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Voix off sur les plans de la maison familiale : "Lorsque le professeur demanda aux élèves d'écrire une rédaction où le narrateur serait un objet, Nora choisit sans hésiter sa maison : celle-ci devait voir le ventre qui grouillait quand, elle et sa sœur descendaient les escaliers. Que pensait-elle quand elle les voyait par ses soupirails partir à l'école ? Préférait-elle être pleine de bruit, celles des disputes des parents ou être allégée une fois que le père était parti, les laissant être élévées par leur mère?... Cette rédaction, bien notée, fut retrouvée plus tard par Nora qui envisagea un moment d'en faire son texte pour entrer à l'école d'art dramatique. Elle y renonça, le trouvant un peu trop sec, et elle choisit finalement La Mouette de Tchekhov".
Nora tient le rôle principal dans une pièce montée par le théâtre national d'Oslo. Le trac l'oppresse au point de rester enfermée dans sa loge de laquelle le directeur du théâtre finit par l'en faire sortir; mais il suffit d'un geste exaspérée de la régisseuse pour qu'elle fuit entraînant son partenaire, Jakob, pour exiger qu'il lui fasse l'amour ou, faute de temps, la gifle. Mais rien n'y fait et elle fonce de nouveau dans la loge, interrompant quelques minutes l'introduction du spectacle pour que l'on recouse sa robe trop serrée. Finalement, elle entre sur scène et triomphe.
Quelques jours plus tard, Nora et sa sœur, Agnès, organisent la réception des proches qui suit l'inhumation de leur mère, Sissel, décédée après un cancer. Agnès est mariée à Sam avec lequel elle à un enfant de neuf ans, Erik qui adore sa tante. Nora fait ainsi visiter la demeure familiale à Erik et lui révèle qu'enfant elle écoutait les consultations de sa mère, psychologue, au travers du poêle à charbon qui remontait dans sa chambre. C'est à travers ce poêle qu'elle entend son père, Gustav, arrivé subrepticement et dont Agnès lui confirme qu'elle l'a invité. A la fin de la réception, Gustav demande à Nora de pouvoir lui parler prochainement car il a quelque chose à lui demander.
Le lendemain, Nora discute avec sa sœur, Agnès qui a rangé une bonne partie de la maison et qui l'engage à faire le partage. Agnès l'informe aussi que la maison appartient à leur père et qu'elle souhaiterait savoir ses intentions. Nora s'amuse de la voir craindre de déplaire à son père mais s'enfuit paniquée avec un un vase quand son père approche de la maison, étonné de n'y voir qu'Agnès.
Cette maison, reprend la voix off, fut habitée par de nombreuses générations : l'arrière grand-père y mourut dans la même chambre où la grand- mère donna naissance à la mère de Gustav, Karin. Celle-ci fut arrêtée par la Gestapo en 1942 pour être internée deux ans dans un camp. Quand Gustav avait sept ans, elle se suicida dans cette maison. Le père emmena son fils en Suède, laissant la maison à sa sœur qui invita Gustav tous les étés et qui revint vivre dans la maison à la mort de sa tante pour y vivre avec Sissel avant de divorcer.
L'après-midi, Nora vient à l'entretien proposé par son père dans un café. Elle lui reproche de ne jamais la voir jouer et de mépriser la série à succès dont elle tient le premier rôle. Gustav acquiesce : il déteste voir du théâtre et trouve les séries pas assez visuelles en ne s'attardant pas sur les visages. Gustav est venu au contraire lui proposer le premier rôle d'un film dont il l'enjoint à lire le scénario.Mais Nora refuse estimant ne pas pouvoir travailler avec son père alors qu'elle est incapable de lui parler.
Deux enfants dans un champ sont poursuivis par des soldats allemands. La fille, plus rapide, tente d'aider son jeune frère à la suivre mais elle parvient seule à grimper dans le train qui démarre alors que son frère est arrêté. Dans le compartiment où elle s'est réfugiée, elle n'entend plus que le bruit des roues avant que son visage, saisi en gros plan, ne laisse couler ses larmes. C'est le dernier plan du film, montré au 50° Festival du cinéma américain de Deauville de 2024 en la présence de Gustav Borg. Il est à la fois fêté mais aussi interrogé sur son absence de réalisation depuis quinze ans, que celui-ci explique en partie par son désir de tourner en famille.
Alors que Gustav se promène sur les planches de Deauville, il est abordé par l'organisateur de sa rétrospective qui lui annonce que la star hollywoodienne Rachel Kemp a adoré son film et qu'elle souhaite lui parler. Gustave franchit la barrière de son entourage et se laisse entraîner par Rachel dans une nuit d'ivresse et de promesses de films sur la plage la faisant au petit matin au soin d'un cavalier qui la raccompagne à cheval vers son hôtel.
Nora et Agnes voient arriver Rachel Kemp dans la maison familiale et celle-ci répète avec professionnalisme le scénario de Gustav, celui-ci allant jusqu'à lui faire croire que le tabouret Ikea sur lequel elle est assise servi au suicide de sa mère. Pendant ce temps, Nora a des difficultés avec la nouvelle pièce et ses amours avec Jakob qui refuse de s'engager avec elle alors qu'il est pourtant sur le point de divorcer. Rachel Kemp, après voir vu Nora, est convaincue que le rôle est pour celle-ci.
