La femme qui s'est enfuie

2020

(Domangchin yeoja). Avec : Kim Min-Hee (Gam-hee), Seo Young-hwa (Young-soon), Song Seon-mi (Su-young), Saebyuk Kim (Woo-jin), Lee Eun-mi (Young-ji), Kwon Hae-hyo (Mr. Jung), Shin Seokho (L'homme qui n'aime pas les chats), Ha Seong Guk (Le jeune poète). 1h17.

Près d'un enclos à poules, Young-soon fait du jardinage. Elle félicite sa jeune voisine de l'éclat de son visage alors que celle-ci craint les marques d'une soirée trop arrosée pour son entretien d'embauche du jour. Puis Young-soon voit la voiture de Gam-hee, venue lui rendre visite dans son quartier excentré de Séoul. Gam-hee a apporté de la bonne viande pour le repas du soir. En attendant la colocataire, Young-ji, qui assurera une grillade parfaite de la viande, les deux amies discutent. Young-soon s'est acheté cet appartement avec l'argent de son divorce et s'y sent très bien, même si elle ne voit presque personne. Gam-hee est heureuse de rendre visite à son amie d'autant que c'est l'une des rares qu'aime son mari avec lequel elle ne s'est jamais séparé plus d'une journée depuis leur mariage, il y a cinq ans. Young-soon est admirative de cet amour si fusionnel.

Young-ji fait griller la viande devant la baie vitrée ouverte donnant sur le petit jardin. Toutes se félicitent sur la qualité du repas, la qualité de la viande de premier choix et la grillade parfaite. Young-soon dit qu'elle voudrait être végétarienne et Gam-hee abonde dans son sens. Elle a vu autrefois un petit veau dont les yeux grands ouverts l'ont bouleversée. Young-soon parle aussi de sa jeune voisine du matin, jeune femme traumatisé depuis la fuite de sa mère, soudaine, et que personne n'a revu.

Tard le soir, Gam-hee voit sur les écrans de vidéo surveillance Young-soon fumer, bientôt rejointe par la jeune voisine, en larmes qu'elle prend dans ses bras. La nuit, Gam-hee fait un cauchemar demandant pourquoi on ne la laisse pas monter au troisième étage; celui-ci est-il si sale ?

Au matin, Young-ji pèle une pomme avec son grand couteau puis la découpe en quartiers avant de les offrir à Gam-hee et Young-soon. Les trois femmes promettent de se revoir. Young-ji descend donner à manger aux chats dont elle s'occupe quand le nouveau voisin vient justement lui demander de ne plus le faire. Sa femme est allergique aux chats et une personne est plus importante que les animaux. On doit aussi prendre soin des animaux, argumente Young-ji. Le voisin décide d'en appeler prochainement au syndic, pendant qu'un chat semble le regarder ironiquement et se lèche les babines.

Avant son départ, Gam-hee se rend près de l'enclos à poules avec ses deux amies. Au loin, le mont Inwang.

Gam-hee rencontre ensuite son amie Su-young dans un autre quartier de Séoul. Elle lui offre son manteau de marque, pensant qu'il lui ira mieux qu'à elle. Gam-hee aime aussi beaucoup l'appartement de son amie. Su-young explique qu'elle a pu le louer grâce à une grosse ristourne sur l'année de son propriétaire. C’est l'homme qui habite au-dessus, un architecte, qui semble avoir un faible pour les âmes artistes. Elle-même donne des cours de yoga qui marchent bien. Su-young aime son appartement dont la vue est proche de celle peinte par Jeon Seon dans son célèbre Mont Inwang après la pluie . Elle aime surtout fréquenter le café tout proche où elle espère une rencontre brillante et amoureuse. Elle y a d'ailleurs rencontré son voisin du dessus, interloqués tous deux en rentrant, d'habiter le même immeuble. Absorbée par sa discussion, Su-young laisse brûler le repas qu'elle préparait.

On sonne à la porte. C'est un jeune homme qui voudrait rentrer chez elle. Su-young le renvoie sans ménagement. Autour du repas, elle explique à Gam-hee l'avoir rencontré dans son café préféré et s'être laissée aller à coucher avec lui après une soirée trop arrosée. C'est un jeune poète qui ne cesse dorénavant de la harceler. Elle craint que cela nuise à sa réputation auprès de l'homme qui habite au-dessus. Après le repas de pâtes cuisinées à la va-vite mais que Gam-hee dévore, Su-young lui offre une pomme découpée en dessert qu'elle a pelé avec un grand couteau. Gam-hee lui dit au revoir et s'éloigne dans la rue. Au loin, le mont Inwang.

