Un soupçon d'amour

2020

Genre : Mélodrame

Avec : Marianne Basler (Geneviève Garland), Fabienne Babe (Isabelle Barflot), Jean-Philippe Puymartin (André Garland), Ferdinand Leclere (Jérôme Garland), Pierre Sénélas (Pierre), Frédéric Pieretti (Jérôme 2), Astrid Adverbe (Angélique). 1h32. .

Geneviève Garland, une célèbre comédienne, répète Andromaque de Racine, avec pour partenaire, son mari André. Pierre, le metteur en scène leur fait répéter la scène 4 de l'acte 1 quand après la tirade d'Andromaque à Pyrrhus "Non, non, d'un ennemi respecter la misère, Sauver des malheureux, rendre un fils à sa mère, De cent peuples pour lui combattre la rigueur", Geneviève s'effondre. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et souhaite que le rôle soit confié à Isabelle, une amie de Pierre qui est aussi la maîtresse de son époux. 

Geneviève et André dînent chez eux le soir et Geneviève réaffirme sa volonté d'abandonner le rôle. André la laisse aller dire bonne nuit à leur fils, Jérôme, souhaitant qu'elle n'y passe pas la nuit. Jérôme a une douzaine d'années et aime lire des romans et interroger sa mère sur le sens des mots. Le lendemain matin, il est triste qu'elle ne l'accompagne pas à l'école.

Comme elle avait promis à Jérôme de l'accompagner voir jouer son père, ils le voient avec Isabelle répétant la scène 6 de l'acte III "Ah ! Seigneur, arrêtez ! Que prétendez-vous faire ? ; Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère. Vos serments m'ont tantôt juré tant d'amitié ! Dieux ! Ne pourrai-je au moins toucher votre pitié ? Sans espoir de pardon m'avez-vous condamnée ?". Elle est émue mais plus encore inquiete quand elle ne sent plus la présence de Jérôme, qui lui répond pourtant enfin et lui dit toute l'admiration qu'il a pour elle.

Une fête est organisée pour la première de la pièce. Isabelle chante "Triste ou gaie" dans un numéro musical qui ressemble à celui de Lola (Jacques Demy), elle est bientôt rejointe par Geneviève. Tous les invités dansent mais quand un vieil homme, l'organisateur de la tournée, serre de trop près Isabelle, André se révolte. Geneviève lui dit que son hypocrisie est révélée et qu'elle ne s'inquiétera pas de savoir où il est cette nuit, le sachant avec Isabelle. André rétorque qu’il n’inquiètera pas non plus la sachant avec Jérôme. Réponse qu'elle prend comme un coup bas.

Le lendemain matin quand André la rejoint sur la terrasse de leur maison et lui réitère son amour, elle lui dit avoir décidé de partir avec Jérôme. Elle partira, en voiture, sans lui dire où.

Geneviève trouve refuge dans le village de son enfance. Jérôme l'aide à répéter et joue de la guitare dans le jardin. Mais elle est inquiète de sa toux et va chercher des médicaments au village. Elle rencontre aussi son ancien amoureux, Jérôme, qui a suivi sa carrière et aime à croire qu'elle a prénommé son fils en mémoire de lui. Il est maintenant prêtre et ils évoquent le passé. Elle rencontre aussi Angélique, une autre amie d'enfance devenue institutrice. Isabelle vient lui rendre visite et la supplie de revenir auprès de son mari, elle n'est qu'une distraction qui ne demande qu'à se retirer.

Geneviève revient dans sa maison mais est excédée que Jérôme tarde à sortir de la voiture et s'emporte face à l'indifférence dont son père fait preuve à son égard. André est heureux de revoir sa femme et souhaite seulement qu'elle passe moins de temps avec Jérôme. Geneviève y consent lui faisant remarquer qu'il a néanmoins toujours besoin d'attention et que, d'ailleurs, il arrive pour le voir. André lui déclare alors que, depuis des années, Jérôme est mort. Geneviève s'enfuit, horrifiée.

Un soupçon d'amour repose sur un twist équivalant à celui du Sixième sens. Comme dans celui-ci, le fait de revoir le film en le sachant est plus émouvant. Jérôme n'apparaît en effet qu'aux yeux de sa mère qui fait tout pour maintenir ce souvenir qui la réconforte mais qui l'éloigne de son mari. Comme le remarque Isabelle, "ils sont ensemble sur scène mais, à la maison, elle est constamment ailleurs".

Les quelques indices du générique, la double dédicace, à Sonia Saviange, nom de scène de Christine Vecchiali qui a tourné dans de nombreux films de son frère, et à Douglas Sirk, ne s'expliquent qu'à la fin. Le générique se clôt en effet sur ces deux phrases : "A la mémoire de Leone, ma compagne, et de Marie-Christine, l'enfant qu'elle portait dans son ventre, tuées accidentellement sur les rochers d'Île-rousse le 23 août 1955. A la mémoire de Michel, le fils de Sonia Saviange qui n'a vécu que six heures". Un soupçon d'amour est donc un film très personnel sans doute autant que Le temps d'aimer, le temps de mourir l'était pour Douglas Sirk qui dans ce film revenait sur l'engagement du fils de son premier mariage poussé dans l'armée allemande par sa mère.

Le thème de la mort de l'enfant est ainsi traité de bout en bout. Jérôme y apparaît dans des intérieurs de chambres quasi mortuaires, entourées de rideaux ou devant ceux-ci, ou alors, en plein jour dans la lumière magnifiée du Sud-est. Particulièrement remarquable, la scène où il apparaît dans le dos de Geneviève, dans son subconscient, avant de la dépasser pour dire qu'il va à l'école. Geneviève refuse alors de l'accompagner sous prétexte qu'il est trop grand mais en fait parce qu'il est irréel. De même, belle scène où ils regardent ensemble André répéter Andromaque et où n'apparaît à l'écran que par sa voix et inquiète sa mère lorsqu'il ne lui répond pas. Ce sera le même stratagème dans l'avant-dernière séquence où Geneviève fait longuement le tour de la voiture, où elle imagine être Jérôme, en se plaignant longuement du manque de retour d'amour de son fils.

Jean-Luc Lacuve, le 6 février 2023.