Eté 85

2019

Ecouter : The Cure - In Between Days ; Rod Stewart - Sailing

Label Cannes 2020 Avec : Félix Lefebvre (Alexis Robin), Benjamin Voisin (David Gorman), Philippine Velge (Kate), Valeria Bruni Tedeschi (Mme Gorman), Melvil Poupaud (M. Lefèvre), Isabelle Nanty (Mme Robin), Laurent Fernandez (M.Robin), Aurore Broutin (L'éducatrice). 1h40.

Dans le palais de Justice, Alex attend d'être reçu par l'éducatrice qui  instruit son dossier pour la juge. Alex déclare avoir toujours été fasciné par la mort et là on va l’interroger sur un cadavre ; celui de David. Comment cela est-il arrivé. C’est l’été de ses 16 ans, Alex, lors d’une sortie en mer sur la côte normande, est sauvé héroïquement du naufrage par David, 18 ans. Celui-ci l’emmène chez lui et il fait connaissance de sa mère, madame Gorman, très envahissante et impudique.  Elle l’interroge sur ses projets ; trouver un travail ou poursuivre ses études de lettre. Elle lui propose de venir travailler dans sa boutique.

David et Alexis deviennent amants. Mais David a une aventure avec Kate, une anglaise en vacances, ce qui déclenche la jalousie d'Alex qui s'enfuit en colère de la boutique. En cherchant à le rejoindre en moto, David se tue.

Mme Gorman, effondrée, refuse qu'Alex s'approche de la famille pour le deuil. Grâce à Kate, qui est devenue sa confidente, Alex, déguisé en fille, dit un dernier adieu à David à la morgue et révèle son homosexualité à sa mère qui l'accepte avec bienveillance.

Alex doit cependant tenir la promesse extravagante faite à David : danser sur sa tombe. Cet acte sacrilège est surpris par la police et David est arrêté. Son professeur de français, M. Lefèvre, le convainc qu'écrire son histoire lui permettra de dépasser son traumatisme. Son éducatrice judiciaire, satisfaite de trouver une explication dans ces écrits, permet à David de n'être condamné pour son acte sacrilège qu'à quelques heures de travaux d'intérêt général.

Alex retrouve sur la plage un ancien compagnon de David qu'il emmène en bateau.

Été 85 est la transposition du roman de l’écrivain anglais Aidan Chambers, La Danse du coucou (Dance on my Grave), paru en France en 1983. Livre que François Ozon confie avoir lu à l’âge de 17 ans, et « adoré » au point d’envisager d’en faire l’adaptation pour son premier long-métrage, si d’aventure il se lançait dans le cinéma. Ozon, fasciné par sa belle reconstitution des années 85 ne parvient hélas pas à convaincre dès qu'il s'agit de développer les harmoniques mélodramatiques de son sujet : la prétendue fascination pour la mort d'Alex ou le salut par l'écriture que lui propose son professeur. Inutile tour de piste enfin des personnages secondaires (mères, assistante juridique), qui restent caricaturaux.

Dreams are my reality

Le roman se déroule sur quelques semaines de l’été et unit deux adolescents, dans une station balnéaire ouvrière. Southend-on-Sea (dans le sud-est de l’Angleterre). Ozon transpose l’action au Tréport (Seine-Maritime). Le côté puzzle du livre est rendu par des flashes-back qui mettent en scène l’assistance sociale, le professeur, les parents et pour finir le judaïsme.

Les décors, costume et surtout le gain du super 16 donne au film une lumière et une coloration nostalgique qui le place dans la lignée des éducations amoureuses du célèbre film de Robert Mulligan, Un été 42. Ozon souhaitait d’ailleurs appelé son film Été 84. Le titre a été modifié suite au refus de Robert Smith de changer la date à laquelle était sortie In Between Days de son groupe, The Cure. Le titre fait ainsi désormais référence à la date à laquelle Ozon a lu le livre et où est sortie la chanson qui ouvre le film. In Between Days est un morceau intemporel, joyeux avec un fond mélancolique. 1985, est l’année de la mort de Rock Hudson, l’irruption du sida dans le quotidien de tous... C’est la dernière année d’innocence et d’insouciance, où l’on peut ne pas encore être au courant de cette maladie, s’en inquiéter.

Autre chanson importante, Sailing de Rod Stewart qui date de 1975. La scène de danse dans la boite est clairement inspirée de la scène culte de La Boum (Claude Pineauto, 1980). Ce n'est plus Mathieu qui met le casque sur les oreilles de Vic pour écouter Dreams are my reality mais David qui met le casque sur les oreilles d'Alex.

Sailing dans Eté 85

David et Alex ne dansent toutefois pas là avec la même musique. L’un s’agite, rigole, bouge dans tous les sens et l’autre rêve, les yeux dans le vide, regarde la boule au plafond. Ce décalage est annonciateur de la souffrance à venir.

Les harmoniques trop sourdes du mélodrame

Beaucoup de scènes ou de thèmes du livre, Ozon les a déjà filmées : le travestissement dans Une nouvelle amie, la scène de morgue dans Sous le sable, une relation avec un professeur dans Dans la maison, le cimetière dans Frantz. Mais ses films sont plus ou moins réussis selon qu'il creuse avec conviction l'aspect mélodramatique ou qu'il les laisse à la surface. Ici, l’histoire d’amour finit mal et François Ozon n’en fait pas mystère, qui ouvre le film sur son issue, montrant Alex claquemuré dans un chagrin dont il pense ne jamais pouvoir sortir, hanté par le souvenir de celui qu’il a chéri, qui désormais repose sous une tombe. Toutefois, dans roman, on sait dès le début ce qu’Alex a fait et pourquoi. Le film créée une fausse piste en laissant entendre qu'Alex est directement responsable de la mort de David. Au lieu de creuser ce sujet mélodramatique, Ozon en repousse sans cesse la résolution et ne parvient pas à convaincre de la prétendue fascination pour la mort d'Alex qui proviendrait du culte des morts des pharaons, sans doute appris en classe. Même pauvreté du salut par l'écriture : pauvre plan en effet que celui d'une machine à écrire qui laisse apparaitre "Par quoi commencer ?" 

"La seule chose qui compte, c’est d’échapper, d’une manière ou d’une autre, à son histoire", dit Alex en voix off à la toute fin du film. Portant, on pressent qu'il reviendra aux études et que l’été 85 aura révélé son homosexualité. Sans doute donc que son histoire commence. Comme Kate lui avait dit, il avait investi David de ses rêves sans le connaitre.

Jean-Luc Lacuve le 08/08/2020