L'ange ivre

1948

(Yoidore tenshi). Avec : Takashi Shimura (le Dr. Sanada), Toshiro Mifune (Matsunaga), Michiyo Kogure (Nanae), Reizaburo Yamamoto (Okada), Chieko Nakakita (Miyo), Noriko Sengoku (Gin), Masao Shimizu (le Parrain), Yoshiko Kuga (L'écolière), Eitarō Shindō (Takahama). 1h38.

Voir : édition DVD

Dans le Japon de l'après-guerre, le vieux docteur Sanada exerce ses fonctions dans un quartier pauvre, au bord d'un étang-poubelle. Il passe pour le bienfaiteur du quartier, car il est bon et sévère, mais c'est aussi un ivrogne invétéré.

Une nuit, il reçoit la visite inattendue d'un jeune truand blessé d'une balle, et le soigne durement, sans anesthésie. Mais il découvre en même temps que Matsunaga est atteint de tuberculose. Matsunaga  refuse ce diagnostique et rudoie Sanada lorsque celui-ci vient le relancer devant son cabaret. Sanada apprend toutefois par un confrère qui a réussi, Takahama, que Matsunaga est venu passer une radio qui a confirmé son diagnostique. D'ailleurs même sa maitresse, Nanae, lui trouve petite forme. Matsunaga accepte d'être soigné et veut changer de vie.

Mais c'est le moment ou le "boss" Okada resurgit. Miyo, l'infirmière de Sanada, est son épouse. Elle a peur de lui et ne veut pas le revoir après ses quatre ans de prison. Elle est terrorisée de l'avoir croisé au marché. Okada souhaite reprendre son ancien territoire qu'il avait confié à Matsunaga. Il l'entraine dans une nuit de soulerie et remarque la belle Nanae, déjà sensible à la force qu'il dégage alors que Matsunaga, très affaibli s'écroule en crachant du sang. Sanada est appelé en urgence pour le soigner. Nanae le quitte bientôt et Matsunaga ne supporte plus de rester dans cette chambre et vient trouver refuge chez Sanada. Lorsque deux yakusa veinent prendre des nouvelles de sa santé, ils remarquent Miyo et s'en ouvre à Okada. Celui-ci menace Sanada, s'il continue de l'empêcher de voir sa femme mais celui-ci n'est pas impressionné. Matsunaga malgré sa faiblesse veut voir le parrain de la ville afin d'expliquer la situation et faire cesser les menaces contre Sanada. Il est choqué de surprendre le parrain en train d'expliquer à Okada qu'il l'a déjà sacrifié. Il compte le laisser tuer par une bande rivale. Okada peut déjà considérer avoir repris son ancien territoire dans les bas-fonds de Tokyo. Matsunaga surgit devant le Parrain, penaud d'avoir été surpris le trahissant. Il lui donne un peu d'argent mais Matsunaga apprend bientôt d'un commerçant auquel il volait comme habituellement une fleur en passant, qu'il devra payer. Le parrain a  en effet déjà fait savoir qu'il n'était plus rien dans le quartier.

Matsunaga, désespéré de voir le code de l'honneur des yakusas auquel il croyait ainsi bafoué,  se rend  dans son bar habituel. Gin, la serveuse, lui propose de partir avec elle à la campagne. Matsunaga repousse son amour et va provoquer Okada dans son ancien appartement qu'il occupe avec Nanae. A sa vue, Nanae fuit et Okada ne sait se défendre contre le couteau qu'a sorti Matsunaga. Une crise de tuberculose empêche Matsunaga de tuer Okada qui s'empare du couteau. Matsunaga fuit en renversant des pots de peinture par terre. C'est un long combat corps à corps qui s'engage alors entre les deux hommes sur le sol devenu glissant. Aculé contre un mur, épuisé, Matsunaga s'écroule. Okada le poignarde alors et Matsunaga s'en va mourir sur la passerelle extérieure de la maison.

Quelque temps après, Gin ramène les cendres de Matsunaga à Sanada. Elle a payé elle-même les funérailles alors que les yakusas ont fait une quête pour le seul Okada qui a été emprisonné. Dégoutée, Gin va quitter Tokyo pour la campagne. Sanada semble perdre courage aussi : à quoi bon soigner des chiens enragés qui courent à leur propre perte ? Heureusement surgit alors l'écolière dont il avait élaboré le traitement contre la tuberculose. Sa radiographie montre qu'elle est définitivement hors de danger et elle le remercie chaleureusement. C'est ainsi fièrement que Sanada  peut retourner travailler dans son dispensaire.

Le quartier pauvre de Tokyo dans lequel se déroule le film vaut pour le Japon tout entier qui a du mal à se remettre de la défaite : tout y est insalubre, les ordures traînent dans la rue. Le film est profondemment pessimiste. D'une part, le docteur, quant il apprend la mort de son jeune protégé, perd les quelques illusions qui lui restait : "Après tout, ce n'était qu'un gangster raté… Un chien reste un chien, rien ne peut le transformer". D'autre part, le film décrit le parcours d'un homme, dont la vitalité s'amenuise de jour en jour, et qui va voir le monde auquel il croit, basé sur le code d'honneur des yakusa, s'effondrer.

Le docteur trouve quand même une raison de vivre dans l'exercice de son métier en réussissant à guérir sa jeune jeune patiente. Affaibli (on le voit crachant du sang et toussant sans arrêt), le gangster ne s'incline toutefois qu'après un duel somptueux où les deux protagonistes, exténués, se coursent en rampant dans de la peinture renversée de son seau pendant la lutte.

Ainsi même si la rédemption est difficile (la scène du cauchemar où le gangster se voit lui même sur une plage en train d'ouvrir un cercueil qui contient un autre lui) le message de Kurosawa est clair : il n'y a pas autre chose à faire que de travailler. .

Toshiro Mifune, dont c'est la première apparition, tournera désormais très souvent avec Kurosawa :

"Avec la performance de Toshiro Mifune dans le rôle du gangster, c'est le premier film dans lequel mon idée originale a été complètement bouleversée. La performance de Takashi Shimura dans le rôle du docteur était excellente, mais on ne pouvait pas lutter contre la force naturelle de la performance de Mifune. Comme le titre l'indique, c'est le docteur qui était supposé être le héros du film. Mais il aurait été honteux de tenter de restreindre la vitalité de Mifune..."

L'Ange Ivre est le premier film que j'ai dirigé qui soit libéré de toute contrainte extérieure. Dans ce film, je me suis enfin découvert moi-même. C'était mon film : je le tournais et personne d'autre ne le faisait. C'était dû en partie à Toshiro Mifune. Takashi Shimura jouait le médecin superbement, mais j'ai découvert que je ne pouvais pas contrôler Mifune. Quand je m'en suis rendu compte, je l'ai laissé faire ce qu'il voulait, lui laissant jouer le rôle librement. En même temps, j'étais inquiet parce que, si je ne le contrôlais pas, le film serait assez différent de ce que je voulais. C'était un vrai dilemme. Cependant, je ne voulais pas amoindrir sa vitalité. A la fin, même si le titre fait référence au médecin, c'est de Mifune dont tout le monde se souvient ». Akira KUROSAWA (propos recueillis par Donald Ritchie)"

Test du DVD

Editeur : Wild Side Video, 2006. Master restauré (Image et Son) - Format Image : 1.33 Son : Japonais Mono - Sous-titres : Français

Bonus :

  • Akira Kurosawa contre Toshiro Mifune (20')
  • Entretien avec Jean Douchet (13')
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