Un merveilleux dimanche

1947

Thème : Miracle

(Subarashiki nichiyobi). Avec : Isao Numasaki (Yuzo), Chieko Nakakita (Masako), Atsushi Watanabe (Yamamoto), Ichirô Sugai (Yamiya), Midori Ariyama (Sono). 1h48.

Voir : édition DVD

Dans Tokyo encore marquée par la guerre, Masako, comme tous les dimanches, rejoint son fiancé, Yuzo, à la gare. Yuzo n'a pas le moral : pour passer cet après-midi ensemble, il n'a que 15 yens. Même avec les 20 yens de Masako, comment passer un bon moment avec seulement 35 yens ?

A l'occasion d'une publicité pour de nouvelles constructions à vendre "à un prix raisonnable (100 000 yens pour les cent premiers clients)", ils visitent la maison modèle. En enlevant leurs chaussures, Yuzo constate que celles de son amie sont trouées et que la semelle se décolle. Parcourant les pièces, ils rêvent de leur installation future. " Il faut être plus réaliste, on n'a pas d'argent pour vivre dans le monde actuel" constate Yuzo amère. "Voila pourquoi on a besoin de rêves. Sans eux, on étoufferait. "réplique Masako. Ils ne remplissent pas nos ventres" renchérit Yuzo. Masako lui reproche alors de ne plus avoir les rêves de l'avant-guerre et notamment d'ouvrir un bar : "Le Jacinthe, café populaire". "Tu vis chez ta sœur et moi avec un ami, la priorité est de trouver un appartement" répond tristement Yuzo.

Alors qu'ils s'apprêtent à quitter cette maison qui est un rêve pour eux. Un couple de bourgeois, nouveaux riches, se montre dédaigneux vis à vis de la faible qualité de la construction mais la trouve néanmoins bien mieux que la chambre à louer qu'ils viennent de visiter. Masako, pleine d'espoir, leur demande l'adresse. Arrivant dans une pauvre rue, ils sont reçus par un gardien particulièrement décourageant : il ne leur conseille pas cette chambre, grande comme six tatamis, mais jamais ensoleillée à louer pour 600 par un propriétaire patibulaire qui exige 2000 yens de caution. De toute façon, leur salaire à eux deux, 1200 yens par mois, ne suffirait pas. Ils devraient travailler au noir ce qu'ils refusent.

Masako et Yuzo sont abattus lorsqu'une balle de base-ball vient rouler vers eux. Yuzo jouent avec des enfants. Il envoie la balle dans l'étal un marchand de brioches, qu'il dédommage en obtenant les trois brioches écrasées pour 10 yens. Ils mangent ainsi pour pas cher, se reposant dans un conduit en béton.

Masako découvre dans la poche de Yuzo une publicité pour un cabaret. C'est, explique-il, celle de Segawa un copain de régiment, mauvais soldat. Masako aimerait qu'il les invite. Yuzo, mal habillé, demande à être reçu par le patron, son ancien ami. Il est éconduit dans les arrières salles où déjeunent une hôtesse qui boit trop pour gagner sa vie et petits malfrats. Yuzo refuse l'argent que son ancien copain lui a transmis pour s'en débarrasser. Il rejoint Masako.

Ensemble, ils terminent leur repas sur les hauteurs de la ville. Ils rencontrent un orphelin qu'ils aimeraient protéger mais qui les renvoie à leur condition misérable de mangeurs de patates. Masako en est attristée, d'autant plus qu'ils croisent des enfants bien habillés, leur rappelant que tous n'ont pas les mêmes chances. "Allons au zoo retrouver une âme d'enfant et oublier" suggèrent Yuzo. La visite, 2 yens, les réconforte mais, à la sortie, il pleut. Masako entraîne son compagnon pour aller écouter en concert La symphonie inachevée de Schubert dont elle a vu une affiche qui propose des tickets pour 10 yens.

Ils courent, prennent un train, courent encore sous la pluie et arrivent à temps dans la file d'attente. Mais, devant eux, deux escrocs achètent les tickets B à 10 yens pour les revendre 15 yens. Si bien qu'ils ne peuvent entrer. Yuzo essaie de les acheter au prix normal mais se fait rosser. Cette fois Masako n'a pas d'autre choix que de l'accompagner dans sa chambre.

