Paul dans sa vie

2005

Genre : Documentaire

Avec : Paul Bedel, Marie-Jeanne Bedel, Françoise Bedel, Fabrice Adde. 1h40.

"Je suis dans ma vie, dit Paul, pas dans le folklore". Dans sa petite ferme normande, à Auderville, tout au bout du cap de La Hague, Paul Bedel songe à prendre sa retraite. Il est né en 1930, il y a plus de 75 ans. À la mort de son père, il a repris l'exploitation familiale composée de quelques champs, quelques vaches, un morceau de littoral. Ses deux sœurs l'ont toujours aidé : à faire le beurre, cultiver le jardin, soigner la basse-cour. Aucun des trois n'a trouvé le temps ni l'occasion de se marier.

Au milieu de l'hiver 2003, le frère et les sœurs ont décidé d'arrêter l'élevage des vaches laitières avant l'hiver suivant. Fin avril, début mai, ce sont les semences : betteraves, blé, avoine dans les champs laissés vacants par les veaux que l'on a vendus. Le dimanche des rameaux : Paul est le bedeau de la paroisse, ses sœurs décorent l'église, il assiste le prêtre. Il raconte qu'un jour le prêtre lui a demandé de "porter la communion" à un fidèle. C'est ainsi qu'il portera ensuite la communion à ses deux parents indigents jusqu'à leur mort. L'été, c'est la fenaison et la moisson, Paul explique qu'il a repris la ferme pour aider son père puis sa mère.

En ce dernier été d'activité, le foin n'ira plus aux vaches. Il servira de litière pour les lapins. À l'automne, c'est la récolte des légumes, le moment des confitures et du cidre. L'hiver arrive et les vaches sont vendues. Le film se termine sur l'arrivée du printemps 2004 et une nouvelle année sans vrai programme .

Dernier acteur d'une paysannerie de survie du bout du monde, Paul a arrêté le temps à la mort de son père. Il a maintenu une structure familiale archaïque où il domine comme frère aîné alors que les sœurs, surtout la cadette, sont reléguées à l'arrière plan. La situation sociale et économique décrite rappelle celle de Regain de Marcel Pagnol et de Profils paysans de Raymond Depardon.

Paul Bedel vit comme les "anciens", en respectant leur expérience et leurs conseils. "On a toujours vécu sur nous-mêmes", dit-il. C'est-à-dire qu'il n'a jamais fait d'emprunts. Il n'a pas non plus d'employés. Seule la famille vient à la rescousse pour les gros travaux. L'activité principale est centrée sur les vaches : quatre en tout, qui produisent les veaux, le lait, la crème, le beurre (moulé à la main). Pour nourrir les vaches et les élever, Paul cultive betteraves et foin dans ses quelques champs. Paul possède aussi un champ de basse mer pour les coquillages, les poissons, les homards et une basse-cour bien garnie (dindons, canards, poules, puis lapins) pour les œufs et la volaille.

Les achats en nourriture sont donc limités, tout comme ceux de matériel : Paul est un champion du bricolage et de la réparation. Il sait faire des cordes avec les vieilles ficelles et répare lui-même ses machines. Il n'emploie jamais d'engrais mais prépare lui-même un fumier qui met trois ans à vieillir. Il explique en riant que pour faire l'œuf coque du matin, il faut labourer un champ, faire pousser du blé, le récolter, le donner à la poule...

Mise en scène de la transmission

Rémi Mauger n'apparaît pas à l'écran. On entend sa voix, off, à la première personne au début du film qui présente Fabrice, un enfant du pays qui, comme beaucoup d'autres, se prépare à partir. Fabrice tient un journal qu'il illustre de ses dessins de Paul. Il est censé profité des "leçons de choses" de Paul. La mise en situation pédagogique, la mise en scène de la transmission donne parfois lieu à des questions ou réflexions un peu trop naïves pour entraîner les confidences de Paul.

Sans doute, aurait-on aimé une lecture plus approfondie des carnets que l'agriculteur conserve dans sa "boîte à malice" où il note au jour le jour, le temps, toutes les activités de la ferme, les tâches faites, celles qui restent à faire, l'argent dépensé, reçu et parfois ainsi que parfois ses idées sur le monde, la société, la religion ("les petits groupes gagneraient à s'ouvrir sur ceux qu'ils ne connaissent pas"). Ces carnets relèvent de la longue tradition des "carnets de raison" tenus par les paysans lettrés. Leur étude plus poussée nous aurait peut-être valu d'autres aphorismes de Paul dont l'humour s'accomode mal de sa transformation par Fabrice en gourou d'une paysannerie mystique.

Rémi Mauger se montre plus précis et plus drôle avec la description des outils de Paul ; avec sa faux surgie du néolithique, l'écrémeuse, la machine à faire le beurre, la mobylette, la machine à faire des cordes moyenâgeuses, son tracteur de 1956, sa botteleuse des années quarante et sa batteuse de 1937 l'on croirait surgit du Tess de Polanski. La lande de La Hague est l'un des plus beaux paysages du monde. Les quelques cadres composés ici comme des cartes postales nuisent plus qu'ils ne renforcent la sincérité du propos.

Le progrès est parvenu jusqu'à Paul. Il reçoit le matin le journal de la veille mais n'est pas pressé de lire les nouvelles. Il les accepte sans renoncer pour autant à son savoir accumulé au fil des générations. Sa réaction au reportage de F3 sur le salon de l'agriculture est lucide, il approuve la nouvelle écologie de l'agriculture bas-normande mais se sait bien éloigné de ce nouveau modernisme. On aurait aimé l'avis du Paul sur le sujet. Mais celui-ci se défini comme "un poisson silencieux" et garde ses mystères. Il comprend le choix des autres de se rendre à l'usine nucléaire et reconnaît les bienfaits économiques qu'elle a apportés à la région. Il ne s'y est pas rendu, non pour des causes idéologiques, mais pour rester libre, loin des horaires de bureau ou d'usine.

Paul est un sage : il aime tout le monde.

Jean-Luc Lacuve le 12/05/2006