Lumière pâle sur les collines

2025

(Tôi yama-nami no hikari). D'après le roman de Kazuo Ishiguro. Avec : Suzu Hirose (Etsuko 25 ans), Fumi Nikaidô (Sachiko), Yoh Yoshida (Etsuko 55 ans), Camilla Aiko (Niki), Kôhei Matsushita (Jiro), Tomokazu Miura (Ogata), Daichi Watanabe (Shigeo Matsuda), Rie Shibata (Mme Fujiwara), Lynette Edwards (Mme Waters), Romain Danna (Frank). 2h03.

Il pleut en Angleterre (1). Allongée sur son canapé et tout juste éclairée par la lumière diffuse d’une lampe d’appoint, Etsuko, dans la cinquantaine, semble tout juste sortie de son sommeil.

Nagasaki 1952 (1). Etsuko, dans la vingtaine, prépare le petit déjeuner. Son mari, Jiro, lit son journal : sur l'autre rive du fleuve, trois enfants ont été découverts étranglés. Il espère que le coupable sera retrouvé avant la naissance prochaine de leur enfant. Tout en critiquant les légumes de Etsuko trop saumonés à son goût, Jiro lui annonce la visite prochaine de son père qui logera chez eux et dont elle doit préparer la chambre. Une fois seule, Etsuko consulte une malle où elle conserve des objets dont des revues de vedettes hollywoodiennes. Elle entend des femmes étendant leur linge faire des commérages sur la voisine habitant une maison de bois de l'autre côté du pont qui reçoit son amant américain. Etsuko la regarde l'accueillir.

Générique. Des photos en noir et blanc : un reporter anglais près d'un bâtiment détruit ; des enfants qui jouent avec un GI ; échaffaudages pour la mise en place de la statue de la paix ;  des enfants qui jouent ; des femmes qui déambulent ; Etsuko avec d'autres femmes.

Royaume-Uni, 1982 (2). Un panneau "à vendre, sous compromis" devant une belle maison. Nikki, venue de Londres rendre visite à Etsuko, sa mère, tient la photo de celle-ci en 1952, tirée d'une malle dans le bureau de son père. Etsuko lui prépare son lit pour ce qui sera sa dernière visite dans cette maison. Nikki préfère dormir dans l'ancien bureau de son père, décédé, plutôt que dans son ancienne chambre, prétextant du travail à faire et la gêne à se reposer près de la chambre de Keiko, sa demi-sœur. Nikki aide sa mère à préparer le hachis parmentier, plat iconique de la famille que dévorait Nikki enfant alors que sa sœur triomphait dans des concours de piano. Nikki est appelée au téléphone par son amant, son professeur de faculté qui l'encourage à écrire les mémoires de sa familles transplantée de Nagasaki dans l'Angleterre de l'après-guerre. Nikki constate aussi qu'il ne fait pas un geste pour quitter sa femme comme il l'a déclaré et préfère rester avec ses enfants plutôt que de la rejoindre.

Nikki rejoint sa mère qui regarde à la télévision un reportage sur un camp de la paix monté par des femmes sur la base aérienne de Greenham Common pour protester contre le déploiement de missiles afin que plus jamais le cauchemar de Nagasaki ne puisse se répéter. Etsuko dit à sa fille qu'elle a lu son article sur le sujet paru il y a quelques mois. Comme Nikki s'en étonne, Etsuko lui rappelle que la base est près de chez elle et qu'elle a été déçue que sa fille n'ait pas profité de l'article pour venir lui rendre visite. Nikki lui dit alors qu'elle est justement venue pour écrire sur les souvenirs de sa famille, ignorant tout des raisons qui ont conduit au départ de Nagasaki pour l'Angleterre. Elle veut en parler dans cette maison qui l'a vu grandir.

