'urgent combat des malades du Sida pour trouver au plus vite les moyens de survivre. Pour évoquer ce combat urgent et vital que menèrent les militants d'Act Up, le film possède un solide fond documentaire mais toujours mis en situation, recourt aussi à une très forte dimension symbolique.

Un solide fond documentaire

Le personnage de Nathan est probablement l'alter ego de Campillo. Par son intermédiaire, le spectateur est mis au courant des règles qu'ont mises au point la communauté joyeuse et inventive d'Act Up : les R.H., réunions hebdomadaires qui doivent être efficace et pour cela ne pas s'éterniser, des clac-clac avec les doigts au lieu d'applaudissements pour que l'orateur ne soit pas ralenti et puisse continuer de s'exprimer.

L’aspect documentaire décrit aussi le positionnement vis à vis de Aides, de l’Agence française de lutte contre le sida ou des assureurs. Certains ont le temps et d'autres pas ce qui n'entraine pas une adhésion aux mêmes types d'actions. Tous mesurent néanmoins les risques de l'affrontement, des contradictions mais souhaitent fuir la bien-pensance au profit d’une l'invention qui rime avec intelligence et vivacité, l'autodérision et un anticonformisme volontariste qui pousse ainsi Nathan à coucher avec Thibault le soir même de la mort de Sean.

Campillo condense différentes actions réelles dans une seule séquence. Ainsi la première action est le produit de deux interventions distinctes. En 1991, pendant un colloque intitulé «Homosexualités et sida», deux militants tentent, sans succès, de menotter Dominique Charvet, le directeur de l’AFLS, l’Agence française de lutte contre le sida. Un an plus tard, il y a l’action menée contre le docteur Bahman Habibi, le directeur médical et scientifique du CNTS, Centre national de transfusion sanguine, impliqué dans l’affaire du sang contaminé. Les militants l’ont traité d’«assassin», lui ont jeté du faux sang et l’ont menotté sur la scène de l’amphithéâtre de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière devant un parterre de 300 spécialistes scientifiques.

La terrible stratégie des laboratoires qui font passer leurs profits avant l’aide la plus urgente aux malades est ainsi condensée dans le détestable personnage de Gilberti, directeur de La multinationale Melton Pharm dont le siège serait à Boston. Inventée pour l'occasion, la multinationale vaut pour tous les laboratoires pharmaceutiques aux stratégies mercantiles. Ainsi, le laboratoire Roche en 1992 qui refuse de diffuser les résultats des essais de son anti-protéase ; le laboratoire Glaxo qui établit des restrictions d'accès à l'antirétroviral 3TC en 1995. En 1996, l'occupation de l'usine Abbott parallèlement à un lobbying auprès du Comité national d'éthique, contre la mise en place d'un tirage au sort et pour l'élargissement de l'accès compassionnel à l'antiprotéase Ritonavir aboutira à un succès. Le laboratoire Merck débute le 1er avril 1996, les octrois compassionnels du Ritonavir et de l'Indinavir, deux inhibiteurs de protéase, constituants majeurs des trithérapies. Il ne s'en serait sans doute pas fallu de beaucoup pour que le personnage de Sean gagne son combat contre la maladie

La capote rose géante, financée par la marque Benetton, enfilée sur l’obélisque de la place de la Concorde à Paris le 1er décembre 1993, lors de la journée mondiale contre le sida est évoquée par Thibault lorsqu'il rencontre Sean à l'hôpital. Il lui parle aussi d'un autre projet consistant à ensanglanter la Seine.

Les cendres de Sean, répandues lors d’un congrès d’assureurs, évoquent celles de Cleews Vellay, président d’Act Up-Paris de 1992 à 1994, lancées sur les petits fours d’un congrès de l’Union des assurances de Paris, discriminant les séropositifs.

Un film  sentimental et symbolique qui échappe au simple constat

En parallèle avec cet aspect documentaire, le film décrit l'histoire d'amour entre Nathan et Sean. Son l'évolution suit celle de la maladie de Sean avec vraisemblance et sensibilité. L'opposition entre les séronégatifs (Nathan, Thibaut, Sophie, Hélène) et les malades (Jeremy, Marco, Sean) trouve une expression subtile dans le détachement avec lequel Thibaut prend, chez lui, le temps d'arroser ses fleurs avant de participer aux travaux de la commission.

Pour rendre hommage à Sean, ses amis soulignent qu'il faisait de la politique au présent. Cette urgence d'être de son temps pourrait être un reproche à Campillo de ne nous donner qu'un film consensuel sur une époque révolue sans nous mettre en colère contre les scandales encore en cours, par exemple les médicaments trop chers pour lutter contre la maladie dans les pays du tiers monde. Pourtant Campillo revendique la perception individuelle de l'événement. Il ne manque jamais de relier par le montage alterné l'action collective au ressenti intime des personnages. Ainsi le premier ZAP qui ouvre le film est monté en alternance avec la RH ou chacun exprime comment il a vécu l'action. De même, le dernier ZAP contre les assureurs est monté en alternance avec le sentiment intime tragique de la disparition de Sean ressenti par Nathan dans les bras de Thibault.

Cette dimension intime de l'action est doublée d'une épaisseur symbolique qui la fait échapper aussi au strict cadre temporel historique. Ainsi, pour accompagner la mort de Jérémie, les militants rejouent, selon ses dernières volontés, "la promenade des cadavres" des insurgés de 1848. Ils se souviennent aussi des récentes images télévisées de leur l’action à Notre-Dame de Paris à la Toussaint 1991 pour protester contre les positions de l'Église catholique opposée à l'usage du préservatif. De même Sean rêve-t-il dans l'hôpital de l'une des actions qu'Act up avait envisagées sans la réaliser, ensanglanter la Seine. Le trucage numérique permet des plans fantomatiques de passants en silhouette contemplant depuis les ponts de Paris la Seine rouge sang. Puis des vues aériennes montrent le long ruban de sang qu'est devenu le fleuve, irriguant la France afin qu'elle se réveille de son aveuglement.

C'est ainsi toute une époque que parvient à réveiller le film par son intensité symbolique, notamment dans son image emblématique : l'énergie des danseurs sur la piste qui ne peuvent empêcher la poussière de s'élever au-dessus d'eux, se transformant en molécules et virus se multipliant et se contaminant. "120 BPM, le rythme naturel de la house et du cœur, la musique qui nous a fait tenir quand on n'y croyait plus." C’est ainsi que Didier Lestrade, cofondateur d’Act Up-Paris décrit l’importance de la house dans le combat mené par l’association dans les années 1990. Que l'image d'un sida envahissant revienne plusieurs fois sur ce déchainement d’énergie musicale dit aussi combien fut têtu l'espoir de ces hommes et femmes de continuer à jouir de la vie.

Jean-Luc Lacuve le 26/08/2017.