Le chant des oiseaux

2008

(El Cant dels ocells). Avec : Lluís Carbó, Lluís Serrat Batlle, Lluís Serrat (Les rois mages), Victòria Aragonés (L'ange), Montse Triola (Marie), Mark Peranson (Joseph). 1h38.

Prologue : un jeune poète à la table de Casanova parle de sa difficulté à écrire en montant assez haut sur l'échelle la poésie. Il vient de terminer une ode et en restera là.

Dans son château suisse, Casanova, fait le tri dans ses livres. Il remarque que Voltaire est déjà assez connu pour qu'un livre lui soit consacré et regrette de trop parler de littérature sans lui-même écrire. Il propose ainsi à son serviteur, Pompeu, de partir en voyage car l'écriture n'est pas en soi mais va se chercher devant soi. Casanova rit toujours de tout : de la beauté des textes de Montaigne, de ses propres velléités d'écriture, des machines qui vont révolutionner le monde, de ses amours ou de faire d'énormes étrons.

Et puis, un jour, le voyage s'entreprend vers le sud des Carpates. En charrette, Casanova et Pompeu traversent une forêt puis aboutissent, de nuit, devant une rivière. Les charretiers les ont escroqués et un passeur les fait traverser sur son radeau. Ils aboutissent ainsi dans une ferme. La fille de la maison, Carmen, demande à ses deux servantes, la blonde Clara et la brune Delfinas de couvrir sa virée nocturne dans la forêt.

Carmen erre en effet la nuit où elle subit l'appel de Dracula. En plein jour, au bord de la rivière, celui-ci lui promet bonheur pour elle et son père si elle et ses deux servantes l'accompagnent dans son château au fond de la forêt. Casanova et Pompeu s'amusent de l'innocence de Clara toujours prête à discuter ou jouer avec eux et subissent aussi le charme obscur de Delfinas. Casanova rit encore de pouvoir faire l'amour à Carmen mais un coup de rein trop violent lui fait briser de la tête la vitre derrière laquelle il maintenait la jeune femme. Casanova découvre que le père de Carmen est un alchimiste, capable de transformer la merde en or. Il en pleure.

Carmen accepte d'être mordue par Dracula qui la persuade alors d'humilier son père. Et c'est ainsi qu'elle s'en va le fouetter à mort dans la forêt. Casanova s'approche de Delfinas allongée sur son fauteuil et la déflore de ses mains aux multiples bagues. Un peu plus tard, Dracula, découvrant le sang rependu sur les cuisses de la jeune femme, la mord dans une étreinte de plaisir. Delfinas, devenue vampire, s'en va mordre Clara qui se laisse faire, tant elle est désespérée du rejet de Pompeu qui néglige ses avances. Elle hésite à mordre Pompeu et y résiste mais c'est Delfinas qui s'empare de lui. A peine l'a-t-elle mordu que Pompeu se suicide d'un coup de fusil. Les loups dévorent son cadavre. Casanova lui même, mordu sans doute par Delfinas, agonise.

LL'adoration des mages est un évènement considérable dans l'histoire chrétienne : non seulement la puissance et la richesse du monde s'agenouillent devant la pauvre humilité du sauveur mais, en rassemblant devant Marie et Jésus, moins d'un mois après sa naissance, des mages (rois, astrologues ou magiciens) venus des quatre coins du monde, l'épiphanie signe la reconnaissance universelle de l'Incarnation, de la divinité humaine du Christ. Dans la peinture, le thème est ainsi souvent traité avec une grande somptuosité.

Le fils du désert de John Ford ou Cuba si de Chris Marker avaient évoqué de façon métaphorique ce thème. Albert Serra choisit lui de prendre le contre-pied complet de la dimension solennelle. Il atteint pourtant par son dépouillement une incontestable dimension épique. Par le choix de ces acteurs, il réalise aussi une ode réjouissante à l'incarnation.

Le film par ses parti pris esthétiques affirmés relève aussi de l'installation vidéo. Ainsi du plan où les petites silhouettes des rois mages sont d'abord prises dans le brouillard qui se dissipe lentement pour faire apparaître une mer de glace ou de la contemplation dans une grotte d'un mur de pierres noires sans doutes précieuses (lapis-lazuli ?).

L'apparition de l'ange, dans une contre plongé lui assurant une solide assise terrestre aussi bien qu'une dimension spirituelle manifeste dans la part de ciel occupée par l'écran, vient apporter une première dimension lyrique au film. Elle se prolonge dans l'apparition de l'étoile et dans la fameuse scène de prosternation devant Marie, la seule emplie d'un commentaire musical.

A l'image des orientaux, les mages se prosternent devant l'Enfant. Dans la peinture, cette prosternation orientale sera vite remplacée par une génuflexion du premier roi, le plus âgé, qui baise le pied de Jésus, vrai enfant roi porté par sa mère.

On s'amusera ainsi de la contrepartie fort terrestre donnée à cet événement de la prosternation. L'enfant Jésus n'est jamais montré et l'agneau christique qui le symbolise est toujours tendrement gardé par Marie même s'il lui a fait pipi dessus.

De même les mages que l'on avait déjà vus ratiocinant sur le chemin à prendre se baignent-ils fort peu majestueusement dans une mare pleine de boue avant de reprendre une autre route que celle empruntée à l'allé (des forêts et de la pluie et non plus des sols arides et secs) pour échapper aux espions d'Hérode.

 

Jean-Luc Lacuve le 02/02/2009