Gaz de France

2015

Sélection acidAvec : Olivier Rabourdin (Michel Battement), Philippe Katerine (Jean-Michel Gambier, le Président Bird), Alka Balbir (Samira), Antoine Gouy (Chris), Philippe Laudenbach (Alain Rose-Marine), Darius (Pierre Caron), Jean-Luc Vincent (Dizier Deschamps), Elisabeth Mazev (Françoise). 1h26.

Dans la France des années 2020, Michel Battement, l'éminence grise du chef de l'État, doit d'urgence remonter la côte de popularité du président Bird afin d'empêcher la chute imminente du régime tant le président, fraîchement élu, dégringole dans les sondages. Cette dégringolade a en effet été dramatiquement accentuée lors de l'émission télévisée "Une française dans la foule" où le président, dédaignant de choisir la candidate briffée par les conseillers, n'a su que dire en réponse à l'interrogation d'une femme sans travail. Elle lui demandait ce qu'il pouvait faire pour elle. Habitué à chanter mais seulement en fin d'émission, Bird avait précipité sa chansonnette en murmurant "Je n'en sais rien, je n'en sais rien" suscitant la colère des participantes, leur départ et la fin de l'émission.

Michel Battement a demandé à Samira sa secrétaire et Chris son conseiller en communication de réunir une cellule de crise, au premier sous-sol de l'Elysée, pour sortir Bird de l’ornière. Censément composé des plus brillants esprits du pays, ladite commission comporte Dizier Deschamps, le mielleux député-maire de Saint-Dizier; Pierre Caron un ennuyeux et sombre gourou scientifique accompagné d’un robot nommé Pithiviers ; Alain Rose-Marine, un vieux beau en gilet rose très fier de lui ; Anne, une journaliste que Chris a choisi parce qu'elle fut son ex mais qui ne le reconnaît même pas et Françoise, une enfant de dix ans surdouée et quasi-muette. Cette équipe de choc est chargée de trouver l'idée qui, le soir même à 19 heures, permettra au président de reconquérir l'opinion dans une allocution télévisée de la dernière chance

Mais une équipe marketing a réservé la salle. Il faut donc descendre au deuxième sous-sol de l’Élysée où les portraits présidentiels s’agglutinent : De gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Bird ainsi que des bustes de Marianne et des cadeaux officiels.

Dizier Deschamps trouve l'idée d'une longue marche et Alain Rose-Marine celle du mariage du président. Michel Battement est découragé. Il révèle l’état physique réel du pays : La France, percluse de dettes, a été obligée de vendre ses sous-sols aux puissances étrangères. On marche sur un véritable gruyère, dit-il, redoutant même qu’une révolte contre Bird fasse littéralement chuter le pays de plusieurs dizaine de centimètres. Quand tous sont découragés, il raconte cependant comment il sauvé de la noyade Helmut Kohl en le hissant sur son matelas pneumatique. Le chancelier lui alors offert une petite figurine de plomb qu'il garde toujours sur lui.

Mais les conseillers, malmenés, décident de se révolter et de faire chuter Bird. Ils transforment l'histoire romantique de Rose-Marine en relation amoureuse du président avec une petite fille de dix ans, rôle qu'accepte de jouer la jeune Françoise.

C’est l’heure de l’allocution du Président Bird. Celui-ci aurait bien préféré jouer le mort mais il est rassuré car Michel Battement lui dicte son discours en direct depuis le sous-sol. Battement, convainquant, ému, efficace emporte l'adhésion de tous avec son storytelling scabreux mais théâtral et émouvant. Mais Anne, qui se révèle être une anonymous infiltrée, débranche le micro du conseiller. Le prompteur de Bird se fige. Obligé d'improviser, il ne trouve rien de mieux que de déclarer la guerre aux banques : les militaires décolleront dans l’heure pour bombarder les bourses de Londres et de Francfort.

Craignant une troisième guerre mondiale, les consultants descendent au troisième sous-sol de l’Élysée. Dehors, la guerre a dû tout ravager, l’air doit être radioactif. Ils sont sans doute parmi les derniers survivants. Pithiviers, le robot redonne un instant l'espoir mais son discours se détraque vite. Heureusement ils se sont tous trompés : Bird vient leur annoncer que la guerre n’a pas eu lieu: les Chinois et les Russes ont emboité le pas à la France et réduits la résistance des démocraties. Tout est bien qui finit bien.

Gaz de France est intégralement tourné dans des décors numériques d'où l'omniprésence des fonds bleus, propices à toutes les virtualités et trucages. Le gaz de France du titre est ainsi la métaphore des discours sans consistance qui envahissent notre espace comme l'indique l'un des premiers plans du film.

Plus grave sans doute : si on fuit cet éther inconsistant en descendant toujours plus profondément dans le sous-sol, on ne trouve que du vide. Ce vide est étendu à la France entière puisque, comme le révèle Battement, les sous-sols du pays ont été vendus depuis longtemps.

Alors que s'effondrent les idéologies et que seules les puissances miliaires risquent de gagner (France-Russie-Chine), l'humain résiste pourtant. L'acteur résiste. Ainsi, Philippe Katherine formidablement présent même pour ne chantonner que "Je ne sais pas...Je ne sais pas". Battement fait preuve d'un vrai professionnalisme, certes au service de pas grand chose, mais qui vaut certainement mieux que le plan B improvisé de Bird. Le peuple résiste aussi avec ces masques d’oiseaux inquiétants sortis tout droit de Judex (Georges Franju, 1963) ou de V pour Vendetta (James McTeigue, 2006).

Jean-Luc Lacuve le 27/01/2016