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Et avec des images d'archives de : Charles de Gaulle, Philippe Pétain, Pierre Laval, René Bousquet, Reinhard Heydrich, Darquier de Pellepoix (Collaborateur de Heydrich), Jacques Doriot (Chef du partie populaire), Anthony Eden, Junie Astor, Maurice Chevalier, Danielle Darrieux, Suzy Delair, Albert Préjean, Viviane Romance. 4h25



La chronique d'une
ville française pendant l'Occupation, Clermont-Ferrand, à l'aide de bandes
d'actualités et de témoignages.


Selon André Harris, co-scénariste du film avec Alain de Sédouy et Ophüls lui-même, le projet fait suite à Munich ou la paix pour 100 ans, une émission en deux parties réalisée par Marcel Ophüls en 1967 pour l'ORTF, et consacrée aux accords de Munich de 1938. Selon Harris, "la psychologie des Français de l'Occupation était déjà contenue dans la psychologie des Français de Munich". Le projet est annulé à la suite de la grève de l'ORTF pendant les événements de Mai 68, à la suite desquels Ophüls quitte l'ORTF, et Harris et de Sédouy sont licenciés. Ces deux derniers sont engagés par le producteur suisse Charles-Henri Favrod qui financera le film à hauteur de 30%, tandis qu'Ophüls parvient à convaincre la chaîne de télévision allemande NDR de financer 70% de son projet. La production commence au printemps 1969.
Le film devait initialement être diffusé à la télévision française en accompagnement d'un documentaire en trois parties sur l'histoire contemporaine française mais l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF, établissement public d'État) présidé par Jean-Jacques de Bresson refusa sa diffusion, de même que son successeur Arthur Conte, qui estimait que « le film détruit les mythes dont les Français ont encore besoin. Il précise également qu'il pose un problème d'ordre technique (il dure 4 heures) et un problème d'ordre moral en raison de protestations de familles (familles de résistants, famille de Pierre Laval…). Par ailleurs, Simone Veil, qui siége alors au conseil d'administration de l'ORTF, menace de démissionner en cas de diffusion du film. Elle critique la pertinence du documentaire qui, selon elle, ne reflète pas les réalités de cette époque. S'exprimant en 1992 sur France 3, elle a rappelé sa position en indiquant que Le Chagrin et la Pitié « a été très injuste pour les résistants et les Français qui ont sauvé beaucoup d'enfants juifs - beaucoup plus que dans d'autres pays - des voisins qui ont pris un enfant qu'ils ne connaissaient pas, mais aussi les églises. » Elle estime choquant que la ville résistante de Clermont-Ferrand soit présentée comme une ville de collaborateurs. Enfin, Simone Veil précise que l'absence de diffusion aurait également été motivée par le prix exorbitant qu'en aurait demandé Marcel Ophüls, persuadé que l'ORTF avait l'obligation morale de diffuser son film et ayant confiance dans la tension médiatique
Le film heurte la droite française, mais aussi le Parti communiste français, soucieux de mettre l'accent sur une France résistante incarnée par le général de Gaulle qui avait tenté de minimiser la collaboration pour préserver la cohésion nationale. Ce documentaire, qui détruit le mythe d'une France dressée contre l'occupant nazi, fut donc privé de diffusion télévisuelle jusqu'en octobre 1981. Pour cette raison, le film dut recourir à la sortie en salle en 1971. Il fit l'objet d'un fort engouement par le bouche-à-oreille. À l'époque, le public en France ne disposait que de deux chaines de télévision, toutes deux étatiques, et dont l'information était étroitement contrôlée par le gouvernement. Dans Annie Hall (Woody Allen, 1977), une séquence se déroule dans une salle de cinéma new-yorkais qui projette le Chagrin et la Pitié (The Sorrow and the Pity), film culte du héros du film.
Oeuvre polyphonique, composée de témoignages de tous bords et largement affranchie du poids du commentaire, Le chagrin et la pitié se distingue par une hardiesse esthétique empreinte de subjectivité et d'humour en rupture avec les documentaires historiques d'alors ; le contexte du printemps 1969 venant se supperposer à celui de l'occupation. Le film donne une vision très négative d'une partie de la population française, plus tournée vers Pétain que vers de Gaulle.
Christian de la Mazière, ancien membre de Division Charlemagne, parle ainsi de son engagement militaire nazi avec une certaine autodérision, et porte dessus un regard critique mais ambigu (s'il le regrette à demi-mot, il ne le désavoue franchement à aucun moment). Jacques Duclos, dirigeant communiste, est candidat à l'élection présidentielle de 1969 au moment du tournage du film. Ses affiches de campagne sont visibles au cours de l'interview. Pierre Mendès France, figure de la Gauche française jusqu'à sa mort en 1982, ancien député, ancien ministre, ancien Président du Conseil, grand résistant, officier dans l'aviation des FFL, condamné par le gouvernement de Vichy pour "désertion" il avait tenté de rejoindre l'Afrique du Nord en 1940 par le Massilia évadé en 1941 de la prison de Clermont-Ferrand dans des conditions qu'il raconte dans le film avec beaucoup d'humour. Helmuth Tausend, ancien officier allemand en poste à Clermont-Ferrand, interviewé en Allemagne au moment du mariage de sa fille.
Le film constitue historiquement la première plongée cinématographique
effectuée dans la mémoire collective française sur la
période de l'Occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale.
À une idéologie qui ne faisait pratiquement état jusque
là que des faits de Résistance, Ophüls permit de mettre
l'accent sur des comportements quotidiens beaucoup plus ambigus à l'égard
de l'occupant, voire de franche collaboration. En brisant l'image faussement
unanime d'une France entièrement résistante, le film joue un
rôle important dans l'inauguration d'une phase de la mémoire
de l'occupation que l'historien Henry Rousso appelle "le miroir brisé",
à partir des années 1970. Ce courant de pensée sera fortement
nourri par le livre de Robert Paxton, La France de Vichy publié aux
États-Unis en 1972 et traduit en français en 1973.
Paradoxalement, bien que la déportation des juifs en soit quasiment
absente ce film marque également le début de la réévaluation
du rôle du gouvernement de Vichy dans celle-ci. Le fait que l'action
se concentre sur Clermont-Ferrand explique en grande partie cette quasi absence,
car située en zone libre, les juifs y furent certes persécutés
dès 1940 par les ordonnances vichystes mais purent, pour beaucoup d'entre
eux, se protéger dans les campagnes auvergnates.