Sauvage innocence

2001

Avec : Mehdi Belhaj Kacem (François), Julia Faure (Lucie), Michel Subor. 1h57.

François Mauge, jeune metteur en scène connu et marginal, déclare à qui veut l'entendre qu'il veut faire un film contre l'héroïne et la maffia, une oeuvre qu'il fera le joint au bec, sans moralisme donc, pour convaincre les jeunes que l'héroïne est une peste sans rapport avec les autres drogues. L'histoire s'inspirera de la déchéance de Carole, la femme de sa vie, tuée par l'héroïne et dont il semble maintenant tenir à distance le souvenir en la nommant Marie-Thérèse dans le scénario et en affirmant qu'elle n'est qu'une source d'inspiration parmi d'autres. Alors qu'il est allé jusque là de refus en refus, la rencontre avec une apprentie comédienne, Lucie, relance son désir de faire le film... Il voit immédiatement en son héroïne et en tombe amoureux

Après une dernière épreuve humiliante chez un grand producteur, il accepte de rencontrer un homme d'affaires un peu louche, Chas, qui accepte d'investir dans son film. En échange, François doit accepter de convoyer de la drogue entre la France et l'Italie. Torturé par les interrogations, il finit par accepter.

Le tournage du film commence. Très vite, les relations se tendent entre François et son héroïne, qui ne parvient pas à donner corps aux émotions et aux désarrois de l'amour de jeunesse du cinéaste. Lucie, pour tenter à la fois de comprendre son personnage de l'intérieur et pour échapper aux tensions qui règnent sur le plateau, se réfugie dans la cocaïne, sous le regard absent de François, tout entier absorbé par les exigences du tournage, concentré au point d'intérioriser tous ses sentiments, et les pressions de Chas, qui a demandé une nouvelle livraison. Fragilisée par son rôle, minée par la dépendance, Lucie s'effondre hors du plateau à la suite d'une overdose.

Cette première partie tire du noir et blanc des plans très romanesques parce que très simples et très dépouillés : les lettres et les journaux éxhumés de la la malle aux souvenirs ouverte par Alex, le fils de Carole, auquel François rend souvent visite, le bébe nourrit au biberon de celui-ci, la rencontre des deux jeunnes filles dans la rue (pas de champ contre champs mais le retour de François vers elles sur les paroles off des deux jeunes comédiennes), le regard de François dans les yeux de Lucie à laquelle il demande son prénom comme on fait une déclaration d'amour, demande suivie d'une ellipse temporelle le reprenant l'attendant devant une station de métro pour un baiser passionné. Les plans simples de promenades dans la rue, main dans la main, qui culminent dans une étreinte devant un stand sur un marché réunissant la famille.

Le cinéma ne fonctionne hélas pas aux bonnes intentions. Les producteurs sont cruels et pervers et les actrices ne sont pas éternellement disponibles. François, agneau au milieu des loups, est obligé, pour garder celle qu'il aime autant que pour faire son film, de signer un pacte faustien : devenir passeur de drogue pour réunir les fonds nécessaires au film. Un court instant, il croira fera preuve de la sauvage innocence proposée par le titre affirmant qu'il vaut mieux remuer ses fesses pour faire un film qui sera vu par des milliers de spectateurs plutôt que de rester dans sa chambre pendant qu'un autre transportera une valise.

Le film prend alors le chemin de la tragédie déroulant le programme initialement proposé par le cinéaste comme par le premier producteur qui souhaitait non seulement que tous les ingrédients soient là mais que le plat soit servi. L'héroïne c'est la peste, y toucher contamine sans recours. Passeur, François retombe dans le système maffieux : Le souvenir de Carole revient balayer son amour présent, il s'entête devant le décor réel de la déchéance de Carole affirmant à son assistant, aussi bien qu'à Lucie présente à ses côtés, qu'il ne pas tout partager comme on partage un sandwich. S'enferrant dans la mémoire, François finit par sacrifier Lucie. Sauvage innocence est en cela l'anti Nuit américaine. Le spectacle et la représentation ne sont pas une condensation de l'expérience qui explose et rejaillit sur la vie. Bien au contraire, l'écriture rend la présence à l'absence, ne travaille qu'à la perte, tisse des liens complices avec le désastre. Le Noir et blanc couleur du romanesque dans la première partie devient celui du no man's land dans lequel Lucie meurt, dérisoire, une aiguille plantée dans les fesses.

Bibliographie: