Madame de...

1953

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Avec : Danielle Darrieux (Madame de...), Charles Boyer (Le général), Vittorio De Sica (Le baron Donati), Mireille Pewley, Jean Debucourt. 1h40.

Paris, 1900. Pressée par une dette de jeu, Madame de.... coquette et frivole femme d'un général attaché au ministère de la Guerre, vend en secret des boucles d'oreilles offertes par son mari. Quelques jours plus tard au cours d'une soirée à l'Opéra, elle fait mine de les avoir perdues. Le général les fait chercher partout et déclenche un petit scandale. Informé de l'affaire par les journaux, le bijoutier va trouver le général et lui raconte tout. Ce dernier rachète les boucles d'oreilles et les offre à une maîtresse, en cadeau de rupture. Arrivée à Constantinople, cette dernière vend le bijou au baron Donati, lequel, nommé ambassadeur à Paris, s'éprend de Madame de... et lui offre les boucles d'oreilles.

Madame de..., pour une fois se sent sérieusement amoureuse. Elle essaie d'oublier cet amour en voyageant. Peine perdue. Le baron lui écrit sans cesse et finit par la revoir. Elle s'empêtre dans des mensonges pour faire croire à son mari qu'elle a retrouvé les boucles et expliquer au baron comment son mari accepte qu'elle les porte. Les deux hommes s'expliquent. Le baron dit à Madame de... qu'il ne peut plus la revoir. Le général oblige sa femme à donner les bijoux à une nièce qui vient d'être mère. Celle-ci les revend et Madame de... les rachète, les considérant maintenant comme des reliques.

Elle s'abîme dans le silence et la maladie. Le général ne peut l'en sortir. "Le malheur s'invente" s'écrit-il. Furieux, il provoque le baron en duel au pistolet et le tue. Madame de.., qui avait donné en offrande les bijoux à la Vierge pour sauver le baron, meurt en devinant l'issue du combat.

Le film est constitué de quatre parties à l'intensité dramatique croissante.

L'unité de la première partie (la frivolité) est donnée par l'omniprésence des boucles d'oreilles. Elles sont, soit montrées, soit objet principal de la conversation des personnages dans onze scènes 1: Les préparatifs matinaux pour la vente, 2: La prière frivole pour la vente, 3: la vente, 4: La déclaration de perte au théâtre déclaration de perte, la recherche dans le carrosse, le gag des portes, la recherche à la maison, le mari susceptible , 5: La 1ère revente au mari du bijoutier, 6: le cadeau d'adieu à la maîtresse, 7: le coucher des époux, 8: le débarquement à Istanbul, 9: La perte des bijoux au jeu, 10 la mise en vente en Turquie, 11: le baron Donnati passe en douane avec les bijoux.

La scène du passage en douane indique bien la volonté d'Ophuls de toujours parler de ces boucles : en commençant son plan séquence par ces boucles, il confère à cette scène explicative une valeur symbolique qui en serait dépourvue autrement. Les bijoux symbolisent les échanges superficiels de la société. A noter aussi la séquence d'ouverture constituée de quatre plans qui saisie Madame de.. chez elle. Elle débute par un plan séquence de 2mn25, cadrant d'abord la main de Madame de... qui insecte bijoux et vêtements, puis, élargissement le champ par un recadrage à partir de son visage reflété par le miroir, saisit ensuite son cheminement vers la porte. Le second plan intègre une descente d'escalier avec un franchissement de porte, saisit au travers d'une vitre.

Les trois parties suivantes laisseront les bijoux à l'arrière plan pour développer le thème de la passion amoureuse. Dans la première scène, entre Le baron et Madame de.., il n'est plus question des bijoux. Lors de leur réapparition, ils auront changer de sens. Deux magnifiques plan séquences marquent cette partie : dans la chambre de Madame De.., et celui où elle monte les escaliers chez le bijoutier.

La seconde partie (le libertinage) est marquée par les scènes en fondu enchaîné des bals de plus en plus rapprochés dans lesquels se retrouvent les amants. Le dernier bal est l'occasion d'un panoramique qui préfigure la tragédie en isolant les amants.

La troisième partie qui décrit la passion amoureuse est l'occasion d'une scène où les petits mots déchirés se transforment en flocons de neige. Les rares extérieurs en Italie sont très efficaces, de même que le retour dans une calèche. La dernière partie débute par un magistral plan séquence partant du carton d'invitation pour finir par la valse des amants qui sera l'occasion du mensonge fatal.

Cette histoire d'un bijou, d'un mensonge et d'une passion est sans doute l'oeuvre la plus achevée de Ophuls pour l'équilibre qu'on y trouve entre le classicisme secret du cinéaste (goût pour les intrigues construites et bouclées, retenue et pudeur, sens de la litote) et baroquisme évident. C'est aussi le film d'Ophuls où les partis pris de mise en scène épousent le plus naturellement les idées et la vision du monde de l'auteur. Ophuls haïssait le plan fixe comme contraire à la vie et à la réalité et ce film n'en comporte pratiquement pas. Le mouvement qui anime chacune des séquences et l'ensemble de l'oeuvre contient en lui même la réponse que pose constamment l'univers de Ophuls : qu'est ce que la frivolité ? Qu'est ce que la gravité ? Ce mouvement les transforme l'une en l'autre comme il transforme les personnages à chaque instant de leur vie. C'est dans ce mouvement incessant mais qui jamais ne revient en arrière des corps, des impressions, des sentiments, des passions qu'Ophuls a vu la vérité, à la fois superficielle et tragique, de la condition humaine. Intrigue parfaite dans ses circonvolutions et sa netteté, dialogues ironiques et simples, d'une extrême qualité littéraire (adaptation du roman de Louise de Vilmorin), acteurs sensibles et raffinés, photo superbement contrastée, décors au foisonnement débouchant sur l'abstrait : jamais autant qu'ici Ophuls n'a dominé sa matière et livré un récit complètement détaché de lui et qui est en même temps une confession intime.

Jacques Lourcelles, Dictionnaire des films