Passion

2008

(Passhon). Avec  : Ryuta Okamoto (Tomoya), Aoba Kawai (Kaho), Fusako Urabe (Takako), Nao Okabe (Kenichiro), Kiyohiko Shibukawa (Takeshi). 1h55.

Tokyo. Un jeune homme, Kenichiro, sous le regard de son amie, Takako, enterre le chat de celle-ci dans une friche en bord de route et dresse une stèle de bois sur la tombe.

La nuit, dans un taxi, la professeure de mathématiques Kaho et son petit ami, Tomoya, un bel universitaire, vont à un dîner pour fêter les 29 ans de Kaho. Celle-ci est impatiente d'annoncer leur mariage. S'estimant trop timide, elle demande à Tomoya d'en faire l'annonce.

Au restaurant, ils rejoignent leurs amis : Kenichiro et son amie Sanae ainsi que Takeshi et sa femme enceinte Marie, 30 ans. Au moment du gâteau, Tomoya ne s'est pas décidé à parler du mariage et c'est Kaho qui l'annonce. Si Takeshi et Marie se réjouissent, Sanae pleure et quitte la table alors que Kenichiro reste muet.

Il n'est que 21h00 mais Sanae, Marie et  Kaho rentrent chez elles en prévision de leur journée de travail du lendemain. Les trois amis d'université, Tomoya, Takeshi et Kenichiro projettent de faire la tournée de bars. Mais Tomoya les convainc plutôt de s'inviter chez Takako, leur condisciple à l'université.

Takako est contente de les voir, triste de la disparition de son chat. Ce chat, Rubi appartenait en fait à sa tante jeune tante, Hana, une écrivaine fantasque, auteure de best-sellers dont l'un vient d'être adaptée au cinéma. Hana habite en province mais laisse sa nièce habiter son confortable appartement gratuitement pour assurer le bien être de son vieux chat qui y avait ses habitudes.

Hana surgit bientôt et gifle deux des garçons leur reprochant, selon les dires de sa nièce, d'être celui qui couche avec elle sans l'aimer. En fait c'est le troisième, le discret Kenichiro qui est pourtant l'amant en titre de Takako. Pendant que Takaho, Tomoya et Kenichiro vont faire des achats d'alcool et cigarettes pour prolonger la soirée, Hana et Takeshi se sentent attirés l'un vers l'autre. Lorsque les trois rentrent des courses, ils trouvent l'appartement vide. La soirée se termine tard par un lancer de frisbee sur le toit. Quand Takeshi revient, ils comprennent qu'il s'est disputé avec Hana.

C'est accompagné de Kenichiro que Tomoya rentre chez lui à cinq heures du matin. Il a la surprise de trouver Kaho éveillée. Il ne lui avoue pas leur soirée chez Takako.

Takaho se prépare à son dernier jour de cours de l'année. Dans sa classe elle surveille un devoir de mathématiques. Des fleurs ont été disposées sur le bureau en hommage à un collégien de la classe qui s'est suicidé...

Grâce aux succès des sorties à quelques mois d’intervalle, des deux derniers films de Hamaguchi, Senses, fresque intime sur la libération du carcan conjugal de quatre femmes, puis Asako I & II, sur la formation d'un couple, la société de distribution Art House ressort en mai 2019 le premier long-métrage personnel du cinéaste, Passion, qui remonte à 2008. Ryusuke Hamaguchi venait alors juste de réaliser Solaris, hommage au film de Tarkovski comme film d'études.

Ryusuke Hamaguchi filme le discours, la matière première de son cinéma, comme une enquête dans un film noir : ici la vérité surgit au bout de la nuit des échanges parfois maladroits, frustrants ou violents avec les autres. Passion célèbre en effet la passion des mots qui saisit de jeunes universitaire quant aux choix possible d'une vie dont ils se refusent un temps à assumer les frustrations. Ce faisant, ils réalisent la catharsis nécessaire à leur sortie de l'adolescence.

Peut-on choisir sa vie avec des mots ?