Le soir, alors qu'il pleut sur l'Angelettere, vision d'une femme en chemisier rouge qui court au milieu des hautes herbes, rejoint une rivière sur laquelle flotte une caisse en bois. Etsuko se réveille sur le canapé. Nikki la rejoint craignant de l'avoir réveillée et lui demande si ses cauchemars sont au sujet de Keiko, ce que Etsuko réfute. Elle affirme vouloir vendre parce que la maison est trop grande pour elle. Lorsque toutes deux regardent les marques des tailles croissantes des sœurs sur le mur; Nikki évoque le fait de n'avoir pas été présente à l'enterrement de Keiko, avec laquelle elle avait toujours été mal à l'aise. Etsuko lui rappelle combien avait été dure pour Keiko son arrivée en Angleterre. Nikki, profitant de ce début de confidence, allume son magnétophone.

Nagasaki 1952 (2). Tout commença avec la rencontre de sa voisine Sachiko, une jeune femme qui élevait seule sa fille, Mariko. Celle-ci défend une chatte sur le point de mettre bas face aux garçons du quartier. Quand Etsuko arrive, Mariko lui propose d'adopter l'un des futurs chatons, ce qu'une dame sur l'autre rive a déjà promis de faire. Inquiète de voir Mariko seule alors que rôde un meurtrier d'enfants, Etsuko raccompagne Mariko chez elle. Sachiko pense que ce n'est qu'une inquiétude de femme enceinte. Elle l'invite au thé et lui dit avoir rencontré Franck, son ami, alors qu'elle était interprète à Shiroyama. Ils doivent aller aux USA prochainement et espère que Mariko pourra trouver du travail, être actrice. Elle avoue avoir des problèmes d'argent et rit quand elle voit que Etsuko pense qu'elle pourrait lui en demander ; ce qu'elle cherche, c'est un travail.

Le père de Jirô arrive, surprenant Etsuko derrière un drap. Directeur retraité, il lui dit de l'appeler M. Ogata. Il se désole qu'elle n'enseigne plus le violon. Jiro est surpris de voir son père qu'il n'attendait que la semaine suivante. Il n'aura pas beaucoup de temps pour lui, submergé par le travail, seul son dimanche sera disponible. Ogata s'étonne qu'à la prochaine réunion des anciens étudiants, les professeurs ne soient pas invités, signe manifeste d'ingratitude. Il a été choqué par un livre, La nouvelle éducation, où Shigeo Matsuda, son ancien élève le cite comme mauvais professeur qui aurait dû être radié pour militarisme. A ce moment, Jiro met fin à la partie et va se coucher.

Au matin, Etsuko refuse le rapport sexuel, contente d'avoir senti le bébé bougé. Jiro lui rappelle sa satisfaction qu'elle n'ait pas été irradiée ce qui aurait pu avoir un effet sur sa grossesse. Dans la matinée, Etsuko prépare une omelette pour M. Ogata pour compléter le bento qu'elle lui a préparé. Il aimerait savoir cuisiner et s'enquiert de savoir si Jiro  est gentil avec elle.

Etsuko retrouve Sachiko à la cuisine dans le restaurant de Mme Fujiwara. Elle a remarqué qu'elle ne venait pas de Tokyo : les bras de Mariko indiquant une irradiation à Nagasaki. Mariko, qui s'occupe des chatons tout juste nés, est envoyée servir des clients. Lorsqu'un plat de nouilles est renversé, Mariko refuse de s'excuser ; ce que fait Sachiko pour elle. Mais elle balance le contenu de son verre au visage de celui qui remarque perfidement qu'il ne veut pas être contaminé par les radiations vues sur les bras de l'enfant. Etsuko regarde Mariko fuir.

Royaume-Uni, 1982 (3). Etsuko avoue que si Sachiko était son amie, elle ne l'a jamais comprise et que son souvenir lui est revenu brusquement. Nikki s'en va au village et achète un test de grossesse qui s'avère positif. L'après midi elle se balade avec Etsuko qui dit aimer la campagne même si Nikki lui fait remarquer qu'il s'agit plutôt d'un quartier huppé. Mme Waters vient à la rencontre de celle qu'elle appelle Mme Sheringham. Elle confond Nikki avec Keiko qui explique avoir arrêté ses études. A une question à propos de Keiko, Etsuko répond qu'elle est à Manchester. Nikki est affligée par cette réponse. Keiko n'était pas venue à l'enterrement de son beau-père, continuant ainsi à ne pas faire partie de leur vie en Angleterre. Nikki craint que sa mère ne s'intéresse pas vraiment à elle et se contente de camoufler ce qui ne lui plaît pas, l'arrêt de ses études à elle ou le suicide par pendaison de sa fille. Etsuko la gifle.

