Fièvre sur Anatahan

1953

Genre : Mélodrame

(The saga of Anatahan). Avec : Akemi Negishi (Keiko), Tadashi Suganuma (Kusakabe), Shiro Amikura (Le patriote), Josef von Sternberg (le narrateur). 1h30.

En 1944, les survivants d'un navire japonais trouvent refuge sur une petite île volcanique des îles Mariannes du Nord en plein Océan Pacifique, Anatahan, où vivent déjà un homme, Kusakabe, et une jeune femme, Keiko, jeune et belle, au passé dramatique, qui ne tarde pas à exacerber le désir et la passion des nouveaux venus, pour qui elle devient "la seule femme sur terre".

Les mois passent ainsi, dans l'habitude forcée de cette existence de survie et l'attente, de pied ferme, de l'ennemi américain. Seule une ruse de celui-ci, pensent-ils, peut être à l'origine de l'ordre de capitulation. Ne pouvant se résoudre à la défaite du Japon, ils vont passer sept ans sur l'île, se disputant les charmes de la sauvage et envoûtante Keiko autant que le pouvoir.

Lorsque l'océan ramène une épave d'avion ennemi, chacun en récupère ce qu'il peut. Nishio et Yananuma, qui ont trouvé des armes, s'installent en maîtres à la "colline aux fous", hutte où résident Keiko et Kusakabe. Tuant le trop curieux Semba, Nishio est abattu par Yananuma, qui profite de l'euphorie du nouvel an 1949 pour ravir Keiko, la "reine des abeilles". Mais Kusakabe veille, et le poignarde. Yoshiri prend à son tour le pouvoir de "roi" et tue Kusakabe, mais lui non plus ne verra pas la lumière d'un autre jour.

Pour arrêter l'hécatombe, les hommes s'en remettent au sort pour se partager Keiko. Mais celle-ci s'enfuit, nue, dans les flots.

A l'aéroport de Tokyo, en mars 1951, elle assiste au retour de ses anciens compagnons..

Dernier film tourné par Sternberg, Fièvre sur Anatahan, bénéficie de la réputation de film culte pour tout cinéphile alors que sa vision est difficilement supportable pour un public non initié. Sa sortie en copie restaurée par Capprici en France en 2018 sous le simple titre Anatahan (même si le générique continue d'indiquer The saga of Anatahan) est donc l'occasion de revenir sur cet objet étrange et fascinant. Il demande, à notre avis,  une longue suspension de jugement avant d'être pleinement apprécié, peut-être pas comme un chef d'œuvre mais au final un film extrêmement touchant et inoubliable.

Une production inespérée et sans contrôle

Sternberg entend parler d'un fait divers par le compte rendu du livre de Michiro Maruyama, l'un des survivants d'un fait divers : une île volcanique des îles Mariannes du Nord en plein Océan Pacifique, avait abrité trente-trois soldats japonais refusant de croire à la reddition de leur pays, de 1945 à 1951. Treize d'entre eux y avaient trouvé la mort en s'entredéchirant pour la seule femme présente sur l'île. Von Sternberg contacte Kazuo Takimura qui cherche à mieux faire connaitre le Japon aux occidentaux. La venue de Sternberg, cinéaste adulé dans son pays alors qu'il est presque oublié en Amérique, est une chance inespérée pour lui. Il en est de même pour Sternberg qui n'a rien réalisé d'important rien selon désir depuis longtemps.

Si Sternberg passe huit mois au Japon, ce n'est pas pour chercher le décor adéquat à son film; trouver son actrice principale lui suffit. Le personnage historique de Kazuko Higa, devient Keiko. Il cherche un écrin pour la magnifier. Ce sera la lumière. Dès lors comment faire confiance à la nature ? Il prèfère un immense hangar d'aéroport de Kyoto, près des grandes compagnies de cinéma du Japon. Dans ce hangar, il reconstruit la jungle sous le feu des projecteurs... et  regard ahuri de l'équipe de techniciens qui ne tardent pas à trouver Sternberg un rien délirant.

Comme si la jungle artificiel en suffisait pas, il refuse aussi aux acteurs japonais le sous-titrage des dialogues pour imposer sa voix off qui commente l'action en disant" nous" pour le groupe de Japonais survirants (ce qui exclu de fait les personnages principaux de l'action). Ce "nous" japonais dit par une voix  américaine, il faut néanmoins moins la voir dans une volonté démiurgique que comme un chœur antique qui commente l'action, l'action de survivre par amour pour cette femme loin des prétentions guerrières du Japon.

En nommant le film du simple titre d'Anatahan  Capprici confond la femme et l'ile; c'est bien ce que voulait Sternberg et c'est bien l'image qui laisse le visage de Keiko se surimprimant avec l'ile volcanique dans le dernier plan.