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L'homme de Londres

2007

Voir : Photogrammes des débuts et fins des 28 plans du film
Genre : Film noir

(The man from London). Coréalisé avec Ágnes Hranitzky. D'après le roman de Georges Simenon. Avec : Miroslav Krobot (Maloin), Tilda Swinton (Camélia, sa femme), Ági Szirtes (Mrs. Brown), János Derzsi (Brown), Erika Bók (Henriette, sa fille), Gyula Pauer (Tapster), István Lénárt (L'inspecteur Morrison), Kati Lázár (L'épicière). 2h19 (2h10 en vidéo).

Le film est raconté ici à partir de ses vingt-huit plans-séquences après le générique. (1'05, sur DVD)

1 - Un bateau à quai. Depuis une tour qui contrôle l'arrivée des bateaux et le départ des trains, un homme observe deux passagers restés à discuter sur le ponton du navire. Leur conciliabule indique que le gros homme devra attendre un peu avant de lancer quelque chose. L'homme mince débarque du bateau. Sur le bateau, le gros homme lance une valise que récupère l'homme mince sur le quai de gauche. Le gros homme débarque à son tour. Le train démarre et passe à droite de la tour, laissant les rails vides, éclairés par une lampe. (13' 25).

2 - Plus tard dans la nuit, Maloin est aux commandes de l'aiguillage à droite de la tour. Deux hommes se disputent au bout du quoi sur la gauche : le plus mince fait tomber le plus gros à l'eau avec le sac. Rien ne remonte, ni l'homme ni le sac. L'homme mince disparaît sur la gauche de la tour. Maloin le regarde pénétrer dans le café du port. (18'20).

3 - Maloin descend l'échelle et s'en va repêcher la valise jetée du bateau et tombée à l'eau après la dispute. Il revient vers la tour. (22'05).

4 - La valise s'ouvre, elle contient des billets de banques. Maloin va les sécher sur le poêle. (26'20).

5 - La ville, la nuit. (27'20).

6 - Il est 6h00, Maloin quitte la tour et se dirige vers le bar du port. Il dépasse un homme et rentre dans le bar. L'homme reste à la porte et regarde au travers de la vitre. (28'55).

7 - Au comptoir, Maloin fait signe au barman qu'il est prêt à jouer aux échecs en misant un peu d'argent. Un vieux marin mange sa soupe. (33'20).

8 - En rentrant chez lui, Maloin voit sa fille, Henriette, en minijupe, faire le sol du magasin. Un enfant joue dans la rue. Passe, l'homme mince qui semble le suivre. (36'20).

9 - Maloin est arrivé chez lui. En mangeant, il interroge sa femme sur le travail de sa fille. Elle espère qu'elle travaillera bientôt à la pharmacie. Maloin va se coucher alors que le soleil inonde la pièce. Maloin enlève ses chaussures. Sa femme vient fermer les contrevents. Noir. (41'10).

10 - Au milieu de la nuit, Maloin se réveille, va à sa fenêtre et observe en bas de la rue sous le réverbère, l'homme mince qui surveille sa maison. (43'55).

11 - Le soir, Maloin hurle après sa fille qui ne mange pas assez vite sa soupe. Sa femme lui reproche son emportement ce qui l'accroît encore. Il sort. La fille mange sa soupe. (46'40).

12 - La tour au premier plan et la ville à l'arrière-plan. Plan immobile avec le même tic-tac mécanique que le précédent. (47'25).

13 - Brown, dans une barque, recherche le cadavre et le sac dans le port. Il accoste au quai, passe sous la fenêtre de Maloin et le regarde. Celui-ci, qui l'observait, s'énerve sur les manettes d'aiguillages. (52'30).

