Twin Peaks

1992

thème de Laura, chanson du bang-bang bar
Genre : Film noir
Thème : Naturalisme

(Twin Peaks : Fire Walk with Me). Avec : Sheryl Lee (Laura Palmer), Ray Wise (Leland Palmer), Kyle MacLachlan (Dale Cooper), Chris Isaak (Chester Desmond), David Lynch (Gordon Cole), David Bowie (Phillip Jeffries), Mädchen Amick (Shelly Johnson), Dana Ashbrook (Bobby Briggs) Phoebe Augustine (Ronette Pulaski), Eric DaRe (Leo Johnson), Miguel Ferrer (Albert Rosenfield), Pamela Gidley (Teresa Banks), Heather Graham (Annie Blackburn), Moira Kelly (Donna Hayward), Peggy Lipton (Norma Jennings), James Marshall (James Hurley), Harry Dean Stanton (Carl Rodd), Kiefer Sutherland (Sam Stanley), Lenny von Dohlen (Harold Smith), Grace Zabriskie (Sarah Palmer), Frances Bay (Mrs. Tremond), Catherine E. Coulson (la femme à la bûche). 2h15

Générique granuleux bleu puis gris, révélant un poste de télévision. Un cri, une télévision cassée. Un cadavre qui flotte sur l'eau, en surimpression un nom : Teresa Banks.

A Deer Meadow, petite ville du nord des Etats-Unis près de Portland, on a découvert, flottant dans la Wild river, le cadavre d'une jeune fille de 17 ans, Teresa Banks. Gordon Cole, chef régional du FBI à Philadelphie, envoie sur place les agents Chester Desmond et Sam Stanley alors en mission à Fargo. sur l'aéroport privé de Portland où Gordon présente Lil, la fille de la sœur de sa mère, qui se livre à un étrange ballet qu'interprète partiellement Chester Desmond.

Chester Desmond mène son enquête, découvre un "T" imprimé sous l'ongle de Teresa et que sa bague a disparue. Il soupçonne les mystérieux habitants d'une caravane, les Chalfont, et retrouve la bague de Teresa. Il disparaît. Dans une chambre rouge, un nain, les Chalfont et des barbus marmonnent au sujet d'une table en formica, de l'électricité et d'une bague, anneau par lequel le rêve épouse le réel.

Philadelphie, le 16 février, 10h10. Philipp Jeffries, un agent du FBI disparu, réapparaît devant Gordon et Dale Cooper puis s'échappe par les fils téléphoniques. Dale Cooper, qui a repris l'enquête de Chester Desmond, affirme dans un dictaphone près de la Wild river où l'on retrouva le corps de Teresa que le tueur frappera encore.

Un an plus tard. Laura se rend vers la faculté avec son amie, Dana. Elles croisent Mike et Bobby. Laura prend de la drogue. Elle fait l'amour avec James. Lorsqu'elle rentre chez elle, elle découvre, bouleversée, que des pages de son journal intimeont été arrachées. Elle se rend chez Harold, un ami et lui affirme " Bobby existe, il m'a depuis que j'ai 12 ans". Laura est appelée par la vieille et le jeune Chalfont qui lui donnent un tableau sur lequel figure une porte entr'ouverte.

En rentrant chez elle, Laura découvre que Bobby et son père ne font peut-être qu'un. Elle est bouleversée. Le soir, Leland fait une scène à sa fille pour des ongles sales et un bijou qu'il sait donné par un amant. Plus tard, il cherche à se réconcilier avec elle. Laura regarde le tableau de l'ange en famille puis celui offert par les Chalfont. Elle pénètre par le couloir du tableau dans une salle rouge où l'agent Dale Cooper et le nain la mettent en garde au sujet de la bague. Lorsqu'elle se retrouve dans son lit, une jeune fille, Annie, sanguinolente, lui affirme que le brave Dale ne peut sortir de la chambre rouge.

Bobby téléphone à Léo, qui frotte le parquet avec sa compagne Shelley. Celui-ci lui refuse de la drogue. Bobby téléphone alors à Jacques, au Road house, qui lui donne rendez-vous deux jours plus tard au "bruit du bois qu'on scie".

Arrivant au Bang-bang bar, Laura rencontre la vieille à la bûche qui lui dit que le feu dont elle est atteinte est difficile à éteindre : il brule d'abord les rameaux de la jeunesse puis le vent se lève et enlève toute la bonté. Laura rentre dans la boite où Jacques la livre à deux hommes pour de la drogue. Cynique : "alors on veut baiser la reine de beauté", elle décourage Dana, qui l'a suivie contre son grès, de faire comme elle. Mais toutes les deux et Ronette Pulaski se prostituent. Elles parlent de Teresa, morte depuis un an, alors qu'elle allait être riche en faisant chanter quelqu'un. Jacques leur apprend qu'elle avait demandé la description de leurs deux pères

Le lendemain, Leland surprend Dana et Laura et, dans un flash mental, associe Laura et Ronette Pulaski. Sur la route, un homme, apparemment fou, les poursuit dans sa camionnette et insulte Leland. Dans deux brefs flashes-back successifs, Leland se remémore le début de sa relation avec Teresa. Celle-ci voulait pimenter leur relation en lui présentant d'autres filles. Lorsqu'il constata que l'une d'elle était sa fille, il recula. De son côté, se remémorant le passé proche, Laura se souvient que le fou à la camionnette portait au doigt la bague de Teresa.