Gustav veut que Erik joue son rôle lorsqu'il était enfant dans son film mais Agnes refuse expliquant n'avoir pas à subir les montagnes russes d'émotions fusionnelles lors des tournages suivies de distance absolue ensuite. La nuit, Rachel annonce à Gustav qu'elle renonce au rôle qui était pour sa fille. Celui-ci reconnaît le bien fondé de son affirmation mais boit trop et est retrouvé effondré au petit matin. Agnes, qui a lu le scénario laissé par son père, convainc Nora de le lire notamment le passage sur le désespoir absolu de ne pas trouver sa place.
Les deux sœurs vont voir leur père à l'hôpital qui se rétablit bientôt. La maison familiale est vendue, probablement pour faire le film car celui-ci tourne avec une fin plus ouverte que dans le scénario.
Valeur sentimentale est une réflexion sur le métier de réalisateur au travers du personnage de Gustav; pourquoi fait-on un film et avec qui ? Gustav tente de comprendre ce qui a pu pousser sa mère au suicide, suicide qui menace aujourd'hui sa fille. Il fait l'hypothèse qu'elle ne trouve pas sa place et refuse d'affronter cette névrose. La maison familiale est-elle la clé de ces problèmes ?
La clé de la maison ?
Longtemps, on croit que la maison est l'espace adéquat pour trouver sa place. Magnifique, revêtue de bois et d'une peinture rouge automnal, elle est longuement auscultée au moment du générique puis fait l'objet d'une personnification via le rédaction écrite par Nora lorsqu'elle était enfant. Plus tard, la même voix off raconte l'histoire de ses occupants depuis l'arrière grand-père de Gustav, jusqu'à la naissance de sa mère et l'arrestation dont elle fut victime par la Gestapo et son suicide dix ans plus tard ainsi que la façon dont la tante de Gustav occupa la maison avec sa compagne avant que Gustav revienne y vivre, soit frappé d'insomnie, et rencontre sa femme.
Même la faille qui traverse la maison et qui menace de la voir s'effondrer pourrait être une métaphore de la famille fracturée de Nora, lorsque le père s'en va.
Mais si la maison est bien un personnage central du film, elle n'est pas le lieu obligatoire de l'épanouissement. Elle finira par être vendue pour, toute blanche et toute ruisselante de marbre et de modernité glacée, trouver un nouvel acquéreur. L'argent de la vente servant alors probablement à financer le film.
C'est ainsi dans un espace sur fond bleu, ouvert à tout arrière-plan, que se joue la scène finale où chacun (Gustave, son producteur et son chef opérateur, Erik le petit fils) et chacune (Nora et Agnès qui veille sur son fils) trouvent leur place.
Trouver sa place
On peut regretter que le film dans le film ne soit que rarement mis en scène, à la fin donc mais aussi dans un court extrait de son scénario prononcé une fois par Rachel Kemp et une fois par Nora sur l'insistance de sa sœur.
Dans cet extrait, c'est à trouver sa place, qu’exhorte le père. Ce chemin passe d'après lui pour sa fille par admettre que l'on est désespéré au point de prier Dieu, non parce que l'on croit mais que c'est la seule manière de reconnaître un désespoir infini. Nora n'ayant jamais admis le départ du père.
C’est la sœur cadette qui creuse de son côté le personnage de sa grand- mère, Karin, qui n’a pu trouver sa place dans une société norvégienne gangrenée par la collaboration avec les nazis ; Karin ne supportant pas d’avoir été dénoncée par ses voisins. Le film élargit ainsi vers le collectif la névrose individuelle du desespoir à trouver sa place. Les photographies des tortures allant au-delà du cas de Karin.
Gustav a écrit ce scénario pour comprendre sa fille; il a pressenti qu'elle avait fait une tentative de suicide et s'interroge par là-même sur le suicide de sa mère. Il fait le film pour approcher au plus près ce qui lui a échappé et lui échappe encore. Ainsi, malgré tout son investissement, Rachel Kemp ne peut trouver la réponse attendue. Celle-ci n'est pas définitive puisqu'en rejouant la scène du suicide (modernisée : Erik oublie son téléphone et non le drapeau norvégien) Gustav laisse la porte ouverte à sa non-réalisation. Le film se continue en effet au-delà du plan-séquence prévu se terminant sur la porte fermée par la saisie du visage de Nora.
La maison-cinéma
Le tournage ou peut-être plus précisément les répétitions qui le précèdent, sont ainsi propices à la recherche d'une vérité possible. La concentration doit y être maximum même si non dépourvu d'artifice (le tabouret Ikea) si possible dans un cadre amical (producteur, chef opérateur) voir familial... et sans Netflix qui ne permet pas une sortie en salle.
Joaquim Trier revendique par ailleurs sa filiation avec Ingmar Bergman, à Sonate d'automne où une mère comédienne reconnue tente de renouer avec sa fille et à Persona avec la fusion de l'infirmière et de sa patiente dans un morphing artisanal ici rejoué numériquement avec la fusion des deux filles avec leur père sur fond noir.
Jean-Luc lacuve, le 30 août 2025.