Déserts

2023

Genre : Road movie

Cannes 2023 Avec : Fehd Benchemsi (Mehdi Attaf), Abdelhadi Talbi (Hamid Dergoune), Rabii Benjhaile (L'évadé), Hajar Graigaa (Selma / Hadda), Mohamed Choubi (Le père de Naïma), Nezha Rahile (La patronne), Faouzi Bensaïd (L'épicier), Abdellah Echabbi (Zemmouri), Oussama Oussous (L'homme rond), Fatima Harakat (La mère de Mehdi), Rabii Said (Le coiffeur). 2h05

Mehdi et Hamid, deux hommes jeunes aux costumes et cravates froissés, ont posé une carte sur le capot de leur voiture. Pendant qu’ils se disputent sur la route à prendre la carte s'envole et les voilà livré à eux même pour récupérer les arriérés de prêts pour leur agence de recouvrement de Casablanca qui n'ont pas été remboursés par des villageois accablés par la pauvreté et la sécheresse. Ils descendent ainsi à pied dans un village troglodyte à flanc de falaise pour soutirer de l'argent à une famille. L'homme s'était endetté pour le mariage de son frère avant de se retrouver sans emploi avec la fermeture de la mine. Ils emportant un tapis, une chèvre et quelques dirhams alors que le pauvre homme n'a même plus le tapis pour faire dormir ses enfants. Mehdi est le plus dur des deux alors que Hamid est un trésor de gentillesse, trop faible pour dire non mais dormant bien et mangeant bien.

Mehdi et Hamid sillonnent ainsi le sud du Maroc dormant dans des hôtels miteux au milieu du nulle part dans une voiture poussiéreuse : ils embarquent une camionnette en piteux état et dépouillent un épicier de son local car le métal dépecé par les ferrailleurs fournira toujours un peu de liquidités. Ils récupèrent du minerai ou, en échange d'une commission, font le taxi pour conduire des clients chez un coiffeur ou des jeunes costumés en super-héros pour une animation dans un centre commercial.

Chez un garagiste ami, ils transforment la voiture en un coupé en sciant le toit pour leur retour à Casablanca. Medhi doit trouver de l'argent pour élever sa fille qu'il a confiée à sa mère. Or celle-ci ne peut plus faire face aux coûts d'éducation et lui propose de faire adopter sa fille par des gens riches. Hamid va bientôt se marier avec Naïma et se fait déjà exploiter par le père de celle-ci, un ivrogne qui vit sous la coupe de sa femme, acariâtre et despotique, qui méprise Mehdi.

Dans un village à la recherche d'un hôtel, ils suivent un gros homme dans un bar et le voient se cogner la tête contre les murs. Puis un homme à cheval vient réclamer l'argent de sa protection. C'est Zemmouri, un bandit. Saouls, ils suivent le gros hommes chez les partent de hadda sa fiancée qui ne veut plus de lui.Leur médiation est inutile : Hadda repousse le gros homme... qu'ils abandonnent le lendemain : leur voiture ne pouvant supporter son poids et celui-ci et de ses bagages.

Ils sont de retour à Casablanca pour le séminaire d'entreprise où la patronne désigné Mehdi et Hamid comme ses plus mauvais commerciaux.Elle les aurait licencié si un nouveau projet n'avait germé dans son esprit : transformer tous les salariés en auto entrepreneurs qui gagneront, sans taxes ni cotisations sociales, 5% des sommes recouvrées. Leur faisant miroiter des revenus mirobolants, tous l'applaudissent à l'exception d'un seul. Il fait remarquer que c'est l'argent des riches qu'on ne recouvre jamais. Il est immédiatement expulsé dans l'indifférence générale.

Dans une station service, Mehdi et Hamid rencontrent un homme accablé qui a enchaîné derrière sa moto un bandit de grand chemin. L'homme vient d'apprendre qu'il a perdu, mort-né, le fils qu'il attendait depuis cinq ans. Un second appel téléphonique lui apprend que c'est non son fils mais sa femem qui est morte. Pour les funérailles, il doit abandonner son prisonnier et donne 3000 dirhams à Mehdi et Hamid pour le conduire en prison. La route est longue et c'est bientôt la nuit.

Le prisonnier s'est évadé et conduit la voiture dans le village de Hadda qui a Selma pour sœur jumelle qui fut enlevée par Zemmouri. Le père lui donne un fusil. L'évadé contraint Zemmouri à laisser partir Selma. Le couple des amants se retrouve et parcourt le désert accompagné du chien fidèle.

Mehdi et Hamid ont été laissés en plein désert et se lamentent sur la confiance qu'ils ont accordé à l'évadé.Durant leurs nuits de solitude autour d'un feu du camp, leur amitié grandit. Un soir ils accompagnent un groupe de migrants.

L'évadé conduit Selma chez sa mère où ils se reposent près de la rivière. Mais Zemmouri veut se venger de l'humiliation subie et abat l'évadé dans le dos.Avant de mourir, celui-ci a juste le temps de revenir vers Mehdi et Hamid et de leur remettre le butin de la banque quilsavait barqué. Les deux hommes reviennent vers Casablanca unis mais tristes de la fin de L'évadé.

 L'odyssée de ces deux pieds-nickelés accablés de soucis personnels (l'éducation de sa fille pour l'un, un mariage qui s'annonce comme un enfer d'humiliations pour l'autre) révèle un mode d'exploitation où ce sont les pauvres qui exploitent les encore plus pauvre sous le contrôle de patrons arrogants, eux-même sous la protection d'un système corrompu. Le rire, le burlesque est le seul cri de colère possible et le film en fait plusieurs fois la démonstration. Le montage très précis de ces séquences (la voiture sciée puis remontée à l'envers, l'impossibilité de charger le gros homme, le discours de la patrone, l'épicerie dépecée) rappelle celui d'Elia Suleiman dont Faouzi Bensaïdi fut l'acteur dans It must be heaven (2019). Dans la fable aussi, c'est le plus innocent, le plus courageux et le plus aimé qui meure.

Hôtels perdus au milieu de nulle part, splendeur des villages à flanc de montagne sous la chaude lumière de l’été, paysages désertiques, proches parfois de Monument valley. La rupture vers la légende se fait avec l’arrivée de L'évadé, qui entre dans le cadre à contre-sens puis dans la  séquence où la voiture roule dans la poussière et disparaît dans cette matière brumeuse dont sont faits les songes. Ce deuxième ruban de récit fait écho à une légende, ou tragédie, bien connue dans le pays : l’histoire de deux gangsters ennemis, dont l’un a kidnappé la fiancée de l’autre pendant que ce dernier croupissait en prison où il l'avait envoyé.

Jean-Luc Lacuve, le 5 octobre 2023.