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Plutôt qu'une sainte, la Jeanne d'Arc de Jacques
Rivette est une femme qui demeure fidèle à son idéal, c'est à dire une femme
qui croit. Entre complots, batailles, morale et trahison, Rivette reconstruit
dans une fresque très intime, les bases d'un univers dominé par la force d'une
idée qui va son chemin.
Dans la première partie, une seule vrai scène d'action : la prise du Fort des Tourelles. Pour le reste ce sont des témoignages des compagnons de Jeanne, plus exactement leur déposition recueillie lors du procès en réhabilitation, qui répercutent à voix haute l'écho de tous les faits de guerre.
La seconde partie est moins lumineuse que la première. La simplicité guerrière de Jeanne est mis à mal par les tractations de Charles VII avec Le Duc de Bourgogne. Ces tractations, hors champ, semblent peser sur Jeanne et expliquent son angoisse. Longue partie d'emprisonnement en terres bourguignonnes. Ce premier emprisonnement rend avec force l'humiliation ressentie dans les prisons anglaises. Jeanne ne devient relaps que parce qu'elle n'est traitée comme une femme. Elle préfère reprendre ses habits d'hommes. Il ne s'agit d'une question de dignité plus que de foi (les voix ne sont réaffirmées qu'après).
Dans l'oeuvre de Jacques Rivette, L'Amour par terre représente un tournant
: tournant amorcé à partir du Pont du Nord, qui livre en quelque
sorte le "testament" d'une époque, les années soixante-dix,
d'un point de vue autant politique, "historique", que personnel
; et tournant, après plusieurs années de silence, amorcé
par Rivette qui change de troupe, en commençant à travailler
avec le scénariste Pascal Bonitzer. De ce point de vue, L'Amour par
terre est déjà assez exemplaire des films que Rivette et Bonitzer
écriront ensemble et il en livre même, de manière presque
ironique ou agrandie, le "mode d'emploi" : comme la représentation
de théâtre en appartement sur laquelle s'ouvre le film, L'Amour
par terre s'amuse à pervertir les règles des comédies
de boulevard et joue à ciseler les dialogues (presque à la Guitry),
avec une sorte de sécheresse de ton qui était plutôt absente
des films des années soixante-dix écrits avec le rêveur
et lunaire Eduardo de Gregorio. Mais surtout, L'Amour par terre livre un mode
d'emploi de la "méthode Rivette", à travers le personnage
énigmatique et fascinant de Roquemaure, sorte de concentré du
metteur en scène rivettien : à la fois omniprésent et
en fuite, omniscient et ignorant, dictateur et improvisateur, manipulateur
et ingénu, odieux et touchant, Roquemaure, interprété
par Jean-Pierre Kalfon qui reprend, après L'Amour fou, un rôle
de metteur en scène de théâtre censé être
le double évident et secret du cinéaste, est plus une ligne
de fuite que la clef d'une énigme (qu'est-ce que la mise en scène
?). Telle Bulle Ogier dans La Bande des quatre, il a "le sens du mystère"
et il possède l'intelligence qui consiste à abandonner ses acteurs
au jeu qu'il a lui-même initié, jeu de la vie autant que de la
fiction (et l'on sait qu'à ce jeu, évidemment, personne, pas
même le plus mélancolique des metteurs en scène, ne connaît
le dénouement).
Jacques Rivette, Le Monde, 23 avril 2002, entretien avec Jean-Michel Frodon
« L'Amour par terre durait 2h50, et aucun distributeur n'en a voulu.
Finalement Gaumont a dit d'accord mais à 2 heures. Je l'ai coupé
par blocs entiers. La vraie version est inédite, je suis heureux que
le coffret DVD qui doit sortir cet automne permette enfin de la montrer. (...)
Le travail sur plusieurs versions est amusant quand les films s'y prêtent.
C'est le cas de ceux dont le thème est la représentation théâtrale
ou picturale, alors que ceux bâtis sur un ressort dramatique, comme
Secret Défense, ne le supporteraient pas. L'existence de plusieurs
versions intrigue, mais c'est un phénomène très fréquent
au cinéma, c'est quasiment une constance dans le muet. »
Scénario : Pascal Bonitzer, Marilù Parolini, Suzanne Schiffman, Jacques Rivette. 170 minutes (Avant la sortie DVD, n'avait été jusqu'ici distribuée qu'une version "raccourcie" par Jacques Rivette et Nicole Lubtchansky d'une durée de 120 minutes)