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Marcello Mio

2024

Ecouter : La ballade du mois de juin et Comment est ta peine ? de Benjamin Biolay; Le grand sommeil d'Etienne Daho ; Mi sono innamorato di te de Luigi Tenco

Avec : Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Benjamin Biolay, Melvil Poupaud Nicole Garcia, Fabrice Luchini, Stefania Sandrelli (Eux-mêmes), Hugh Skinner (Colin), Marlène Saldana (la photographe). 2h01.

Chiara Mastroianni se maquille dans le camion de la régie d'une photographe de mode qui installe voiture de course, lumières et machine à vent devant la fontaine de la place saint Sulpice à Paris. La photographe reproche à Chiara d'arriver tard et d’avoir ainsi perdu la lumière de l'aurore. Elle lui reproche aussi les tongues qu'elle porte aux pieds et non les bottes vertes prévues. Elle donne l'ordre en criant à Chiara de marcher dans la fontaine, telle Anita Ekberge dans la dolce vita . Chiara, déjà trempée, doit monter sur une échelle et accéder au niveau du dessus pour tel dans le film de Fellini inciter Marcello à la rejoindre "Come here, Marcello". Trempée, exténuée, Chiara sort de la fontaine et revient chez elle. Elle se voit dans la glace tel le reflet de son père qui continue de la regarder alors qu'elle s'est évanouie.

Le matin, sa mère, Catherine Deneuve, vient la retrouver inquiète qu'elle n'ait pas répondu au téléphone. Chiara, une serviette sur la tête, lui dit avoir rêvé qu'elle était Marcello. Catherine,ne trouve pas qu'elle ressemble tant que ça à son père, revendiquant aussi son héritage dans son physique. Elle la prépare à son casting avec Nicole Garcia, lui affirmant qu'elle doit parler vite car la réalisatrice ne supporte pas le moindre signe de mollesse. Mais lorsqu'elle répète avec Marcello,  Nicole Garcia la veut moins Catherine et plus Marcello.

Venue répéter un tour de chant chez Benjamin, Chiara interprète La ballade du mois de juin puis exprime ses doutes et combien son père lui manque. Il trouve des explications psychologiques. Elle enfile sa veste, ses chaussures et un sweet à capuche. Elle erre dans les rues. Elle est dépitée qu’on lui réponde "merci madame" quand elle donne une cigarette à une passante. Un chien la conduit sous un pont où elle aperçoit, accroché à la balustrade, un soldat qui pleure près à se jeter dans la Seine. Mais non, il attend un ami qui lui a promis de le revoir avant la fin de l'été dont il ne reste que quelques jours. Elle le raccompagne à la caserne.

Elle a appelé son maquilleur qui lui fait une coupe et apporte une perruque pour parfaire son apparence en Marcello. Avec le chapeau et les lunettes elle ressemble à Marcello jeune. Elle se rend au restaurant d'un ami italien de ses parents. Le patron, désarçonné par sa tenue, appelle Catherine stupéfaite elle aussi quand sa fille lui affirme tenir à ce qu'on l'appelle désormais Marcello.

Marcello trouve, à la porte de son appartement, Fabrice Luchini venu lui apporter des fleurs. Il veut être son ami. Ils tentent de convaincre Nicole Garcia de jouer ensemble. Nicole refuse et s'excuse de ne l'avoir considérée que comme la fille de ses célèbres parents. Elle exige une explication en tête à tête au grand regret de Fabrice qui voudrait tout partager avec son nouvel ami. Marcello réaffirme sa volonté de jouer en tant que réincarnation de son père mais doit la quitter pour se rendre au concert de Benjamin. Celui-ci est surpris de la voir ainsi transformée mais fait contre mauvaise fortune bon cœur et la fait chanter en italien. C’est un triomphe et les spectateurs la filment abondamment. A la sortie, Melvil est furieux; son père la lui avait confiée et il refuse qu’elle perde ainsi les pédales; il veut qu'elle arrête de jouer cette comédie et lui enlève violemment chapeau et perruque.