Pendant que l'eau tombe, goutte à goutte, dans une bassine, Yuzo se déprécie sans qu'elle puisse l'en empêcher. Il veut brusquer Masako qui se refuse et s'enfuit. Yuzo n'arrive pas à se reposer et découvre, attendri, la peluche que Masako a oubliée avec son sac. Quand Masako revient, prête à se donner à lui, il comprend sa détresse et sèche ses larmes. Le soleil est revenu et ils vont prendre un thé ensemble et dépenser leurs 20 derniers yens. Mais ils n'ont pas lu la petite ligne de la carte indiquant le prix du lait supplémentaire qui porte la note à 30 yens. Yuzo laisse son manteau en gage jusqu'au lendemain.

Mais la malhonnête du procédé sur le prix décide Yuzo à faire front. Il retrouve l'espoir d'ouvrir le Jacinthe, café populaire dont il mime le service. La lune éclaire ensuite leur jeu sur la balançoire avant que Yuzo n'aperçoivent le lieu du concert maintenant désert.

Pour Masako, seule spectatrice, il promet de "diriger" La symphonie inachevée si bien qu'elle entendra jouer les instruments. Il se présente sur scène et lève le bras. Masako lui apporte alors une de ses aiguilles à tricoter pour lui servir de baguette. Yuzo la lève mais le vent se lève et balaie les feuilles mortes de la scène en tous sens. Yuzo est découragé et se rassoie. Masako vient le réconforter et le persuade de remonter sur scène. Mais le vent souffle alors de nouveau. Yuzo se rassoit, désespéré. Masako monte alors sur scène, interpelle les spectateurs : ils doivent croire en eux, croire en ces amoureux perdus qui ont besoin de leur soutien. Ils entendent alors les musiciens accordant leurs instruments. Masako va se rassoir alors Yuzo, pour la 3e fois, lève sa baguette. Mais les feuilles qui volent au vent semblent cette fois être des groupes de musiciens qui répondent à sa baguette car le miracle se produit : tous deux entendent la symphonie inachevée. Masako en pleure et, bouleversée, vient embrasser Yuzo sur scène.

A la nuit tombée, ils doivent se quitter à la gare, encore attendris par le bonheur retrouvé. Ils se promettent de se retrouver le dimanche suivant.

Un merveilleux dimanche est un film presque expérimental. Comment, en effet, filmer durant près de deux heures l'après-midi d'un couple qui n'a que 35 yens à dépenser ? Après une succession de longues scènes, alternant joies et tristesses, toutes empruntes d'émotion, le film se termine par l'un des plus beaux miracles de cinéma. Humilié, presque brisé, le couple d'amoureux reçoit la grâce qui lui permettra de croire en lui et au monde. Le spectateur, qui ne peut éviter de pleurer avec Masako, en ressort purifié de tous les miasmes d'une société où les nouveaux riches triomphent trop souvent.

Les amoureux sont des enfants

Pour le scénario d’Un merveilleux dimanche, Akira Kurosawa s’est associé avec le dramaturge Keinosuke Uekusa, un ami proche qu’il connaît depuis l’enfance. Les deux hommes dépeignent ici le Japon de l’immédiat après-guerre où un jeune couple erre sans autre but que de rêver à une vie meilleure. Il est confronté à tous ceux qui ont su tirer parti des conséquences de la défaite : l'inflation, le mal logement, le marché noir, les bas-salaires. Encore entre le monde de l’enfance et celui des adultes, le jeune couple va puiser dans l'un de quoi trouver la force de vivre dans l'autre.