Le lendemain, quand Nikki se réveille, elle trouve un mot de sa mère lui indiquant être partie au cimetière pour la journée. C'est ainsi Nikki qui reçoit l'agent immobilier venu faire des photos pour l'acheteur. Il admire le jardin, compatit à l'arrivée au lendemain de la guerre de la famille japonaise sans doute ostracisée et se réfugiant en dehors de Londres. Nikki acquiesse ; aa mère était interprète, elle est arrivée toute petite dans cette petite ville. Elle accepte à contrecœur de lui ouvrir la chambre de Keiko. Alors que les flashes illuminent la chambre, son diplôme de piano, sa photo d'enfant prodige, Nikki se tord les mains d'angoisse.

Nagasaki 1952 (3). Etsuko entend Ogata s'essayer au violon trouvé dans le placard. Elle était passionnée dit-il au point de réveiller tout le monde lorsqu'elle est arrivée comme réfugiée alors que Jiro n'était pas rentré de la guerre. Elle aimait Mendelson. Dans la lumière irradiante du soir, Etsuko pleure : elle avait sauvé le violon mais pas ses élèves ; le bruit des avions et les cris des enfants résonnent encore en elle. Le souvenir est interrompu par le retour le soir de Jiro avec ses collègues saouls sous le regard désapprobateur de Ogata. Sachiko vient sonner dans sa.robe a fleurs : Mariko n'est pas rentrée. Elles la cherchent dans la nuit. La maison est vide. Ils vont près de la rivière. Sachiko interrompt leur course pour dire qu'elle part dans deux trois jours. La priorité de Etsuko est de retrouver Mariko, allongée dans le bateau; Etsuko remarque les radiations à ses pieds, elle a une cordelette attachée. Au retour, Sachiko sert le thé sur une table avec fleurs de lys et belles tasses. Comme Etsuko lui rappelle la femme qui voulait emmener Mariko. Sachiko rappelle les souvenirs atroces des irradiés. La femme qui vivait avec eux dans un abris temporaire s'est tranché la gorge; jeune, amaigrie elle avait noyé son bébé et avait tourné son regard vers Mariko (bruit d'eau et sons frappés).

Flash sur Nikki écrivant tout en regardant une photo d'eux quatre où Keiko ressemble à Mariko.

Mariko et Etsuko sont seules. Mariko dit détester Frank. Elle avait un chat qui mangeait des araignées. si on les mange même effets que les radiations, elle tente vainement de la manger avant que Etsuko l'en empêche.

Royaume-Uni, 1982 (4). Nikki laisse courir une araignée. Retour de Etsuko avec un lys non ouvert. Elles font du jardinage, heureuses, elles déplacent l'érable dans le jardin japonais. Nikki interroge de nouveau Etsuko pourquoi elle n'est pas restée à Nagasaki. Elle répond qu'elle voulait un avenir meilleur pour Keiko, "une carrière de pianiste, ça fait rêver" dit elle sans convaincre Nikki qui veut savoir de quoi Etsuko voulait se délivrer. Plan sur jardin sous le soleil.

Nagasaki 1952 (4). Dans le parc en bas des collines d'Inasa, Etsuko offre des petites jumelles en plastique à Mariko. Elles empruntent le téléphérique pour arriver au parc au sommet des collines et rejoignent un groupe d'américaines venues du même état où se passe Les quatre filles du docteur March. L'enfant de l'interprète joue avec Mariko à grimper aux arbres. Quand maladroit, il tombe, il  accuse Mariko. Etsuko la défend. Du haut du belvédère, elles admire la baie de Nagasaki :  tout était dévasté, il faut garder espoir. Etsuko dit s'être beaucoup livrée à son amie. Sachiko aime parler anglais depuis qu'on lui a offert Un conte de Noël en anglais mais son mari l'en a empêché. Musique. Elles étaient toutes les deux à eseee. "On se ressemble toutes les deux. Les femmes doivent se réveiller. L'espoir est partout".