14 - Au bar, deux boules de billards s'entrechoquent. L'inspecteur, invisible, dit à un interlocuteur tout aussi invisible qu'il est venu pout l'affaire Mitchell. Celui-ci s'était décidé le samedi précédent à vendre son théâtre. L'acheteur avait payé une avance de 60 000 livres en liquide que Mitchell avait gardé dans son coffre. L'inspecteur anglais accuse M. Brown d'être passé par la fenêtre de son bureau ce que seul un acrobate comme lui, employé de Mitchell, pouvait faire. Mitchell avait immédiatement téléphoné à l'inspecteur pour qu'il retrouve l'argent. L'identité du coupable et son arrestation lui importe peu, il est même prêt à le dédommager avec les recettes de deux samedis. L'inspecteur a promis à son ami de l'aider. Il savait trouver Brown en France et pense qu'il va accepter le marché sauf s'il subit la mauvaise influence de son associé Teddy. Brown demande à passer dans sa chambre. La caméra recule et le plan découvre Maloin qui écoute puis Brown qui s'enfuit. La caméra recadre deux têtes. Fondu au noir. 1'01'40.

15 - Maloin, chez lui, prend ses clés et de l'argent dans une boite. Le miroir le cadre alors. Il s'en va et la caméra reste sur les grandes vitres du salon. 1'04'20

16 - Maloin marche le long du port. 1'06'30.

17 - Maloin va chercher sa fille chez l'épicière et veut la faire quitter sa place. L'épicière menace d'appeler la police et de porter plainte si Henriette quitte sa place avant la fin de la semaine. Maloin est intraitable et emmène sa fille. Le garçon boucher frappe mécaniquement la viande de son hachoir. 1'09'50.

18 - Ventilo. Au bar, Maloin, qui a une nouvelle et belle pipe, boit un verre avec sa fille. Le patron essaie d'obtenir les faveurs d'une prostituée contre quelques verres. Il lui raconte la fuite de son client anglais, l'homme de Londres, parti sans payer. Ensuite l'inspecteur anglais a lancé la police à ses trousses. Maloin et sa fille quittent le bar. Des vieux marins jonglent avec une balle et une chaise pendant qu'une femme joue de l'accordéon. 1'17'05.

19 - Deux marchands de fourrure ventent leurs produits et surtout l'étole de vison que Maloin va acheter pour sa fille qui l'avait remarquée sur la prostituée du bar. Alors que Maloin paye les 456 francs dus. Par la fenêtre, on voit l'inspecteur anglais et un policier sur le port puis Maloin avec sa fille s'éloignant tout en mettant d'accord sur le fait qu'elle ne portera son étole que le dimanche. 1'21'15.

20 - Rentré chez lui, Maloin se fait engueuler par sa femme pour avoir fait scandale chez la patronne de sa fille et pour avoir dépenser sans compter pour l'étole de vison. 1'24'35.

21 - Les pieds de Maloin, son visage. Il regarde le policier anglais sur le bateau qui discute avec un gendarme. Celui-ci fait jeter une bouée sur le quai à gauche comme Teddy avait balancé la valise d'argent. Le policier anglais descend, le plan reprend les travées de chemins de fer sous la tour éclairée par la lampe puis s'élève pour révéler la ville. Maloin qui regardait vers le port revient vers le quai où la bouée a été lancée et voit au travers des petites fenêtres le policier anglais qui l'observe et se dirige vers sa tour. Maloin rallume le feu et fait réchauffer son café dans la grande casserole. 1'34'20.

22 - Le policier anglais, l'inspecteur Morrison, vient interroger Maloin. Le café a dégagé de la buée qui recouvre les vitres et empêche de voir le quai. Maloin peut ainsi déclarer n'avoir rien vu de spécial ces dernières nuits et notamment la nuit dernière. (Le policier anglais semble ignorer la nuit exacte d'arrivée de M. Brown arrivé l'avant-veille). Le corps de Teddy est repêché dans l'eau du port et ramené sur un brancard sous la direction du médecin légiste. Fondu au noir. 1'39'30

23 - Dans le bar, Maloin boit un verre. Le policier anglais a convoqué Madame Brown. Il lui explique qu'il soupçonne son mari d'avoir cambriolé son patron, Mitchell et d'avoir tué son associé, Teddy. Il souhaite que Mme Brown trouve son mari pour un arrangement à l'amiable avant qu'il ne soit accusé de meurtre. Une indemnité vaudrait beaucoup mieux que sa situation actuelle d'homme traqué. Mme Brown pleure. 1'46'55.

