Les derniers jours d'une ville

2016

(Akher ayam el madina). Avec : Khalid Abdalla (Khalid), Laila Samy (Laila), Hanan Youssef (Hanan), Mariam Saleh Saad (Maryam), Hayder Helo (Hassan), Basim Hajar (Tarek), Bassem Fayad (Bassem) Ali Sobhy(Aly), Islam Kamal (Le monteur). 1h58.

Décembre 2009 au Caire. Khalid, un documentariste d'une trentaine d'années, veille sur les derniers jours de sa mère, en phase terminale à l'hôpital. Parallèlement, il cherche un nouvel appartement, le sien devant être détruit en février. Khalid essaie aussi de trouver un sujet pour les rushes qu'il a accumulés. Il a filmé sa ville et ses proches si longtemps à présent, collectionnant histoires et images qui saisissent quelque chose de l'essence du Caire et de son battement de cœur - mais rien n'en est ressorti. Il interroge Hanan qui dirige une troupe de théâtre et possédait une maison à Alexandrie

Les histoires qu'il veut raconter continuent d'évoluer tandis que Le Caire qui lui est cher est en train de disparaître. Son père est décédé sans l'avoir jamais vu finir un seul film et Leila, la femme qu'il aime, quitte l'Egypte. S'il ne fait rien maintenant, il ne le fera jamais, et bien qu'il ne puisse pas changer ce qui est en train d'arriver au Caire, c'est sa dernière chance de faire face, à lui-même, à sa ville, de faire un pas en avant.

A l'occasion du Festival du Film du Caire, trois de ses amis viennent lui rendre visite. Hassan de Bagdad, Oday qui a fuit cette ville et obtenu le statut de réfugié à Berlin, et Bassem de Beyrouth, tous trois réalisateurs confirmés. Ils ne se sont pas retrouvés tous les quatre depuis longtemps et font en sorte d'en profiter. Ensemble ils sortent dans les cafés des rues du centre-ville et les repaires à noctambules, ils se racontent des histoires et rient de leurs destins et ceux de leurs villes. Bagdad, qu'Hassan refuse de quitter malgré la menace qui est faite à sa vie. Beyrouth, où Bassem vit sous la tension d'une perte de repaires politiques.

Le monde de son film et ses amitiés se mélangent et lors d'une de leurs virées nocturnes. Surpris de voir que Khalid s'est finalement décidé à faire quelque chose, ils le tannent pour découvrir ce qu'il leur avait caché. Il leur explique son film, et son titre, qui semble au diapason avec l'histoire de ces amis qui viennent de villes qui se battent pour ne pas perdre l'équilibre. Inspirés et désireux d'aider leur ami ils décident de filmer pour lui des bouts de leurs propres vies dans leurs villes et de les lui envoyer, dans l'espoir, à de défaut de l'aider à vivre, de lui permettre de finir quelque chose qu'il a commencé.

Khalid voit les oppositions radicales gagner la rue: les islamistes réclament le pouvoir, la gauche socialiste aussi. Le pouvoir réprime à coup de matraques. Khalid reste impuissant quand un jeune manifestant est rué de coups par les sbires du pouvoir alors qu'une photographe, à ses côtés, fait son métier. Plus tard il voit la photo de celle-ci servir d'étendard à la gauche égyptienne qui réclame sa libération. Lorsqu'il tente de filmer une femme rouée de coups par son compagnon, il est pris à parti par celui-ci qui l'interpelle de loin et cela suffit à l'arrêter dans sa démarche.

Bassem lui envoie des images de Beyrouth sous la pluie, des souvenirs de son père qui vit des cadavres le jour de sa naissance, de sa peur, depuis, des ruelles étroites. Hassan lui envoie des images de Bagdad magnifique au soleil couchant, des extraits de son film sur un vieux calligraphe irakien. Hassan survit à une première bombe mais est tué dans un attentat. Khalid reçoit son cadeau posthume : le titre de son film calligraphié par le vieux sage irakien.

Fin 2008, deux ans avant le mouvement protestataire qui allait gagner le pays, le réalisateur égyptien Tamer El Said a commencé à filmer la ville du Caire, déjà étouffée par l’autorité du régime d’Hosni Moubarak depuis plus de 30 ans. Les commentaires à la radio qu'entend son alter ego, Khalid, disent cette omniprésence dans les médias du chef de l'état (visites à Sarkozy, encouragements pour l'équipe de foot...). Khalid voit bien que tout s'écroule autour de lui : sa mère meurt, la femme qu'il aime quitte l'Egypte et le quitte, les immeubles autour du sien sont en démolition pour laisser place à de nouveaux bâtiments et il est sommé de quitter les lieux.

Les derniers jours d'une ville, Montgolfière d'or au festival des trois continents de Nantes en 2016, est un manifeste poétique sur l'engagement des cinéastes en temps de crise. Faut-il répondre à l'impératif de l'engagement ou de l'actualité ou tenter de construire une histoire personnelle ou le présent est relié au passé ? Faire des images dans l'instant ou, comme il le fait Khalid, filmer puis poser le son ensuite, quitte à produire du décalage texte-image? Faut-il ne compter que sur soi ou tenter de trouver un réseau d'amis pour réfléchir ensemble ?

Jean-Luc Lacuve le 08/07/2016