Le cheminement est long car Kurosawa est, selon Gilles Deleuze, un cinéaste préparant la crise de l'image-action. Il refuse la prompte action qui sortira ses héros de leur situation difficile. Il met d'abord en scène les différences, entre les pauvres et les riches, les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, les escrocs et les honnêtes gens. La séquence du cabaret avec les hôtesses obligées de trop boire pour accompagner les clients, la rencontre avec l'orphelin grandi trop vite, l'impossibilité d'assister au concert parce que le marché noir a fait monter les prix, disent la faiblesse des femmes, des enfants des pauvres. Etant toujours du coté des plus faibles et des exploités, le couple a peu de chance d'échapper à la crise. La séquence dans la chambre de Yuzo, alternant longuement espoir et désespoir, est rythmée par la seule pluie qui tombe dehors ou goutte à goutte dans une bassine dans la pièce. Elle relève du cinéma moderne où c'est à l'intérieur d'eux même que les personnages doivent trouver la solution. En l'occurrence le retour à son âme d'enfant pour Yuzo, attendri lorsqu'il découvre la peluche de Masako.

La proximité avec le monde de l'enfance avait été affirmée par les séquences du jeu de base-ball avec les enfants, de la brioche offerte à celui qui pleure, de la compassion pour l'orphelin. La caméra, souvent à hauteur des enfants dans ces séquences, exalte leur espoir naïf. Cette âme d'enfant est aussi affirmée par Yuzo déclarant "Allons au zoo retrouver une âme d'enfant et oublier". Pourtant cette proximité avec l'enfance n'empêche pas un jugement clairvoyant sur le Japon contemporain qui s'exprime dans le commentaire off sur la succession des plans sur les différents animaux (sans contrechamp sur Yuzo et Masako) : "Il y a des porcs dans la cage au lion : aujourd'hui, ce sont les porcs qui réussissent, engraissés par le marché noir", "les moutons ils survivent en mangeant du papier", "les ours portent de belles fourrures", "le couple de cygnes a l'air heureux, c'est parce qu'ils dorment sur l'eau", "les girafes ont une belle maison avec le chauffage central", "le singe a pitié de nous", "le dromadaire a l'air triste ; c'est toi qui lui trouve cet air parce que tu es triste". "Les animaux ont l'air heureux : l'inflation n'existe pas dans leur monde"

Un miracle dans un décor de plus en plus irréaliste

La séquence du mime de l'ouverture du Jacinthe café qui se termine, à la grande confusion des héros, devant des enfants ahuris, prépare la séquence du miracle. Celle-ci est l'une de plus belles du cinéma. Comme dans l'Ordet de Dreyer, il faut qu'un témoin assiste au miracle et y croit. Ici, c'est bien entendu Masako. Mais, dans sa façon d'interpeller le spectateur face caméra, c'est nous-mêmes qui sommes convoqués pour y croire. Il est difficile de résister aux larmes lorsque Masako pleure devant celui qu'elle aime et qu'elle aurait perdu sans ce miracle.

Cette fin est d'autant plus belle qu'elle est tragiquement fragile. Alors que le premier plan du film est celui, documentaire, d'un train entrant en gare, il n'en est pas de même à la fin où nous n'entendons plus que le bruit du train sur un quai de gare en toile peinte. Depuis la séquence de l'entrée au concert refusée, les décors sont en effet intégralement ceux de studios, en rupture avec toute la première partie du film. Il est probable que des contraintes de budget ont primé. Néanmoins, ces décors irréels rendent encore plus fragiles, mais aussi plus belles, les solutions adoptées par Yuzo : attirer la clientèle par de bons produits à des prix modérés, renoncer au mégot de cigarette, alors qu'il ne l'avait pas fait au début, pour répondre à l'idéal de Masako.

Le film, parti du réel se boucle sur du merveilleux : un miracle et des toiles peintes. Kurosawa laisse une chance à ses héros pour s'extraire du quotidien par la force de leur amour qui ne s'épanouit que dans la bonté, l'innocence et l'honnêteté. Il n'est toutefois pas dupe de la fragilité de son happy-end.

Jean-Luc Lacuve le 18/03/2017

Test du DVD

Editeur : Wild Side Video. Octobre 2015.

Le Blu-ray avec Un merveilleux dimanche (1947 - 109’) et Le plus dignement (1944 - 87’). Le DVD Un merveilleux dimanche (104’). Le DVD Le plus dignement (83’)