Fête du nouvel an chez la patronne. Mariko, au stand de tir à la carabine, veut une boîte de bois comme gros lot. Etsuko lui offre une autre chance de la gagner et l'encourage. La caisse est destinée à amener les chatons en Amérique. Dans le tram, Mariko s'endort. Sachiko fixe une forme féminine. Etsuko la regarde. La silhouette de dos, semble les regarder.

Le soir, le père relance la partie de Shogi mais Jiro refuse. Le père, penaud, dit qu'il est comme un fils qui attend son père pour jouer. Dans leur chambre, Jiro avoue ne pas vouloir passer du temps avec son père : il lui en veut d'avoir crier "Banzai" quand il partit au front. Le matin, Jiro a du mal à trouver sa cravate alors qu' Etsuko lui reproche de ne pas avoir fini la partie avec son père. Comme elle lui noue ses lacets, il l'enjoint à se comporter en mère. Elle dit ne pas renoncer à ce qu'elle fut sous prétexte d'avoir un enfant. Ce qui le stupéfait.

Etsuko accompagne Ogata dans sa promenade. Elle l'attend sur un banc en contrebas du porche de l'université où il est venu pour voir Shigeo. Celui-ci est surpris de voir Ogata qui sort son exemplaire de la nouvelle éducation. Tout a changé depuis deux trois ans lui répond son ancien élève lui reprochant de lui avoir enseigné un terrible tissu de mensonge, fait subir un lavage de cerveau ayant entraîné le Japon dans la pire période de son histoire. Un nouveau matin est en train de se lever. Ogata se fâche, affirmant avoir été dévoué à son travail.  Shigeo lui rappelle les cinq enseignants de Nishizaka jetés en prison en avril 1938. C'est eux, désormais délivrés, qu'on écoute maintenant

Etsuko prépare une Omelette. Ogata fait sa valise pour rejoindre Fukuoka. Sur le quai de la gare, Etsuko porte un chemisier rouge. Ogata se dit rassuré de la voir heureuse : il n'était pas sûr de l'opportunité de ce mariage. Elle le rassure : ils se sont aidés, ils ont tenu bon ensemble mais aujourd'hui les choses ont changé. "Vous aussi vous devez changer" dit-elle en lui confiant son bento. Le taxi ramène chez eux Jiro et Etsuko. Celle-ci est encore hanté par la peur d'avoir été irradiée. Si elle l'avait été, l'aurait t-il épousé ?

Alternance 52/82. Au coucher de soleil, Etsuko lit la carte postale de Ogata qui se dit désolé de s'être imposé. Flash sur Nikki regardant cette même carte postale, la statue de la liberté, qui se trouve pourtant à Nagasaki. Etsuko voit la silhouette noire d'une femme sur le pont. Elle le traverse ; regarde la porte fermée de Sachiko. Nikki approche de la porte de la chambre de Keiko. Etsuko interroge Mariko : la femme vêtue de noire est-elle venue ? Elle découvre un immense tas de bagages. Sachiko fera un transit par Kobe; elle. emballe les tasses. Elle sait que cela ne sera pas facile mais elle veut partir. "Tu penses à Mariko ?" interroge Etsuko. "Elle se débrouillera" répond Sachiko. Mariko est furieuse de ne pas emmener les chats. Sachiko met les chats dans la caisse en bois, même si Etsuko tente de l'en empêcher. Elle noie les chats sous un ciel rouge et se retourne. Mariko fuit.

Nikki trouve la caisse avec dedans les jumelles, les tasses et Un conte de noël. Etsuko en rouge court après Mariko. Nikki regarde l'album de photos où Keiko cinq ans est avec les chats sur le devant en bois de la cabane. Etsuko retrouve Mariko (bruit d'avions). Mariko dit qu'elle ne veut pas aller en Angleterre. Etsuko tient des cordelettes dans la main. Mariko a peur.