Le récit s’attache à un petit groupe d’amis qui vont aborder la trentaine : trois hommes qui se sont connus à l'université  et cinq femmes, qui sont leur femme ou leur petite amie, passée, présente ou potentielle. C'est ainsi un drame de l'adolescence où sont encore vives les passions amoureuses mais qui vont bientôt devoir être contrôlées par les objectifs plus responsables de la vie d'adulte.

L'angoisse devant l'engagement est le sentiment dominant chez les trois hommes. Ainsi Tomoya, bel universitaire dont probablement Sanae et plus certainement Takao ont été les maitresses, qui est effrayé par l'amour constant et la fragilité qu'il pressent chez de Kaho. Takeshi, qui se prétend pourtant bien marié et qui attend un enfant va se révéler soumis à des pulsions de désir qui le poussent vers Hanna puis, cela ayant échoué, vers Takao. Quand au gentil Kenichiro, amoureux de Kaho, il devra se contenter de rester près de Takao qui l'accepte sans doute faute de mieux.

Sanae, bouleversée par l'annonce du mariage prochain de Tomoya, quitte la table pour pleurer sans qu'on ne la revoie jamais. Marie rentre pareillement chez elle après le restaurant sans qu'on la revoit, sans doute un peu meurtrie que son mari n'ait pas fait une exception pour elle au sujet des femmes ayant attient la trentaine qui deviennent moins désirables (au secours !). Hanna après une belle séquence sur le balcon avec  Takeshi disparait elle aussi, assumant sa liberté. Restent Takao qui teint absolument à l'amour de Tomoya et Takao qui, à l'inverse mais à l'égal des trois hommes, n'a guère envie d'engagement.

Le film est composé très majoritairement de longues scènes de dialogues où, par ses questions, chacun des personnages en apprend autant lui lui-même qu'il n'en apprend sur les autres. Les variations sur les compositions des groupes (à six au début au restaurant, cinq chez Takao, deux sur son balcon, trois sur le toit ou chez Tomoya puis de nouveau chez Takao) donnent au film la respiration nécessaire en contrepoint la grande profondeur des dialogues. Quelques rares et beaux moments d'extérieur font surgir une grande poésie. Le très beau et long plan-séquence d’aveu amoureux à l’aube devant un paysage industriel, la joie d'un amour possible que Kenichiro éprouve vis à vis de Kaho avant que celle-ci ne douche définitivement tout espoir alors qu'à l'arrière plan un semi-remorque s'approche dans une sorte d'équivalence à la violence de cet échec amoureux.

La nécessaire catharsis de l'expression des sentiments

Tamaguchi excelle à densifier la psychologie des personnages en cadrant non seulement celui qui parle mais aussi toutes les réactions et interactions que cela entraine chez les autres. Lorsqu'au dîner d’anniversaire, Kaho annonce son mariage prochain avec Tomoya celui-ci laisse transparaître qu'il n'était en fait pas prêt à cette annonce alors qu'autour de la table, la nouvelle déclenche tristesses chez Sanae et mystère avec la réaction de Kenichiro. Il en est de même lors de la séquence du jeu de vérité à trois ou, dans une autre configuration lors du jeu de frisbee.

Tamaguchi ausculte sans complaisance ce que peut avoir d'aléatoire la formation d'un couple tant ce qui le fonde est mêlé de frustration et d'incertitudes. Même l'amitié cache jalousies et ressentiments. Mais tous ces sentiments négatifs sont dissous et éliminés par leur mise à nu dans le dialogue, laissant apparaitre, lorsque aucune violence envers l'autre ne se manifeste, la réalité de ses propres sentiments.

Ainsi, le renoncement à la violence, exprimé théoriquement par Kaho devant les collégiens de sa classe à propos du harcèlement envers leur camarade, se traduit-il dans la dernière et bouleversante dernière séquence. Kaho laisse partir Tomoya qui lui a fait part de son désir de liberté. Mais celui-ci revient, à peine trois pas franchis, lui demander pardon ressentant  la vanité de rechercher un ailleurs quand il a su si bien exprimer avec Kaho ses différences qui n'ont jamais amoindri le plaisir qu'ils ont à être ensemble.

Jean-Luc lacuve, le 26 mai 2019.