Dans la nuit, Marcello appelle Fabrice, heureux de cette marque d'amitié. Il quitte sa femme et la retrouve dans un bar où elle parle d'elle enfant qui aurait aimé que ses parents soient mariés en vrai. Ils vont sur le pont, attendre Colin. Il lui dit que Marcello a déjà vécu cela dans un film, Les nuits blanches de Visconti avec Maria Schell. Ils se quittent en promettant de se revoir le lendemain. Marcello poursuit sa route jusqu’à la caserne de Colin dont les portes s'ouvrent comme dans un rêve; le chien la conduit jusqu'au dortoir de Colin. Ils vont fumer une cigarette sur les toits de Paris et s'embrassent. Marcello se réveille au matin au Trocadéro devant la tour Eiffel.

Catherine rencontre Melvil au Luxembourg qui prend une leçon de taïchi. Il voudrait s'excuser de sa violence de la veille. Marcelo appelle Catherine et l'invite à le rejoindre devant leur ancien appartement. Elle se souvient enfant écouter la Callas, qui habitait au dessous. Son père eut-il une relation avec elle? Catherine n’aime pas l'appartement et le dit au nouveau propriétaire.

Marcello est appelé à Rome par La rai pour une interview; sa mère en est désolée et lui recommande d’être prudente. Fabrice propose de l'accompagner. A défaut, il l'emmène à l'aéroport en scooter. Elle arrive aussi en scooter à Rome. C'est un piège :au lieu de l'interview promise, on lui colle un numéro sur une pancarte pour etre l'un des sosies de Marcello que la vedette de l'émission , Stefania Sandrelli, qui joua Divorce à l'Italienne avec lui, doit reconnaître. Stefania Sandrelli ne se trompe pas et reconnaît quelque chose de Marcello Mastroianni dans Marcello. Mais le supplice de celle-ci n'est pas fini: pour prouver qu'elle est bien ce qu'elle prétend être, elle doit faire abaoyer un chien en chantant comme dans le film. Marcello s'en tire bien. Mais, excédée par la perfidie de la présentatrice qui tente de rendre piteux son déguisement, Marcello fuit le plateau. Elle a bien du mal à échapper aux autres sosies qui, dépités de voir sabotée l'émission, courent vainement à sa poursuite. Pour se laver de cette infamie, elle se baigne dans la fontaine de Trevi et se fait embarquer au poste . Quand elle rentre à l'hôtel, Marcello regarde le patinage artistique et appelle Fabrice,lui disant  passer deux jours dans un hôtel de Fiumicino au bord de la mer où son père avait l'habitude d'aller.

Elle flâne sur la plage Fiumicino et se fait interpeller par une ancienne maîtresse de son père qui la reconnaît ainsi habillée mais la laisse en riant quand elle ne peut se rappeler de son prénom.

Fabrice lui fait la surprise de la rejoindre le soir alors qu'elle prend le café au restaurant. Il est accompagné de la bande de ses amis; ils jouent au volley. Le matin, tout est bien dans le bel été finissant, jusqu’à ce que Catherine, prise aussi dans le rêve, s'approche de Marcello et lui dise bonjour mon amour en l'embrassant amoureusement. Marcello fait un brusque sursaut pendant que Catherine va étancher sa peine dansa chambre. Chiara vient retrouver sa mère dansa chambre pour compatir à sa peine. Elle délaisse ses habits pour nager nue dans la mer. Ses amis, inquiets, se lancent à sa poursuite. Heureuse, rassurée, Chiara sourit, ses longs cheveux dans la mer immense.

Entre drame de l'enfance et comédie sophistiquée, Christophe Honoré pourrait offrir une nouvelle variation sur la disparition du père après Le lycéen. C'est pourtant un portrait de femme, un portrait d'actrice qui tente de disparaitre le temps d'une crise d'identité pour incarner la lumière d'autrefois que distillait son père et qui la réchauffe.

Une transformation chaotique...