Royaume-Uni, 1982 (5). Etsuko se réveille, voit un chat, le suit et rejoint Nikki regardant des photos, notamment celle de sa naissance le 20 novembre 58 avec ses parents et Keiko. Etsuko dit qu'elle savait que Keiko ne serait pas heureuse. Nikki la dément : elle espérait qu'elle le soit. "Ce n'est pas de ta faute si Keiko est morte". Etsuko joue du piano et revoit la réalité d'elle et sa fille en 1952 : lorsque la première jeta l'eau au visage de l'homme grossier, se promenèrent dans le parc ;  se retrouvèrent dans le tram. Elle qui la regarde depuis l'avenir.

Au matin, le lys s'est ouvert dans la cuisine. Nikki sous la douche doit ensuite mettre le chutney préparé par Etsuko dans la valise déjà pleine. Elle est seule et dit aspirer à autre chose que le mariage et des enfants. Comme Etsuko est sceptique, Nikki lui rappelle son mantra d'il y a trente ans : "Tu vas devoir changer, tout le monde doit changer". Dans la végétation florissante de l'Angleterre, Nikki part avec sa valise.

  Le film alterne les deux époques de 1982 et 1952. Mais dans le récit de la période de son passé, Etsuko préfère mentir que d'avouer la triste réalité que fut sa migration en Angleterre. Elle invente pour sa fille le personnage de Sachiko qu'elle présente comme celle qui aurait pu l'inciter à partir mais qui est en réalité la projection d'elle-même en 1958, plus décidée mais aussi tragique que la douce Etsuko qu'elle était six ans auparavant.

Cette fusion des personnages d'une part de Etsuko et Sachiko et, d'autre part, de Keiko et Mariko n'est suggérée que par deux phrases dans les dix dernières pages du roman de Kazuo Ishiguro. Celui-ci insiste bien davantage sur la fracture entre ceux qui vivent dans la nostalgie du passé dont M. Ogata et ceux qui prennent conscience plus ou moins vite qu'il est nécessaire de changer. Le film ne révèle aussi qu'à la fin la fusion des personnages mais de manière plus franche. Mariko sur le ponton dit qu'elle ne veut pas aller en Angleterre (et non en Amérique) et surtout Nikki découvre parallèlement des photos de famille où Keiko a les traits caractéristiques de Mariko. Elle découvre aussi les objets de celle-ci dans la fameuse caisse en bois dont les jumelles en plastique. Kei Ishikawa appuie ensuite un peu plus : Etsuko joue Mendelssohn au piano et revoit la réalité d'elle et sa fille en 1952 : lorsque la première jeta l'eau au visage de l'homme grossier, se promenèrent dans le parc ; rentrèrent chez eux avec le tram.

Si la fusion n'est révélée qu'à la fin, tout dans le film, et ce depuis sa scène initiale incite invite à en interroger la possibilité. Une deuxième vision du film accentue l'émotion que l'on ressent face aux difficultés que Etsuko a dû affronter pour quitter le Japon afin d'y trouver une vie meilleure pour elle-même et sa fille. La mise en scène utilise en effet les ressources de la couleur, des jeux de regards entre les personnages et du son pour réaliser l'un des plus beaux mélodrames de l'histoire du cinéma.

Les couleurs du mélodrame

Le chemisier rouge de la femme que l'on voit de dos courir dans les hautes herbes jusqu'à une rivière où flotte une caisse de bois est un flash-back en attente de résolution. Qui court ? Quand ? et vers qui. C'est ce cauchemar qui saisit Etsuko et va l'inciter à développer ses souvenirs pour Nikki. Elle porte là un chemisier de couleur vive alors qu'elle se cantonne jusque là à des couleurs pales, douces et discrètes alors que Sachiko préfère les couleurs vives, violet ou robe à fleurs. Quand les deux femme se parlent fusionnant leurs espoirs les couleurs se rejoignent un peu : rose pale et rose à peine plus foncé. Ainsi lorsque Etsuko enfile ce chemisier rouge, pour reconduire Ogata, c'est aussi pour lui dire que tout doit changer et, dans son cauchemar le moment où elle va parler à son enfant au bord de la rivière pour la rassure sur leur départ en Angleterre; départ qui, elle ne le sait pas alors, sera fatal à sa fille quelques années plus tard.