Gam-hee est venue au centre d'art rencontrer dans le café son ex-amie, Woo-jin. Celle-ci a des remords de lui avoir soufflé autrefois son amoureux, Mr Jung, désormais très célèbre. Elle craint un peu qu'elle soit venue pour l'écouter donner une conférence. Mais Gam-hee ne lui en veut absolument pas et va voir le film expérimental dans la salle de cinéma du centre. Au retour, elle discute de nouveau avec Woo-jin qui dirige la médiathèque. Woo-jin est très déçue du comportement de Mr Jung, devenu suffisant et prosateur avec le succès. Gam-hee est tellement en harmonie avec le désir amoureux de son mari qu’elle ne sait pas même si elle l'aime. Les deux femmes se disent au revoir. Comme Gam-hee sort, elle croise Mr Jung qui croit la situation, une ex venue pour le voir, gênante. Gam-hee le détrompe et lui exprime sa déception de le voir devenu suffisant et prosateur avec le succès. Elle retourne voir le film; il est cette fois en couleur.

Avec ses conversations entre femmes qui pourraient paraître superficielles parce que dénuées d'enjeu dramatique, le film court le risque de l'insignifiance. Mais c'est justement parce qu'il prend le temps d'installer cette douceur que ressortent les dimensions tout à la fois cosmique, pleine d'humour mais non dénuée d'inquiétude du film. Celles-ci se révèlent par la combinaison d'éléments formels mettant en jeu, zooms avant et arrière, et plans de nourriture, animaux, lieux d'habitat, paysages. Répétés et mis en échos, ces petits élèments dispersés donnent une importance aux douces vaguelettes de l'âme humaine.

Conversations de femmes et intrusion des hommes

Les discussions des deux premiers épisodes portent d'abord sur la beauté des appartements que les deux amies de Gam-hee se sont offerts. Young-soon et Su-young semblent s'y protéger de la violence du monde, des hommes en particulier dans un univers chaleureux, quotidien et apaisé. Les hommes viennent les déranger en bas de chez elles : le voisin qui veut qu'elles cessent de nourrir les chats, le jeune poète qui vient solliciter l'amour, Mr. Jung qui se croit l'objet de l'attention de Gam-hee.

Le nom si occidental de ce personnage ne peut manquer d'évoquer celui de Carl Gustav Jung et la psychanalyse; car si les trois femmes sont confrontées à des intrus, elles n'en sont pas moins agitées de pensées qui mettent à mal leur tranquillité. En effet, la femme qui s'est enfuie semble être la mère de la jeune voisine du dessus de Young-soon. Celle qu'elle va réconforter dans la nuit. Mais curieusement Gam-hee est inquiétée la nuit, dans un cauchemar vraisemblablement, par le troisième étage auquel on lui refuse l'accès parce qu'il serait trop sale. Est ce pour cela que Gam-hee cherche la protection d’un mari avec qui elle partage une proximité de tous les jours ? Su-young, importunée par le jeune poète en bas des escaliers, aimerait une relation amoureuse avec l'homme du dessus. Enfin Gam-hee retournera dans la salle du haut voir un film, cette fois en couleur, signe peut-être de plénitude

Dimension cosmique

La répétition des conversations de femmes près d'une fenêtre dans un lieu chaleureux n'est pas le seul élément structurant du film. Trois fois, une pomme est découpée et offerte alors que la préparation de la nourriture se dégrade : viande grillée dégustée à trois, plats de pâtes mal cuisinées à deux et repas pris en salle de cinéma en catimini. Les écrans vidéo de surveillance interviennent dans les deux premiers épisodes ; en split-screen dans la chambre de Young-soon où Gam-hee la voit discuter avec sa jeune voisine ; sur un plus petit écran chez Su-youn, sortie repousser les avances du jeune poète empressé. Lors de l'épisode final, conclusif c'est le grand écran de cinéma que contemple Gam-hee.

La nature est très présente avec le chat et les poules du premier épisode mais surtout avec les vues du mont Inwang qui clôturent chacun des deux premiers épisodes et ouvre le troisième, sur la même petite musique primesautière habituelle de Hong Sang-soo. Même répétition des mouvements d'appareils réduits aux seuls zooms avant et arrière et quelques rares panoramiques, rien du brutal champ-contrechamp.

présence de la nature avec, au loin, le mont Inwang

 

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