24 - Le phare du port, Maloin le regarde depuis sa fenêtre. Henriette vient lui annoncer qu'il y a quelqu'un dans la cabane. Elle a vu un homme et l'a enfermé. Maloin ordonne à sa fille de ne rien dire et emmène des provisions dans un filet. 1'50'15.

25 - Maloin se rend vers la cabane, ouvre le cadenas et pénètre à l'intérieur. La caméra reste sur la porte fermée. Maloin en sort hagard, les bras ballants. Il referme la porte avec le cadenas. 1'54'25.

26 - L'inspecteur prend son petit-déjeuner. Maloin se rend, il avoue avoir tué Brown et présente la valise d'argent au policier anglais. L'inspecteur demande au patron du café de veiller sur la valise et de faire en sorte que madame Brown qui n'a pas compris le français de Maloin ne les suive pas. Ce qu'elle fait pourtant. 1'58'30.

27 - Le policier anglais accompagne Maloin à la cabane. Ils sont suivis par Madame Brown. Maloin dit qu'il voulait juste lui apporter à manger. Mme Brown entre dans la cabane et Maloin l'entend pleurer. L'inspecteur soutient Mme Brown qui pleure. Maloin referme la porte et les suit. 2'02'35.

28 - L'inspecteur compte l'argent de la valise et met quelques billets dans deux enveloppes. Il donne à madame Brown ce qui lui semble être une juste récompense et sans doute la même somme à Maloin qu'il absout du meurtre commis en état de légitime défense. Il s'en va. Maloin s'en va. La caméra recadre en gros plan le visage de madame Brown. Fondu au blanc, fondu au noir. 2'09'35.

Générique. 2'10'00

L'extrême virtuosité de la mise en scène n'empêche jamais ici l'émotion de se déployer. Chacun des vingt-huit plans-séquences qui composent le film est comme une facette d'une sorte de cristal dans lequel Maloin est enfermé.

Bela Tarr cinéaste, une caméra visible

Dans Orson Welles cinéaste, une caméra visible (La Différence, Paris 2001) Youssef Ishaghpour insistait sur le premier sentiment que l'on ressent à la vision d'un film de Welles celui de la force de la subjectivité posée en fondement, érigée en seigneur de l'être, maître de la vérité : volonté de puissance et sujet de la représentation.

Le premier plan de L'homme de Londres est plus virtuose encore que le plan-séquence initial de La soif du mal auquel il fait penser. Démarrant sur le cordage qui amarre le navire au quai, il cadre la coque du navire puis, via les échafaudages, atteint les pieds de Maloin puis son visage qui regarde, sur le bateau, deux hommes discuter. L'un d'eux descend ensuite sur le quai de droite, vers les trains. On revient au travers des croisillons des vitres de la tour de contrôle vers le quai gauche où, depuis le navire, le gros homme balance la valise. On revient une nouvelle fois sur la droite voir le gros homme descendre puis le train se mettre en branle, disparaître et ne laisser que la lampe éclairant les rails vides.

Certes, techniquement, il ne s'agit pas d'un plan séquence : des raccords invisibles sur les croisillons noirs de la tour interviennent probablement lors du panoramique ascendant qui vient recadrer les pieds de Maloin. Mais, comme dans La corde, l'effet produit sur le spectateur est le même, qu'il s'agisse d'un vrai ou d'un faux plan séquence.

Le second plan de La soif du mal voyait l'explosion de la voiture de Linnekar. Il n'y aura pas ici d'explosion même si le second plan est aussi consacré à la mort d'un protagoniste, ici Teddy, le complice de Brown.

Si l'on excepte les plans de respiration 5, 12, presque tous les autres plans sont remarquables. Chez Bela Tarr, chaque début de plan est une aventure, la durée d'un plan est une aventure et la fin d'un plan un suspense insoutenable.