C’est fatiguée par une journée de travail harassante que Chiara voit apparaître le visage de son père dans la glace. Qu’elle se soit prêtée à interpréter Anita Ekberg dans La dolce vita auprès d'une photographe vitupérante n’est pas pour rien dans cette apparition d'un reflet interrogateur sur sa vie. Le cinéma n’était-il pas plus respectueux des acteurs auparavant ? Après qu'elle ait rêvé de son père, c’est sa mère qui lui demande de jouer son rôle comme elle a perçu que le souhaitait Nicole Garcia. Mais celle-ci trouve que ce jeu rapide et rythmé est celui de Catherine Deneuve et non celui qu'elle attendait plus rond, chaleureux et lent de Mastroianni. Une nouvelle fois confrontée à l’ombre de son père, Chiara s’en va trouver chez Benjamin, son ex-compagnon et ami de scène, le premier costume qui lui permet de s'alléger du poids du présent pour jouer le rôle de son père dans lequel elle souhaite disparaître.

Cette transformation n’est pas une réussite immédiate ; on lui répond "merci madame" quand elle offre une cigarette à une passante. Il lui faut donc l'aide son maquilleur pour que l’illusion fonctionne et que tous l’acceptent ; sa mère et Benjamin avec bienveillance ; Melvil d’abord avec violence avant de faire amende honorable puis Fabrice avec enthousiasme et acharnement et même Nicole qui fait partie de la bande qui vient rejoindre Marcello en Italie. Il ya aussi Colin avec qui, elle qui n’est plus amoureuse depuis longtemps, peut vivre une histoire d’amour amitié plus légère que celle engagée avec Fabrice.

Comme le fantôme semble s'être débarrassé du poids du corps pour n’être plus qu’un ectoplasme à remplir de souvenir, le film aussi se fait léger au fur et à mesure que les gens acceptent la transformation. Marcello cherche plus grand qu’elle, une protection contre les agressions du monde qu’elle a perçu enfant et qu’elle aimerait retrouver. Bien entendu, il y a la télévision italienne qui pourrait la faire chuter, ramenant sa transformation à un déguisement puéril et sordide, plus piteux encore que les autres sosies assumant leur part de spectacle. Il faudra le bain dans la fontaine de Trevi pour laver l’infamie.

... pour une résolution fulgurante.

La sortie de ce jeu léger et profond, c’est à la magnifique et bouleversante Catherine Deneuve qu’il est confié. Celle-ci s'étant prise au jeu le matin d’été au bord de la plage où tout est harmonie comme autrefois, elle embrasse Marcello comme autrefois son compagnon. Par ce baiser, Chiara comprend qu’elle a réveillé tout à la fois le rêve et la blessure de sa mère. Elle arrête le jeu pour deux autres immensités, là aussi présentes, immanentes, celles de la mer et des amis qu'elle voit venir à sa rencontre.

Le léger et enivrant pastiche de l'été

Le film ne se fait pas faute de pasticher quelques films célèbres avec Marcello Mastrioani, La dolce vita (Federico Fellini, 1960) bien sur avec les deux séquences dans les fontaines à Paris et Rome mais aussi la balade sur la plage, à l'aurore autrefois, au crépuscule ici mais tout aussi nostalgique. Chiara Mastroianni interprète aussi hors-champs, dans une séquence en noir et blanc, son père réprimandant le jeune Melvil de commander des lasagnes dans un restaurant de poissons au bord de la mer. L'attente sur le pont est, comme le rappelle Fabrice Luchini, le thème narratif des Nuits blanches (Luchino Visconti, 1957). Divorce à  l'italienne (Pietro Germi,1961) est convoqué pour la rencontre entre Marcello Mastroianni et Stefania Sandrelli. Le chien du film est celui qu'apprivoise Chiara et non celui qu'on donne à Chiara pour le faire aboyer en chantant. Pour cette séquence de grande vulgarité italienne, Marcello est habillée comme dans Ginger et Fred dont Fellini pourfendait déjà la vulgarité en 1985. Le film navigue entre deux livres dont on aperçoit les couvertures. Paysage de l'immobilité d'Yves Régnier et Mouvements de Philippe Sollers. Les chansons sont choisies avec soin et, en sus de "Toccata Tromba", Alex Beaupain confie à Catherine Deneuve l’émouvante : "Di, Marcello, perché ridi" 

Jean-Luc Lacuve, le 24 mai 2022.

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