Les hommes contre

1970

(Uomini Contro). D'après le roman d'Emilio Lussu. Avec : Mark Frechette (Lt. Sassu), Alain Cuny (Gen. Leone), Gian Maria Volonté (Lt. Ottolenghi), Giampiero Albertini (Capt. Abbati), Pier Paolo Capponi (Lt. Santini), Franco Graziosi (Maj. Malchiodi), Mario Feliciani (Médecin-Colonel), Alberto Mastino (Marrasi), Brunetto Del Vita (Col. Stringari), Antonio Pavan (Lt. Pavan). 1h45.

1916. Des combats opposent les troupes autrichiennes et italiennes pour le contrôle stratégique du Montefiore. Dans la nuit, un soldat, Marrasi, se présente les bras levés : il a la mauvaise surprise de tomber sur les hommes de son régiments qui ont bien compris qu'il essayait de se rendre aux troupes ennemies pour avoir la vie sauve. Mais, il faut battre ne retraite car les Autrichiens ont pris le contrôle de la position.

Plus bas dans la vallée, le lieutenant Sassu et son bataillon se présentent aux ordres du capitaine Abbati. Il emmène avec eux des déserteurs. Issu de la bourgeoisie, le lieutenant Sassu, jeune idéaliste, s'est convaincu à l'université du bien-fondé de l'entrée en guerre de l'Italie. Lorsque le conflit éclate, il est volontaire, persuadé de servir une juste cause. Abbati n'a plus aucune illusion et observe la retraite du général avec ironie.

Lors de la descente, une rafale de mitraillette décime un groupe d'éclaireurs. L'un d'eux ordonne de faire halte. Et le général donne l'ordre de fusiller celui qui a eu l'impudence d'arrêter la colonne. Le Lieutenant Ottolenghi refuse mais le général se montre inflexible. Le lieutenant se tire de cette situation en faisant tirer en l'air des soldats pendant qu'il ramène un corps mort sur un brancard que le général salue d'un "honorons nos morts". La descente est longue et le général impatient tombe de cheval sous le sourire moqueur de sa troupe. Pour atteindre la position tenue par Abatti, les troupes du général doivent traverser une plaine où elles sont chargées par une troupe autrichienne à cheval qui génère un terrible massacre dans les deux camps.

A peine arrivé, le général décide de repartir à l'assaut en tentant un contournement du Montefiore. "La retraite à déjà couté 3 000 morts cette manœuvre en coutera 5 000 de plus" commente Abbati. Ce qui se révèle exact : l'attaque de nuit est un échec.

Les Autrichiens ayant de solides positions en ayant creusés des tranchés, les italiens en font autant. Une interminable guerre de positions commence. Le général inspecte les différents bataillons. Dans celui du lieutenant Santini, il demande à inspecter les couteaux qui doivent être tenus entre les dents car le fusil doit se tenir à deux mains. Dans le bataillon Ottolenghi, c'est l'inscription "victoire" sur la baïonnette qu'il tente de faire lire à des soldats analphabètes.

Le major Malchiodi, commandant des différents bataillons et fidele zélateur du général ordonne que l'on aille cisailler les barbelés ennemis. Trois hommes sont envoyés en vain : abattus par les autrichiens sans avoir coupé le moindre fil. Le major décide d'envoyer Sassu dont Ottolenghi prend la défense. C'est Santini qui est envoyé. Sachant qu'il court à la mort, Santini finit par avancer sans se protéger et c'est debout qu'il subit la rafale de mitraillette autrichienne s'écrasant ensuite bras en croix dans les barbelés ainsi que le soldat qui l'avait suivi. Le général envoie ensuite un groupe d'hommes recouverts de la cuirasse Farina qui doit les rendre invincibles. Ce sont des hommes tâtonnants qui s'avancent devant les mitraillettes autrichiennes... qui les raflent sans coup férir.

La révolte gronde et deux bataillons se révoltent. Celui de Sassu et Ottolenghi aussi mais celui-ci convainc que les mutins qu'ils n'arriveront à rien et leur explique que ce n'est pas comme cela qu'il faut se révolter. Lorsque le colonel lui demande son aide pour venir à bout des mutins, Ottolenghi refuse. Sassu reproche à Ottolenghi son attitude subversive qui risque de mener à la défaite. Ottolenghi lui fait part de ses projets de détruire l'ordre militaire jusqu'au Haut Commandement et de renverser le gouvernement pour imposer l'idéal socialiste. La répression est terrible : le commandement suprême ordonne la décimation.