On citera pour leur symétrie initiale et finale les plans 10, lumière-lumière et 11 soupe-soupe, pour leur virtuosité extrême les plans 13, commencé sur l'eau et finit dans la tour, et 14, celui commencé avec les boules de billard et terminé par les deux têtes dégarnies du policier au fond et de Maloin en amorce. On citera aussi le 16 avec le rituel plan d'homme marchant, toujours présent dans les films du cinéaste, et le plan 21 reprenant la seconde partie du plan 1 et le prolongeant avec vue sur la ville.


Des corps échoués et des visages sans voix

Chez Bela Tarr, on passe par les fenêtres mais on ne franchit pas les portes. On regarde l'extérieur comme une possible évasion mais on ne change pas de situation.

Tarr s'impose cette règle de non-franchissement des portes. A la fin du plan 2, il laisse Brown rentrer au café sans le suivre. Entre les plans 6 et 7, il exhibe cette interdiction. Aucun des deux plans ne compte parmi les plus brillants du film. Dans le 6, au matin, Maloin quitte la tour et se dirige vers le bar du port. Dans le 7, au comptoir, Maloin fait signe au barman qu'il est prêt à jouer aux échecs en misant un peu d'argent. La seule surprise du plan consiste à cadrer, à la toute fin, un vieux marin qui mange sa soupe.

Vu la complexité de la mise en scène de Bela Tarr, il ne lui aurait été aucunement difficile de franchir la porte entre le plan 6 et 7 et ce d'autant plus que, à la fin du 6, Maloin dépasse un homme et rentre dans le bar. L'homme s'engage dans le bar puis finalement recule et reste à la porte et regarde au travers de la vitre. On est donc resté avec le spectateur du plan suivant et l'on n'a pas suivi Maloin.

Entre les plans 21 et 22, un raccord invisible aurait pu faire sur une porte qui s'ouvre. Mais Tarr préfère une coupure nette qui va cadrer de dos, la masse de Maloin, alors que, dans le fond du plan, la porte s'ouvre. C'est par ce même dos de Maloin qu'avait commencé le plan 7 et c'est encore par un plan de dos du policier anglais que commencera le dernier plan du film. C'est la massivité du corps physique qui empêche le franchissement moral des portes chez Bela Tarr comme si les êtres, hommes comme animaux (la baleine des Harmonies Weikmeister) étaient condamnés à rester échoués. On ajoutera même ici les constructions humaines, la tour et le navire qui, avec ses deux hublots symétriques, ressemble bien au début à une baleine échouée

Si le mouvement ne peut être que pensé et non vécu, il n'est pas étonnant non plus que les sons soient aussi comme entendus à l'intérieur du plan et privés de point d'énonciation et d'écoute.

L'image cristal

Maloin mène une vie simple et sans but, aux confins de la mer infinie. C'est à peine s'il remarque le monde qui l'entoure. Il a déjà accepté la longue et inévitable détérioration de sa vie, et son immense solitude. Lorsqu'il est témoin du meurtre et potentiellement détenteur d'une fortune, il tente de retrouver sa dignité.

Probablement ne s'en faut-il de pas grand-chose pour que Maloin ne se libère mais aussi qu'il soit pris, par M. Brown ou par le policier anglais. Dans le plan 2, Brown avait jeté un coup d'œil à la tour, dans le 8 il avait suivi Maloin jusque chez lui et dans le 10 était resté posté à l'observer. Lui-même pourchassé, Brown n'a pas les moyens de ses soupçons et doit renoncer à sa filature.

Le commissaire fait la même déduction que Brown dans le plan 21. Maloin, dans le même plan fait bouillir son café. Il crée ainsi une bué sur les carreaux qui lui permet de repousser l'évidence comme quoi il avait bien dû voir la valise jetée et le meurtre commis.

Ce n'est pas ainsi l'intelligence de Maloin qui l'empêche de fuir cette vie viciée mais son destin d'homme échoué au port. Il ne sortira jamais de lui-même comme il n'est jamais sorti de sa tour, condamné à regarder sans bouger.

Jean-Luc Lacuve le 19/11/2008.

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