De retour chez elle, Laure regarde le plafond, s'interrogeant sur l'identité de Bobby. Flash-back sur Leland tuant sauvagement Teresa et fracassant sa télévision. Le soir Bobby, accompagné de Laura, tue le porteur de drogue (un policier ou Mike ?).

Le soir, Leland drogue sa femme, allume le ventilateur. Bob pénètre par la fenêtre de la chambre de Laura, rampe jusqu'à son lit et lui fait l'amour. Horrifiée, Laura découvre soudain que Bobby est son père incestueux. Effondrée, elle se drogue durant la journée de cours. Le soir, elle se prépare pour le Bang-Bang bar et constate que l'ange du tableau a disparu. Elle part avec James mais ne supporte pas son apparence trop lisse et gentille. Elle le quitte pour rejoindre Leo Johnson et Jacques Renault et d'autres bucherons dans une partouze. Leland, qui a suivi sa fille, tue Jacques puis sa fille dans un train abandonnée. Il crie et, dans une dernière vision, recrée la chambre rouge où le nain demande sa dose de Garmonbozia (douleur et chagrin) alors qu'un ange bénit l'union de Laura et de Dale Cooper.

Lynch a prolongé le titre de la série Twin Peaks par "Fire walk with me" qui trouve une explication dans l'interrogation de Donna à Laura : "Si on te jetait dans le vide, crois-tu que tu irais de plus en plus lentement ou de plus en plus vite ?" Laura répond : "De plus en plus vite, à tel point qu'à un moment, je prendrai feu et que les anges ne pourront plus me voir". Ce discours est filmé en plongée, par un David Lynch en position démiurgique qui scrute les deux jeunes filles allongées sur le sofa.

L'innocence, une bûche qui s'enflamme dans l'espace sidéral

L'absence de "s" à walk indique le mode impératif et oblige à penser le titre comme une phrase binaire : "Twin Peaks, Feu marche avec moi !". On trouve là l'opposition entre le monde apparent d'une petite bourgade tranquille, Twin Peaks et le monde originaire du feu, du démoniaque et des pulsions d'anéantissement (drogue, inceste) qui fait de ce film un chef-d'œuvre du naturalisme au sens où l'entend Gilles Deleuze. Sous l'innocente jeune fille, une débauchée ; sous le bon père de famille un père incestueux ; sous le tableau gentiment protecteur, un tableau qui ouvre une porte vers la vérité ; sous l'apparente aisance des jeunes filles prostituées, un besoin de protection et un appel aux anges ; sous le rêve du grand amour impossible, la prostitution.

Lynch travaille principalement deux sentiments tout aussi primaires l'un que l'autre ; l'innocence et la débauche. Mais, à Twin Peaks l'innocence est un rêve depuis longtemps enfoui alors que la débauche ne demande qu'à ressurgir chaque nuit. Laura Palmer, exclue de l'innocence, tombe comme une bûche enflammée dans l'espace sidéral. Entre ces deux mondes, celui du réel et celui des pulsions, Lynch installe des espaces de transition que l'on franchit en soulevant les rideaux de velours rouge du théâtre de l'imaginaire ou le velours bleu des grains de la télévision (image du générique) des fils téléphoniques (apparition et disparition de Jeffrey).

Un monde dérivé où l'évidence s'est enfuie

Loin de vouloir réconcilier monde dérivé et monde réel, Lynch s'arrange très bien de cette tragique irréconciliation. Il en fait le jeu de son cinéma à énigme qui culmine dans ce film avec la scène sur l'aéroport privé de Portland où Gordon (Lynch himself) présente Lil, la fille de la sœur de sa mère, qui interprète un étrange ballet. Plus tard, Chester Desmond se livre à une interprétation de ces gestes (Lil faisait la tête, elle avait la mine renfrognée : problèmes avec les atorités locales, elles feront mauvais accueil au FBI. Des yeux qui clignent : des ennuis en haut lieu. Les yeux de l'autorité locale, le shérif et son adjoint à mon avis. Elle avait une main dans sa poche : ils cachent quelque chose; Et l'autre main formait un poing : ils vont être agressifs. Lil faisait du sur place : il y aura des recherches en profondeur. Cole a dit que Lil était la fille de la sœur de sa mère. Que manque-t-il dans la phrase? L'Oncle. L'oncle du shérif doit être en prison. La robe était retouchée d'un fil d'une autre couleur là où elle a été reprise. La retouche est notre code pour la drogue. Une rose bleue était épinglée...)

La rose bleue, dont l'explication reste en suspens est symbolique des nombreuses zones de mystères que quelqu'un, un jour, peut être éclaircira : la mystèrieuse chambre rouge que l'on voit lorsque disparaît Chester Desmond. Dans une chambre rouge, un nain, les Chalfont et des barbus marmonnent au sujet d'une table en formica, de l'électricité et d'une bague, anneau par lequel le rêve épouse le réel.

Informations partielles, puzzle à reconstituer, signes à déchiffrer, communication entre le monde du réel et celui du fantasme, Twin Peaks s'installe d'emblée sur le mode du signe caché et de la révélation parcellaire. Vouloir reconstituer l'ensemble du puzzle est vain, c'est le puzzle lui-même qui rend compte d'un monde fragmenté, d'un monde d'après la chute, celui où l'évidence s'est enfuie, où les anges ne protègent plus les enfants, victime de leur père censé les protéger. Comme l'indiquera plus tard la disparition de l'ange sur le tableau de la chambre de jeune fille de Laura, il faut se rendre compte que l'innocence s'est enfuie du monde.

Jean-Luc Lacuve, le 15/06/2001