Les offensives se succèdent : à travers l'enchevêtrement des barbelés, pour reprendre la position, les hommes doivent se frayer un passage sous le feu ennemi. Lors d'un assaut particulièrement sanglant, les Autrichiens eux-mêmes supplient les Italiens de battre en retraite, tant ils sont écœurés de devoir les supprimer par centaines, comme des bêtes d'abattoir. Ottolenghi hurle à ses hommes que le véritable ennemi n'est pas devant, mais derrière eux : leur propre général. Il est abattu par une rafale de mitraillette. Sassu emmène Leone devant la meurtrière 14 de la tranchée en espérant qu'il sera fauché par la balle d'un tireur délite autrichien, en vain.

Sassu rend visite au capitaine Abbati à l'hôpital. Des blessés volontaires sont envoyés au conseil de guerre. Sourd au discours off du roi et des généraux pour qui la guerre, l'épreuve du feu est nécessaire à la jeune nation italienne

Pour l'état-major, il n'y a plus qu'une solution pour l'emporter : l'artillerie. Leone fait ouvrir le feu, mais le tir des canons trop court, atteint les positions italiennes. On ajuste le tir; pendant ce temps, la compagnie de Sassu se repose un instant. Cette attitude est interprétée comme une mutinerie par Le major Malchiodi. Sassu refuse de procéder à une décimation immédiate. Le major tire sur ses soldats, il est abattu par le bataillon qu'il avait constitué pour tire des hommes désignés pour l'exemple.

Le général a convoqué Sassu. Il interprète le fait qu'il n'ait jamais été blessé comme un signe de lâcheté et, pire encore, de timidité et réussit à lui faire avouer qu'il n'aime pas la guerre. Sassu accepte d'être tenu pour seul responsable de l'exécution de Malchiodi. Il est fusillé à l'abri des regards dans une carrière à ciel ouvert.

Le film est majoritairement composé de scènes de batailles ordonnées par un général fanatique et inhumain, Leone, campé par un hallucinant Alain Cuny au visage ingrat et tourmenté qui évoque sans doute le chef des armées italienne, Luigi Cadorna, symbole de la défaite de Caporetto qui sera remplacé par Diaz en 1917. Emilio Lussu, l'auteur sarde du roman a mis beaucoup de lui dans le lieutenant Sassu, universitaire interventionniste bientôt dégouté du manque d'objectifs stratégiques et politiques de l'état-major au profit de l'exaltation de la guerre.

Le général Leone voudrait des hommes capables de coups de mains comme les Arditi, ces volontaires italiens qui combattirent dans les Ardennes avec des méthodes proches de celles montrées au début de Capitaine Conan. Son exaltation de la baïonnette et des opérations au couteau vient de là alors que la séquence sur les armures Farina marque sa volonté de transformer les hommes en légionnaires romains selon la propagande de Mussolini pour un homme nouveau et prémisse du fascisme avec son mépris pour la paix. Le lieutenant Ottolenghi est un socialiste dans la mouvance de Gramsci qui espère que l'échec de la guerre montrera l'incurie du pouvoir et conduira à la révolution.

Cet espoir s'ecroule devant l'assaut tellement sanglant que les Autrichiens eux-mêmes supplient les Italiens de battre en retraite, tant ils sont écœurés de devoir les supprimer par centaines, comme des bêtes d’abattoir. Le lieutenant Ottolenghi ne peut alors que lâcher le message principal du film en hurlant que le véritable ennemi n’est pas devant, mais derrière eux : leur propre général. La scène où Sassu emmène Leone devant une meurtrière de la tranchée, en espérant qu'il sera fauché par la balle d’un soldat ennemi, poursuit cette même thématique mais sur un registre à la fois drôle et atroce. C'est une guerre de l’intérieur : une guerre où l’ennemi parle la même langue que vous, mais ne vient pas du même milieu; une guerre sale et sans espoir, puisque comme dans Les sentiers de la gloire (Kubrick, 1957) ce sont toujours les mêmes qui meurent et toujours les mêmes qui collectionnent les médailles.

Jean-Luc Lacuve le 20/04/2014, après l'intervention de Jean Yves Frétigné, maître de conférences en histoire contemporaine lors de la soirée organisée par L'affiche Italienne au cinéma Lux.