La couleur jaune du soleil couchant qui irradie la pièce ou M. Ogata joue maladroitement du violon abandonné depuis des années par Etsuko donne lieu au souvenir par celle-ci du jour fatal du 9 août 1945 où elle du fuir du quartier de Nakashima pour éviter les radiation avec le remord d'avoir abandonné ses élèves. Ce souvenir de la bombe, évoqué ici seulement par la couleur et le son) est beaucoup plus présent que dans le roman où,   même s'il est bien relaté la noyade du bébé de "la femme de l'autre rive",  il n'est pas fait état des marques sur les bras de Mariko  et des angoisses répété d'Etsuko d'avoir été irradiée.

Enfin les teintes généralement ensoleillées de la partie à Nagasaki, voire saturées des teintes des coucher de soleil s'opposent au bleu gris de la pluie de l'Angleterre. Le jardin Japonais servant de transition entre deux lieux. Le rôle de Nikki y est bien plus développé que dans le roman où sa venue, qui ne changera rien ni pour elle ni pour sa mère, y est seulement l'occasion d'évoquer ses souvenirs. Ici le mantra sur la possibilité de changer ne cesse d'être répété. "Tu vas devoir changer, tout le monde doit changer".

En 1952, une affiche de cinéma est bien visible : Le goût du riz au thé vert. Dans ce film, Ozu raconte comment on doit se satisfaire d'une vie de couple assez médiocre. Incontestablement, Kei Ishikawa appelle à changer cette morale.

Un regard dédoublé

Les postures souvent maniéristes des corps et des regards participent au mélodrame. C'est Sachiko vue de dos qui narre la noyade de son enfant par "la dame de l'autre rive". Le regard insistant de Etsuko sur Sachiko recevant Frank juste avant le générique se répète lorsqu'elle regarde s'enfuir Mariko après que Sachiko se soit disputé avec le client. Sachiko dans la profondeur de champ, floue pendant que Etsuko défend Mariko est étrangement muette. Ce dédoublant des deux femmes sur l'action à laqulele une seule participe, dédouble l'émotion. L'étrangeté de ces postures disparaîtra bien evidement dans la séquence où Etsuko se revoit seule avec sa fille sans son "double".

Autre indice constant que Etsuko et Sachiko sont une même personne, le goût des belles choses notamment des porcelaines et des lys si étranges dans la demeure délabrée de Sachiko. La revue des toilettes hollywoodiennes; la cuisine aussi simple que délicate : omelette, hachis-parmentiers, tsukemono de légumes, le jardin japonais entretenu. Ce goût de la beauté qui entretient Etsuko dans l'exigence d'obtenir mieux, le réalisateur l'exalte aussi avec un plan de fougère ou des pommes splendides.

Le présent hante le passé

L'arrivée de Nikki dans la maison de son enfance lui permet à l'égal de sa mère d'affronter le passé ce qui est matérialisé par le montage alterné entre l’ouverture de la porte pour découvrir qui est la femme en noire et Etsuko s'approchant de la chambre de sa sœur. Etsuko l'a vu franchir le pont depuis chez elle. Dans le roman, elle est la veille cousine Sachiko. Kei Ishikawa lui fait jouer un tout autre rôle; c'est le fantôme du présent qui vient inquiéter les souvenirs insincères de Etsuko. Lorsquelle raconte ses souvenirs du retour en tram, sans doute se demande-telle s'il est bien legitime de la faire aisni, de maquiller le réel : le fantôme du présent vient hanter le passé.

Habile travail sur les photographies lors du générique. Si certaines sont purement documentaires, d'autres intègrent le personnage du second mari de Etsuko, photographe de guerre et Etsuko elle-même c'est cette photographie que Nikki tient en main qui assure la transition entre ce générique et l'arrivée de Nikki en Angleterre.  Reste néanmoins quelques mystères, quel est le rôle de la cordelette que Etsuko amène avec elle les deux fois où elle court vers Mariko; a-t-elle un lien avec la mort des trois enfants dont parle le journal au début ? 

Jean-Luc Lacuve, le 1er novembre 2025.

Retour